Les autobiographies, les journaux intimes[1], les mémoires, les récits personnels peuvent relater des événements extérieurs, recueillir des faits historiques, dresser une chronique de leur époque, présenter un témoignage. A ce titre, ils constituent une source primaire.
[1] Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 2006-91433, Lejeune, Philippe ; Bogaert, Catherine, Le journal intime : histoire et anthologie, Paris : Textuel, 2005, 506 p. [Note : contient également un grand choix d’extraits de journaux de divers auteurs. – Bibliographie pages 459-494. Index].
Un récit de l’exode de 1940 à La Romagne a pu être établi[1] à partir de la lecture du journal manuscrit inédit de Marie-Louise Devie, fille de Jean-Baptiste Alfred Devie et de Reine Alice Vadez. Jeune femme qui atteint ses dix-sept ans pendant cette période, elle a noté son quotidien du 14 mai 1940 au 11 juillet 1941.
[1] Avec l’aimable autorisation de monsieur Martial Bertrand, fils de Marie-Louise Devie et de René Bertrand.
Le 14 mai 1940, pressentant l’arrivée imminente des Allemands, une partie de la famille[1] de Jean-Baptiste Devie, cultivateur à la Bouloi[2], décide de quitter le village. Elle le fait malgré les quolibets des gens du pays, tandis que d’autres membres[3] restent sur place.
[1] La mère Reine Alice Vadez, la grand-mère Marie-Louise Vadez, le fils Louis, la fille Marie-Louise et Reine Marie Lefèvre, cousine germaine de Marie Louise.
[2] Ferme de La Romagne.
[3] Le père Jean-Baptiste Devie, le fils cadet Victor, et l’autre grand-mère Marie Ursule Jennepin (qui ne veut pas partir).
C’est ainsi que, dans une charrette attelée de chevaux et conduite par Louis[1], ces cinq personnes partent sur les routes ardennaises avant de traverser le département de l’Aisne. Elles y subissent, dès le lendemain, les premiers bombardements aux environs d’Evergnicourt, avant d’être confrontées aux voies encombrées le surlendemain.
[1] Le fils aîné.
Il leur faut quatre jours pour atteindre Montdauphin (Seine-et-Marne), non sans avoir passé des nuits parfois écourtées et fraîches sous un hangar, dans la paille d’une grange, ou dans une maison au confort très rudimentaire.
Lors d’une halte d’une journée, ils rencontrent fortuitement des Romanais[1]. Ces derniers leur annoncent la mort d’Aimé Vuillemet et de Marthe Mauroy à la suite de l’explosion d’une bombe sur l’église. Plus tard, d’autres habitants de La Romagne croisés en chemin leur apprennent que « la maison Lucie Bonpart sert de Kommandantur ».
[1] Modeste et Guillaume Marandel.
Ils se remettent en route dès le 20 mai et arrivent le lendemain dans le village de Courceaux (Yonne). Ils restent dans les environs jusqu’au 4 juin, où ils reçoivent un bon accueil et sont logés dans des maisons inhabitées.
Durant tout ce temps, ces réfugiés cherchent et trouvent du travail dans les fermes environnantes, soit en fanant ou en conduisant des voitures de foin (les femmes en particulier font de la couture ou des lessives).
En échange, ils reçoivent de la nourriture, de la boisson et parfois un peu d’argent. Durant cette période, ils ont le bonheur de recevoir des nouvelles du chef de famille qui a, à son tour, quitté La Romagne pour les rejoindre.
Le 5 juin, nouveau départ ! La famille délaisse Courceaux pour arriver deux jours plus tard entre Bellegarde et Lorris (Loiret). Elle y reste jusqu’au 11 juin, chacun travaillant durant ces longues journées. Lors du déplacement suivant, elle croise de nombreux soldats et doit se séparer d’un des chevaux[1] qui, blessé, ne peut continuer. La pauvre bête est vendue à un boucher.
[1] La jument Dragonne.
Le 13 juin, le département du Cher est atteint mais les parcours qui couvraient journellement une petite cinquantaine de kilomètres sont réduits à une douzaine comme d’Argent-sur-Sauldre à Aubigny-sur-Nère, ou de cette dernière ville à Lury-sur-Arnon. Ces ralentissements sont dus aux bombardements, au reflux de soldats et à la proximité des Allemands qui sont à Châteauroux.
Quand elle arrive enfin à Issoudun (Indre) le 17 juin, jour de l’armistice, la famille Devie-Vadez retrouve d’autres réfugiés de La Romagne. Elle se stabilise jusqu’au 5 juillet dans les environs, logeant tantôt à Condé, Sarzay ou Fougerolles, en fonction des travaux des champs et des lieux disponibles.
Le début du mois de juillet marque pour elle le départ pour La Romagne. Le retour est envisagé avec joie. Celle-ci est de courte durée car c’est sans compter sur la décision allemande de faire des Ardennes une zone interdite. La nécessité d’avoir des laissez-passer ne se discute pas.
Du jour au lendemain, l’espoir de retrouver bientôt la terre natale s’éteint. La famille retourne dans une ferme où elle a déjà logé. La vie s’organise une nouvelle fois entre les travaux et les soins de la terre, les récoltes, les vendanges et les rencontres amicales entre Romanais, que ce soit avec les Malherbe, monsieur Cugnart, Les Bonhomme.
Les semaines et les mois passent quand, le 11 juillet 1941, les papiers nécessaires sont enfin en règle. Le retour à La Romagne est désormais une certitude…
Date | Départements | Communes et lieux-dits |
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14 mai 1940 | Ardennes | La Romagne – Givron – Doumely – Chappes – Saint-Fergeux – Hannogne-Saint-Rémy – Banogne-Recouvrance – Le Thour |
15 mai | Ardennes – Aisne | Villers-devant-le-Thour – Avaux-le-Château – Asfeld Evergnicourt – Neufchâtel-sur-Aisne – Menneville – Guignicourt[1]– Pontavert – Concevreux [1] Ancienne commune, qui a fusionné avec Menneville pour devenir Villeneuve-sur-Aisne. |
16 mai | Aisne | Maizy – Villers-en-Prayères – Viel-Arcy – Braine – Limé – Quincy-sous-le-Mont – Jouaignes – Loupeigne – Villemoyenne – Fère-en-Tardenois – Beuvardes |
17 mai | Aisne | Mont-Saint-Père – Mézy-Moulins – Crézancy – Saint-Eugène – Celles-sur-Aisne – Condé-en-Brie |
18 mai | Aisne – Seine-et-Marne | Pargny-la-Dhuys – Artonges – Marchais-en-Brie La Celle-sur-Morin – Montdauphin |
19 mai | Halte | |
20 mai | Seine-et-Marne | Montolivet – Meilleray – La Chapelle-Véronge[1] – [Prellay[2]] – Marchais – Voigny – Villiers-Saint-Georges – Léchelle – Sourdun [1] Ancienne commune, devenue La Chapelle-Moutils suite à sa fusion-association avec Moutils. [2] Lieu non identifié. |
21 mai | Seine-et-Marne | Hermé – Sancy-lès-Provins – Noyen-sur-Seine, Fontaine-Fourches – Courceaux |
22 mai-4 juin | Halte | |
5 juin | Yonne | Plessis-du-Mée – Pailly – Plessis-Saint-Jean – Sergines – Michery – Compigny – Pont-sur-Yonne – Saint-Sérotin – Brannay |
6 juin | Yonne – Loiret | Fontaines – Saint-Valérien – La Belliole – Domats – [Chantecoq[1]] – Champgrand – Savigny-sur-Clairis Courtenay – La Chapelle-Saint-Sépulcre – Montargis – Villemandeur [1] Lieu-dit non identifié. |
7 juin | Loiret | Pannes – Saint-Maurice-sur-Fessard – Bellegarde – Lorris |
8-9 juin | Halte | |
10 juin | Loiret | Montereau – Gien |
11 juin | Halte | |
12 juin | Cher | Argent-sur-Sauldre – Aubigny-sur-Nère |
13 juin | Cher | La Chapelle-d’Angillon – Vierzon – Lury-sur-Arnon |
14 juin | Cher – Indre | Méreau Reuilly – Sainte-Lizaigne – Issoudun |
15-16 juin | Halte | |
17 juin | Indre | Condé – Saint-Léger – Ambrault – Saint-Août |
18 juin | Indre | Saint-Chartier – Sarzay – Fougerolles |
19 juin-4 juillet | Halte | |
5 juillet | Indre | Fougerolles – Sarzay – Nohant-Vic – Saint-Chartier |
6 juillet 1940 | Indre | Saint-Août – Meunet-Planches – Villaines – Issoudun. |
7 juillet 1940-10 juillet 1941 | Halte | |
11 juillet 1941 | Indre – Ardennes | Départ pour La Romagne |