Le samedi 1er août 1914, à 16 heures, la guerre est déclarée. Le lendemain, tous les hommes de La Romagne en âge de l’être sont mobilisés et doivent rejoindre leurs régiments. Pour beaucoup d’entre eux, c’est le 332e régiment d’infanterie de Reims. Certains de ces mobilisés (principalement ceux qui sont cheminots à la Compagnie des chemins de fer de l’Est) se voient confirmés dans leur activité de temps de paix puisqu’ils sont affectés à l’acheminement des troupes et à l’entretien des voies ferrées de la zone des combats. Quant aux mobilisés les plus âgés, ce sont des territoriaux ; ils gardent les ponts, les gares.
L’entrée en guerre se fait au moment des moissons, ce qui inquiète la population du village, essentiellement paysanne. Dans son manifeste, le gouvernement français demande « de faire la moisson et de se mettre à la culture » mais on peut imaginer les difficultés que cela représente avec le bouleversement des cultures, du fait de l’absence d’une grande partie de la main-d’œuvre masculine. Désormais, les travaux agricoles vont être confiés aux femmes ou aux hommes non mobilisables (donc âgés de plus de 48 ans).
Dès le lendemain (2 août), des trains de troupes et de matériel passent en gare de Liart en direction de la frontière. En même temps, les chevaux sont réquisitionnés pour l’armée française, mais lorsque les Allemands envahissent la région rethéloise, ces derniers procèdent à de nouveaux prélèvements parmi les chevaux qui restaient.
Très rapidement la Belgique (quoique neutre) est envahie. Des combats sont livrés et c’est aux environs du fort de Charlemont (près de la frontière belge), à Givet ( dans les Ardennes), qu’Henri Alphonse Mauroy est fait prisonnier avant d’être envoyé en captivité à Königsbrück (Saxe) en Allemagne. Il ne sera rapatrié qu’en décembre 1918. Le récit des combats, fait par une population belge qui fuit les troupes allemandes, sème l’affolement parmi les habitants des villages ardennais qui avaient déjà subi l’invasion de 1870. C’est ainsi que le village de Fraillicourt voit arriver une masse de réfugiés dans le courant du mois d’août 1914.
L’étude de la cartographie en ce début de guerre renseigne sur la position des troupes françaises et allemandes. On peut noter que, du côté français, le 274e régiment d’infanterie se trouve, à la date du 13 août 1914, entre Novion-Porcien et Faissault, que le 239e est dans le secteur de Signy-l’Abbaye et Poix-Terron. Les troupes allemandes sont à Signy- l’Abbaye le 28 août et vont englober dans les jours suivants tout le secteur qui s’étend de Signy à Novion en passant par La Romagne, Ecly, etc.
Alors que la bataille entre Signy et Rethel est proche, le curé Aubenton de Fraillicourt voit arriver vers 8 heures du soir le doyen de Chaumont et le curé de La Romagne. Quelque temps après, ils décident (comme le calme est un peu rétabli) de rentrer dans leur village respectif. Ce ne sont pas les seuls à avoir été troublés en cette journée puisque, dans le même temps, « La Romagne » s’en va à Wadimont tandis que des personnes de la rue Gibourdelle (Rocquigny) vont coucher à la Hardoye. D’autres, très nombreuses, partent de Chaumont[1].
La population est terrorisée et ne sait quel parti prendre. Dès que cette première effervescence est passée, les uns et les autres regagnent leur village[2] où ils découvrent des réfugiés du Nord ou de l’Aisne. Un couple originaire d’Aguilcourt (Aisne) passe ainsi toute la durée de la guerre à La Romagne. Les registres de l’état civil témoignent de cette présence par l’inscription d’une naissance.
Durant toute la période de la guerre, le curé reste dans sa paroisse et peut apporter du réconfort à ses paroissiens. Il ne connait pas le sort peu enviable qui est celui du curé de Rocquigny[3]. Arrêté en 1915, puis retenu d’abord à Hirson il est envoyé dans un camp de prisonniers en Westphalie[4].
[1] Lefebvre, Marie, « Journal d’une jeune fille de Rocquigny pendant la première guerre mondiale », in Terres ardennaises, Charleville-Mézières : Fédération des œuvres laïques, 1982- , n° 64, octobre 1998, p. 6 et suivantes.
[2] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 25J 6 [série J = documents entrés par voie extraordinaire, sous-série 25J = fonds du grand séminaire de Reims (an XII-1945)].
[3] Archives départementales des Ardennes, 1J 534, Miette-Mermoz, Roland, A travers 3 guerres ou les souvenirs d’un Ardennais [série J = archives d’origine privée (entrées par voie d’achat, don, legs ou dépôt), sous-série 1J = pièces isolées et petits fonds d’origine privée].
[4] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 25J 6 [série J = documents entrés par voie extraordinaire, sous-série 25J = fonds du grand séminaire de Reims (an XII-1945)].
Le 27 août, les tunnels des environs sautent, tandis que la ville de Rethel est incendiée le 1er septembre 1914. Dès le 30 août 1914, le village est traversé par des troupes allemandes (une compagnie cycliste) qui ne s’arrêtent pas. Ce ne sera pas la seule fois. Le dernier jour du mois, le département tout entier est placé dans la « zone des armées » et, à ce titre, des laissez-passer sont désormais nécessaires pour les déplacements dans toutes les Ardennes. L’isolement va se poursuivre avec l’installation de troupes allemandes dans les villages et leur mainmise sur la vie des habitants.
La Romagne reçoit des ordres allemands de Liart, Signy-l’Abbaye et Rethel, puis est rattaché à la Kommandantur de Chaumont-Porcien (ou Kommandantur d’étapes, comme dans tous les chefs-lieux de canton) qui est installée à partir du 19 octobre1914 dans les locaux de la mairie, avant d’être transférée à Rocquigny[1] à partir de décembre 1915 (ou Kommandantur de rattachement, qui contrôle plusieurs villages).
Les réquisitions commencent et sont de plus en plus fortes. Tout est saisi : chevaux, vaches, moutons, porcs, blé, avoine, œufs, lait et même les groseilles qui doivent être ramassées et apportées[2]. Toutes les cultures doivent être obligatoirement déclarées ainsi que les surfaces cultivées et c’est une véritable occupation agraire qui se met en place avec une politique agricole dictée par l’occupant. Durant toute la guerre, le canton de Chaumont-Porcien est occupé intégralement.
Il faut rappeler que le département des Ardennes est le seul en France à être occupé en totalité par les Allemands. De ce fait, tout ce qui y est produit est razzié, réquisitionné en quantité fixée à l’avance et une administration allemande (Etappen-Inspektion) organise tout au long de ces quatre années la production au profit de l’occupant[3]. Ce dernier ira jusqu’à emmener toutes les vaches laitières restant dans les villages.
Ces réquisitions posent le problème de la nourriture des habitants et de leur ravitaillement car les produits de première nécessité manquent. Le conseil municipal décide de participer à « un syndicat intercommunal » formé entre les communes des Ardennes qui adhèrent aux statuts du « Syndicat ardennais de ravitaillement pour la région de Rethel » et fixe la première année la part contributive à 30 francs par habitant, part qui augmentera régulièrement tout au long des hostilités pour atteindre dans les derniers mois de la guerre le montant de 100 f.
[1] La Revue rémo-ardennaise : paraissant le 25 de chaque mois. Reims : [s.n.], 1915-1919, n° 1 (25 août 1915) – n° 40 (25 mars 1919), n° 19, 25 février 1917, p. 302, à propos de Rocquigny : « Le presbytère a été pillé à peu près complètement. Le tribunal et un ‘casino’ y sont établis ». Le périodique donne régulièrement des « nouvelles du clergé en pays envahi ».
[2] Archives de la Marne, centre de Reims, 25J 6 [série J = documents entrés par voie extraordinaire, sous-série 25J = fonds du grand séminaire de Reims (an XII-1945)].
[3] BDIC [Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, établissement désormais nommé La contemporaine], dossier Bx.009, Ardennes : réponses au questionnaire sur le territoire occupé par les armées allemandes. [Enquête du 24 mai 1920 au 10 juin 1920, 122 pièces]. Cote du carton à indiquer : F° Ä 1126 / 5. Voir la description du fonds par Battaglia, Aldo, La Guerre dans le ressort de l’Académie de Lille. 1914-1920, Nanterre : Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, août 2002, 115 p., p.59, consultable en ligne.
Les Allemands s’installent dans la commune en mars 1915, sans escarmouches ni combats, et sans qu’il n’y ait tout au long de cette occupation des actes de barbarie ou de sauvagerie. Si les troupes ennemies font preuve de suffisance, on ne signale que deux comportements inadmissibles : l’un, d’un officier allemand (pris d’ébriété) qui rudoie et menace un vieillard romanais ; l’autre, consistant en une gifle donnée par un soldat à un gamin.
Néanmoins, les contraintes sont nombreuses pour la population : entre août et octobre 1915, les habitants des lieux isolés du village proprement dit (hameaux du « Bois Diot », de la « Cour Avril » et du « Mont de Vergogne ») sont obligés de quitter leurs maisons et doivent vivre obligatoirement à La Romagne.
Dès leur installation, les Allemands imposent une contribution des habitants aux frais de l’armée allemande. La toute première, de 2500 francs (or, argent et billets de banque), date de novembre 1914 et est exigée par le commandant allemand de Chaumont-Porcien. La municipalité est obligée d’emprunter cette somme pour satisfaire à cette demande.
Les contributions suivantes (demandées chaque année) sont encore plus exorbitantes. Par exemple, les autorités allemandes réclament à toutes les communes composant le syndicat de Rethel la somme de 2 100 000 marks. La commune (comme toutes les autres qui sont dans le même cas) n’a pas le choix et accepte le projet d’émission de bons intercommunaux pour solder solidairement cette contribution. A la fin de la guerre la commune est exsangue.
Il est à noter que l’administration française (civile et militaire) ne fait pas preuve d’une grande perspicacité à l’égard des jeunes gens des classes 1915 et suivantes : étant dans l’impossibilité de répondre à la conscription en raison de l’occupation du village et de son classement en « pays envahi », ils sont déclarés insoumis. Or, ils sont en fait dans l’incapacité de répondre à tout appel. Sans être exhaustif, on peut citer Jules Henri Douce ou Axile Fernand Modeste pour avoir connu cette situation. On peut se demander quel en a été l’impact sur les familles et les intéressés, d’autant que le premier a vu son frère disparaître dans cette guerre. La mention qui figure sur leur fiche matricule est rectifiée pour ces deux-là, assez tardivement (en avril et août 1918), et transformée en « insoumis à tort » puisque « le recensement n’avait pu être fait en temps utile par suite d’un cas de force majeure ».
Les plus anciens mobilisés (comme Pierre Lange, né le 29 août 1867 ; Jules Alcide Lelong né le 16 octobre1869 ; Célestin Marandel, né le 28 octobre 1870) ont été libérés le 2 septembre 1914. Mais ils ont été pris dans les lignes allemandes et sont restés en pays envahi, comme l’attestent des avis de la gendarmerie de Chaumont-Porcien. Deux autres soldats natifs du village (Jean-Baptiste Alfred Devie et Antoine Elie Pagnié) se sont retrouvés prisonniers civils :
- le premier à la fin août 1914, à l’issue d’un congé de convalescence ;
- le second en octobre de la même année : après avoir tout d’abord été renvoyé dans ses foyers le 18 août, il ne peut répondre à son rappel par l’armée en novembre, en raison de la situation du village occupé.
Dans les Kommandanturen, on recense les hommes qui n’ont pas été mobilisés et on les convoque en groupe ou individuellement à se présenter à un endroit convenu pour que les autorités allemandes constatent leur présence. Ce genre de réunion se déroule au moins deux fois par mois si ce n’est plus. Les Allemands prennent des otages (sur une liste établie par les autorités occupantes) dans les villages du canton de Chaumont et les envoient à Liart où ils restent trois mois. Au bout de ce délai, ils regagnent leurs villages et sont remplacés par d’autres[1]. La docilité de la population est ainsi acquise. Ils réquisitionnent également dans le village des habitants et des habitantes pour former chaque jour la « colonne » ; ils sont contraints d’effectuer des journées de plus de 10 heures d’un dur labeur.
Tout d’abord, ce sont les élèves des écoles (tant en 1917 qu’en 1918) qui, à partir de 12 ans, sont contraints au travail : ramassage d’orties, destruction de chardons, fenaison, cueillette de mûres, etc. Ces jeunes manifestent leur aversion de plusieurs manières : en se tenant à l’écart des troupes de passage lorsque celles-ci veulent se montrer agréables aux enfants, en travaillant le moins et le plus mal possible, ou en jetant à l’eau tout ce qu’il trouvent appartenant aux soldats (armes ou cartouches, etc.). Ensuite, ce sont des habitants valides qui n’ont pas été mobilisés soit en raison de leur situation militaire comme Alfred Devie ou Théophile Bocquet (réformés), soit à cause de leur jeune âge, comme pour André Carbonneaux[2]. Décrit comme jeune et fort, il décède à la veille de ses 18 ans après avoir reçu quelques soins d’un infirmier allemand et avoir été contraint de travailler alors qu’il était malade. Les femmes ne sont pas épargnées non plus.
La population subit une très forte pression psychologique car elle est sans cesse menacée d’amendes ou d’emprisonnement. De plus, il lui est interdit de communiquer avec les villages voisins ou de correspondre avec les siens. Il semblerait qu’un léger adoucissement ait été apporté à partir de 1916 puisque l’Allemagne permet que « fussent envoyés de l’intérieur des télégrammes transmis par la Croix-Rouge ». Mais bon nombre de ces messages n’ont jamais atteint les destinataires[3].
[1] Archives départementales des Ardennes, 1J 534, Miette-Mermoz, Roland, A travers 3 guerres ou les souvenirs d’un Ardennais [série J = archives d’origine privée (entrées par voie d’achat, don, legs ou dépôt, sous-série 1J = pièces isolées et petits fonds d’origine privée].
[2] Archives départementales des Ardennes, 3R 3-4 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 3R = anciens combattants et victimes de guerre].
[3] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 25J 6 [série J = documents entrés par voie extraordinaire, sous-série 25J = fonds du grand séminaire de Reims (an XII-1945)].
L’infanterie allemande passe le mois de février 1916 à La Romagne, Montmeillant et ses environs. A partir du 6 juin 1916, arrivent à La Romagne des pontonniers et des fantassins allemands venant de Verdun. On fait aussitôt des logements pour les chevaux d’artillerie et les hommes en proportion[1]. La vie est particulièrement difficile avec les restrictions de toutes sortes mais, en 1917, s’ajoute à tout cela un hiver rigoureux.
En octobre 1918, deux ordres mettent en émoi le village : le premier est interprété comme « l’enlèvement de jeunes gens pour les conduire en Belgique » (et même peut-être plus loin) et le second comme « l’enlèvement de 26 jeunes femmes et jeunes filles ». En réalité les premiers sont de retour quelques jours après. Quant aux jeunes femmes, elles ont été conduites à Marlemont, où elles restent deux semaines pour faire le terrassement d’un champ d’aviation.
Des offensives sont lancées à partir de juillet 1918 pour arracher dans une lutte acharnée la ligne Hindenburg mais surtout les défenses de la Hundig Stellung qui bordait la rive occidentale de l’Oise, de Mont-d’Origny jusqu’au confluent de la Serre. Les 31e, 116e et 149e régiments d’infanterie qui, pour certains, comprennent des troupes coloniales sénégalaises, participent aux combats pour ouvrir un passage sur l’Aisne. Le 31e, après avoir livré bataille à Nizy-le-Comte, libère Saint-Quentin-le-Petit, Sevigny et atteint Maranwez le 7 novembre avant de cantonner dans le secteur de Saint-Jean-aux-Bois. Le 6 novembre 1918, Chaumont-Porcien et Rethel sont enlevés par le général Guillaumat, aidé du premier corps d’armée américain.
[1] Lefebvre, Marie, « Journal d’une jeune fille de Rocquigny pendant la première guerre mondiale » in Terres ardennaises, Charleville-Mézières : Fédération des œuvres laïques, 1982- , n° 64, octobre 1998, p. 5-68 ; n° 65, décembre 1998, p. 1-75.
Les Français arrivent à La Romagne très exactement le 7 octobre 1918 à 7 heures du matin et progressent successivement dans cette même journée à Wasigny et Novion-Porcien, avant de se diriger sur Renwez. En parallèle, il faut noter dans ce secteur les interventions de certaines compagnies (les 5/1, 5/3 du 21e régiment du génie), chargées d’ouvrir la voie en détruisant les réseaux puis de rétablir des communications entre Sevigny-Waleppe, Renneville, Wadimont et Rocquigny (des routes étaient coupées par des entonnoirs de mines)[1].
[1] Bibliothèque nationale de France, document numérique, NUMM-6440036, Campagne 1914-1918. Historique des 1er et 21e régiments du génie, Versailles : Imprimeries Jupas et Machard, [19..], 199 p., p. 44, texte numérisé d’après le document original du Service historique de la Défense, 2011-320108, consultable en ligne sur Gallica.
Le conflit prend fin le 11 novembre 1918 mais ses traces dans les esprits ne disparaîtront jamais. Des rumeurs de « fraternisation » circulent et atteignent principalement des femmes. Sept habitants mobilisés trouvent la mort durant ces combats. Ils figurent sur le monument aux morts (ainsi qu’une victime civile, René Dubois). Quant à ceux qui en sont revenus et qui ont été blessés parfois à plusieurs reprises, ils restent hantés par d’horribles visions, dont ils n’ont pas toujours pu parler leur vie durant.
Ensuite, il faut dresser un bilan des pertes matérielles tant pour le village que pour les particuliers. C’est l’architecte de l’arrondissement de Rethel qui est chargé de procéder à l’estimation des dommages de guerre aux immeubles communaux. Quant à l’enquête de la commission cantonale de Chaumont-Porcien, elle fait apparaître que la commune de La Romagne a subi la somme de 560 122 francs de dommages agricoles et que toutes les exploitations avaient été touchées par des dégâts dont la moyenne était d’environ de 25 à 40%[1].
La ligne de chemin de fer est endommagée dès le début de la guerre. Des réparations[2] sont nécessaires en divers points du territoire de La Romagne : c’est le cas des deux ponts qui permettent le passage au-dessus de la ligne pour les communications de La Romagne et Givron avec Draize et Wasigny et la voie le long de la Bouloi, aux Minières et au ruisseau Commelet. A l’issue de ce conflit, des enquêtes diligentées par le juge d’instruction de Rethel demandent aux diverses gendarmeries et en particulier pour les villages du canton de dresser un bilan des comportements individuels et économiques des habitants. Il en ressort que « dans les 20 communes du canton » (parmi lesquelles La Romagne est incluse), aucune personne n’a été désignée comme « ayant fait commerce avec l’ennemi en échangeant de l’or, des billets de banque ou des valeurs contre des bons de monnaie moyennant une certaine prime[3] ».
[1] Archives départementales des Ardennes, 10R 81 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 10R = services temporaires de la période de guerre 1914-1918].
[2] Archives départementales des Ardennes, 9O 21 [série O = administration et comptabilité communales, sous-série 9O = reconstruction et urbanisme].
[3] Archives départementales des Ardennes, 5U 470 [série U = justice, sous-série 5U = tribunal de première instance de Rethel].
Bien que l’armistice soit effectif, la démobilisation ne va pas se faire immédiatement, même pour ceux qui habitent les régions envahies et qui n’ont pas pu durant ces quatre ans retrouver les leurs. Seuls les mobilisés des classes 1887 à 1889 peuvent rentrer chez eux dès la fin novembre 1918. Pour les autres, le retour a lieu entre le premier et le troisième trimestre de 1919. Cela a été très certainement une période compliquée à vivre pour ceux qui venaient de passer des mois et des années difficiles et éprouvants loin de leur foyer, d’autant qu’ils souhaitaient reprendre leur vie d’avant.
Il reste que les hommes des classes 1916, 1917 et 1918 doivent accomplir néanmoins un service militaire de trois ans et c’est ainsi que des jeunes gens de ce village se trouvent impliqués dans les conséquences de ce conflit, ne serait-ce que par leur participation au cours de leur service à l’occupation de la Haute-Silésie et de la Rhénanie (Marcel Carbonneaux) ou dans la Sarre (Albert Victor et Paul Emile Devie).
Cette occupation se veut dissuasive. Elle a pour but d’empêcher les Allemands de reprendre les armes. Mais elle met à jour bien d’autres sentiments (tant chez les occupés que chez les occupants qui, pour certains, rêvent de vengeance et de loi du talion) quand elle ne fait pas découvrir d’autres façons de vivre.
Un autre problème surgit encore : c’est celui des prisonniers de guerre. Certes, leur rapatriement est imposé par l’article 10 des clauses de l’armistice, mais leurs souffrances sont masquées voire niées puisqu’ils sont assimilés à des non-combattants. Il leur faudra attendre une bonne dizaine d’années pour qu’ils soient enfin reconnus à l’égal des combattants et puissent percevoir, comme ces derniers, des primes compensatrices…