La Romagne a un réseau hydraulique constitué de nombreuses sources et de plusieurs cours d’eau, dont on peut citer quelques exemples :
- Le ruisseau du Moulin Garot tire son nom du lieu-dit. Il est parfois dénommé ruisseau de Givron ;
- Le Long Ruisseau ou ruisseau de Mainby prend sa source à la Fontaine aux Pous et se jette dans le ruisseau des Woicheux.
- Ce dernier jaillit au Bois Diot et se déverse dans la Draize, qui naît près de la Cour Avril et passe à proximité du village.
Quoique le terroir soit largement irrigué, chacun veille à ce que l’eau ne soit pas détournée, sans quoi le contrevenant s’expose à quelques ennuis. C’est le cas pour Jean Baptiste Bienfait : ce dernier a capté, au détriment des religieux de la Piscine, le ruisseau qui coule sur leur terre, afin de le faire passer sur les siennes et assurer ainsi une bonne alimentation de ses terres empouillées[1]. La réaction est rapide, d’autant que cette dérivation modifie l’écoulement des eaux, provoquant temporairement l’inondation du chemin bordant ces pièces. L’homme est sommé de « remettre les choses en l’état » et, pour échapper à un procès, il accepte en plus « d’entretenir ledit chemin pratiquable[2] dans la nature de chemin et de garantir ledit pré de messieurs les religieux des dommages qui pourraient y survenir[3] ».
[1] Empouiller : ensemencer ou garnir une terre.
[2] Sic, c’est-à-dire praticable.
[3] Bibliothèque Carnegie, ms. 2450, Mémoire détaillé de tous les biens de la manse conventuelle de l’abbaye de Chaumont-la-Piscine achevé en 1771, manuscrit consultable en ligne sur la BVMM (Bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux) élaborée par l’IRHT-CNRS (Institut de recherche et d’histoire des textes), acte passé le 26 mai 1774 par devant maître Fréal, notaire royal en Vitry et Vermandois, résidant et demeurant en Chaumont-en-Porcien, folio 673, vue 361/521 [Nota bene : bien que le codex soit censé s’interrompre selon son incipit en 1771, des mentions ont été portées postérieurement à cette date].
L’abondance de l’eau est fort utile, tant pour les hourliers (ou oseraies) que pour la culture du chanvre, dont l’apogée se situe à la fin du XVIIIe siècle. La plupart des ménages habitant le village possèdent une chènevière (ou chanvrière), tout comme le curé de La Romagne qui a, outre une somme fixe sur son église, deux arpents de prés et deux chènevières louées dont il tire un revenu de 60 livres[1].
[1] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 2G 267/1 [série G = clergé séculier, sous-série 2G = fonds de l’archevêché de Reims, articles 2G 267-268 = doyenné de Rethel (1248-1790)], Supplément à ce qui manque aux éclaircissements donnés sur les cures du doyenné de Rethel.
Ce sont, le plus souvent, de petites pièces de dix à douze verges, ce qui montre le morcellement des terres. Cette culture demande des soins particuliers. La plante se sème au mois de mai, et se récolte en août pour le chanvre mâle. Ce dernier, dépourvu de graines, fournit une filasse de qualité supérieure destinée à la confection de chemises. Le chanvre femelle en donne une de qualité inférieure, que l’on utilise pour les cordages ou les couches des nourrissons. C’est après la récolte que la présence d’eau est indispensable, afin de faire tremper les tiges pour pouvoir séparer la fibre de la paille.
Au début du XVIIe siècle, les paysans sont soumis à un règlement de police rappelé en 1663[1], qui stipule que « les chanvres ne doivent point être mis rouis dans la rivière parce que la pêche en est ruinée et la boisson malsaine, mais dans un fossé ou marais du lieu » et qu’il faut veiller à « ne les seicher[2] jamais au four et cheminée, crainte d’accident de feu, mais dans les rues au soleil et au vent » (article XXXII). Ils creusent donc des fosses à proximité des cours d’eau. Ces endroits dans lesquels le chanvre trempe prennent le nom de roises[3]. La toponymie des villages environnants l’atteste puisque l’on trouve :
- à La Romagne, la Côte des Roises ou le Pré des Roises ;
- à Montmeillant, le Fossé Rouge ;
- à Rocquigny, les prés de la Chènevière[4].
[1] Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, département des Manuscrits, Français 20710 [ensemble de 133 feuillets = IV (pièces diverses), collection de Charles Maurice Le Tellier, archevêque-duc de Reims (1642-1710)], Instructions aux marguilliers de chaque paroisse du duché de Mazarin.
[2] Sic, c’est-à-dire sécher.
[3] Sorte de trou rempli d’eau servant pour le rouissage du chanvre.
[4] Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 4-LC20-173, Taine, Michel, « Balade cadastrale : la culture du chanvre » in Terres Ardennaises : revue d’histoire et de géographie locales, Charleville-Mézières : Fédération des œuvres laïques, 1982-, n° 78, mars 2002, p. 25-35.
Après le rouissage[1], de nombreuses opérations sont nécessaires : séchage, broyage, teillage[2], peignage. Le filage, occupation des femmes durant l’hiver, est confirmé par la présence d’un ou plusieurs rouets dans chaque maison, selon les inventaires après décès. Le tissage est l’œuvre de tisserands. On en dénombre quelques-uns au cours du XVIIIe siècle grâce aux impositions. La toile produite, robuste et rêche, constitue la base du linge de maison ou de corps.
Années | Tisserands |
---|---|
1712 | Jean Gorget l’aîné |
1714 | Jean Georget l’aîné et Jacques Boudesocq |
1721 | Jacques Boudesocq |
1737/1742 | Jacques Boudesocq et Jean Lahay |
1770/1774 | Jean Trippier et Jean Baptiste Deligny |
[1] Immersion totale des tiges de chanvre dans l’eau.
[2] Opération qui consiste à enlever la partie ligneuse du chanvre.
La présence de nombreux rus a aussi pour conséquence que les terroirs romanais et de Rocquigny sont couverts d’osiers et permettent la fabrication de paniers. Une oseraie bien entretenue peut durer de cinquante à quatre-vingts ans, en fonction des soins du terreautage[1]. Un mandelier[2] présent dans un registre des tailles du village en 1702 atteste la pratique de ce métier. Cette culture perdure jusqu’au XXe siècle, tant que les maisons de champagne, principal débouché pour cette culture, utilisent cette matière pour leurs emballages.
[1] Rechargement en terre du pied d’osier.
[2] Vannier.
Outre ces nombreux petits ruisseaux, de multiples sources sont disséminées sur tout le terroir. Avant l’arrivée de l’eau courante, chacun se la procure grâce à un puits pour alimenter son foyer, si bien qu’au XIXe siècle, on en compte dans chaque hameau, et une cinquantaine dans le village. L’un des derniers creusés est celui du presbytère. A défaut de soleil, La Romagne a eu l’ingéniosité de transformer son climat humide en une richesse locale.