Pour la vie paroissiale, le curé est en étroite relation avec le maire, les échevins, mais aussi avec la fabrique. Ce terme désigne à l’origine la construction d’une église. Le sens évolue vers le temporel d’une paroisse, c’est-à-dire ses biens et ses revenus, puis l’assemblée chargée de les gérer.
Cette dernière se compose de laïcs, appelés marguilliers ou fabriciens selon leur statut. Ils sont désignés ou élus pour un an par les paroissiens, au moment de Noël. Ils doivent normalement savoir lire et écrire. Ils sont souvent choisis parmi les laboureurs aisés.
A La Romagne, il peut y avoir deux marguilliers : le premier est en charge des affaires, tandis que le second (appelé marguillier des trépassés) s’initie aux affaires de la paroisse, avant de les gérer pleinement l’année suivante. Le choix d’un habitant pour remplir cette fonction est « une preuve que la personne est en estime de probité[1] ».
Les deux laïcs doivent assurer la responsabilité de la collecte et l’administration des fonds et revenus nécessaires à l’entretien, aux réparations de l’édifice et au mobilier de la paroisse : argenterie, luminaires, ornements.
[1] Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, département des Manuscrits, Français 20710 [ensemble de 133 feuillets = IV (pièces diverses), collection de Charles Maurice Le Tellier, archevêque-duc de Reims (1642-1710)], Instructions aux marguilliers de chaque paroisse du duché de Mazarin en date de MDCLXXXIII.
Le tout premier marguillier dont on trouve la trace au début du XVIIe siècle est Jean Robin, qui est « constre», c’est-à-dire chargé de rendre les comptes. En 1699, Judin Rifflet exerce à son tour cette charge durant quelques mois[1].
En 1740, c’est Jean Courtois le marguillier de l’église, tandis que le syndic est Louis Lebrun[2] . Ce dernier office est le plus souvent commun à la commune et à l’Eglise, car les gestions civile et religieuse sont étroitement liées.
[1] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 2G 268/7 [série G = clergé séculier, sous-série 2G = fonds de l’archevêché de Reims, cotes 2G 267-268, = doyenné de Rethel (1248-1790)].
[2] Archives départementales des Ardennes, 7 J 43 [série J = archives d’origine privée (entrées par voie d’achat, don, legs ou dépôt), sous-série 7J = collection du docteur Octave Guelliot, érudit local, cote 7J 43 = ex-libris ardennais].
En 1745, en dehors de celles du visiteur et du curé, on trouve parmi les signatures apposées lors de la visite de la paroisse les noms de P. Gagneux, Jean Canon, N. Rifflet, Jean Coutié et François Boudsocq. Puis, en 1783, dans les mêmes circonstances, celles de Pierre Richard Legros (ancien marguillier), François Boudsocq et Davaux. Ces noms sont certainement ceux des membres du bureau de la fabrique[1].
[1] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 2G 268 [série G = clergé séculier, sous-série 2G = fonds de l’archevêché de Reims, cotes 2G 267-268, = doyenné de Rethel (1248-1790)].
La location de terrains fournit d’autres recettes. Si le montant des baux n’est pas versé, la fabrique peut introduire un recours contre le mauvais payeur.
Un exemple en est fourni par Jean Hamelin, laboureur, condamné par une sentence du 1er août 1682, rendue en la cour sénéchalière de Reims, pour « n’avoir pas pu ou pas voulu payer 21 livres » représentant le montant de la location de prés à la fabrique de Montmeillant.
La fabrique tire également des revenus occasionnels de la vente de pommes, mais de plus importants de la vente des bancs de chœur[1] : en 1721, le Prieur Carré et André Sacré, marguillier en service, procèdent à l’adjudication des bancs libres pour un coût variant de « 7 livres pour le premier banc de la droite ou de la gauche à 20 sols[2] la place pour les autres bancs ».
Cette différence de prix permet de mieux comprendre la hiérarchie économique du village, sachant que les places les plus près de l’autel sont les plus chères. D’autre part, il est à remarquer que, quelle que soit la place de la famille dans le village, il n’est à aucun moment question des femmes.
[1] Archives départementales des Ardennes, EDEPOT/ROMAGNE[LA]/E 2 [série EDEPOT = archives communales déposées, sous-série ROMAGNE[LA]/E 2 = registres paroissiaux et d’état civil de La Romagne, 1713-1721, actes de baptême, mariage, sépulture], publication de la vente de bancs de chœur, vue 33/34, consultable en ligne.
[2] Soit une livre.
Les revenus de la fabrique sont administrés par le marguillier. Celui-ci se charge de la recette et détermine la dépense ordinaire, après avoir demandé le consentement du curé et des principaux habitants qui composent le bureau. Il doit présenter chaque année les comptes, après avoir veillé à faire rentrer les diverses sommes d’argent.
Or, malgré les ordonnances royales qui stipulent qu’on enjoint aux marguilliers, fabriciens de présenter les comptes des revenus et de la dépense chaque année, ce n’est pas toujours le cas. Ainsi, en 1745, lors de la visite du vicaire général Zénard Viegen, les comptes de 1743 sont censés être les derniers effectués.
De même, lors de la succession de Louis Letellier établie par maître Watelier (notaire à Wasigny)[1], ce dernier doit la somme de 28 livres 6 sols et 9 deniers au titre de 1758 (année durant laquelle il a été marguillier).
Cette somme est comptée comme dettes passives dans l’acte notarié qui est dressé après son décès. Dans ce rapport, il est question de « revenus en souffrance ». Quelque trente ans plus tard, le problème est le même : en 1774, 600 livres et quelques sols sont dus à la fabrique, alors que « le revenu annuel de celle-ci est d’environ 200 livres[2] ».
[1] Archives départementales des Ardennes, 3E35 499 [série E = état civil, officiers publics et ministériels, sous-série 3E = notaires, articles 3E35/1-613 = archives notariales de Wasigny].
[2] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 2G 268 [série G = clergé séculier, sous-série 2G = fonds de l’archevêché de Reims, cotes 2G 267-268, = doyenné de Rethel (1248-1790)].
Le curé note que « l’on ne fait pas les diligences nécessaires pour faire payer les personnes qui sont redevables à la fabrique », que certaines dettes « remontent à plus de 10 ans », que « certains sont aujourd’hui insolvables » et que les marguilliers en charge « ne veulent pas agir ».
A la suite de ces remarques, le curé écrit en conséquent au procureur fiscal de La Romagne. L’intervention se révèle efficace car, en 1783, il n’est plus question de dettes à l’égard de la fabrique et « les comptes sont rendus exactement ».
Avec son revenu, la fabrique peut payer en 1774 les trente-sept messes hautes avec vigiles, les messes basses, le pain, le vin, le luminaire, la blanchisseuse, l’entretien de la sacristie, du maître autel, et de « tout ce qui est nécessaire ».
Il n’y a pas de date précise pour former un bureau. Il se réunit en fonction des besoins. Or, en 1783, il n’y en a toujours pas d’établi « dans les formes, point de registres ni de papiers titres » mais un « registre des adjudications et reconnaissance des places ».
Quelle que soit l’époque, la personne choisie a parfois du mal, pour diverses raisons, à gérer l’administration de la fabrique. Les quelques documents écrits sont enfermés dans un coffre à trois clés. Celles-ci sont attribuées au curé, au marguillier et au principal paroissien. La consultation des papiers paraît assez difficile dans ces conditions.
A la fin du XVIIIe siècle, la fabrique semble enfin correctement administrée financièrement, d’autant que la location des terres aux principaux habitants du village (Jean-Baptiste Mauroy, Pierre Langlet, Jean Arbonville, Pierre Simon, Nicolas Cercelet, Jean Lépinois, Hubert Laroche, etc.) assure un revenu régulier.
Avec la Révolution, elle plonge dans la tourmente, comme toutes les fabriques des autres paroisses. Le décret du 2 novembre 1789 met à la disposition de la Nation les biens ecclésiastiques, mais indique ne pas toucher à ceux des fabriques. Le décret de brumaire an III déclare en revanche propriété nationale tout actif de ces dernières, même ce qui est affecté à l’acquit[1] des fondations.
[1] Action d’acquitter.
Lieu-dit et surface | Loyer | Locataire | Mise à prix | Vente réalisée | Acquéreur |
---|---|---|---|---|---|
Le Jardin, pièce de pré | 10 livres 15 sols | Jean Tripier, tisserand | 300 livres | 610 livres | Toussaint Lallement |
Le Pont Camelot, cinquante verges de pré | 13 livres | J.-B. Mauroy | 500 livres | 765 livres | J.-B. Suan (La Neuville-lès-Wasigny) |
Le Pré Terlot, cinquante verges | 10 livres 5 sols | J.-B. Lepinois | 400 livres | 445 livres | J.-P. Letellier (le citoyen Tellier) |
La Favée, deux quartels de pré | 10 livres | Pierre Mauroy | 200 livres | 450 livres | Jacques Remacle, homme de loi (Rethel) |
Chemistresse, un quartel de pré | 2 livres 19 sols | Pierre Legros (propriétaire de la Cour Avril) | 100 livres | 100 livres | Pierre Legros |
Le Bois Librecy, trois quartels de pré | 9 livres 10 sols | François Hezette, manouvrier | 200 livres | 300 livres | J. Remacle (Rethel) |
La Fontaine aux Grues, soixante-dix verges de pré | 14 livres | François Mauroy | 400 livres | 665 livres | Jacques Gaudelet (Rethel) |
Les Gros Saules, cinquante verges de pré | 20 livres | Thomas Thomas, laboureur | 800 livres | 810 livres | J. Gaudelet (Rethel) |
Le Grand Sart, trois quartels de pré | 9 livres | François Harbonville, manouvrier | 200 livres | 500 livres | J. Gaudelet (Rethel) |
La Marchotterie, un quartel de pré | 3 livres | Claude Champion (Rocquigny) | 100 livres | 140 livres | J. Gaudelet (Rethel) |
Le Chêne, un quartel de pré | 4 livres | Pierre Langlet, laboureur | 150 livres | 200 livres | J. Gaudelet (Rethel) |
Le Pré Hagnon, deux quartels | 8 livres | J.-B. Millet, manouvrier | 205 livres | 380 livres | J. Remacle (Rethel) |
Le Pré Robin, un arpent | 24 livres | Jean-Charles Boudier, laboureur | 900 livres | 1500 livres | J. Gaudelet (Rethel) |
Le Pré Haguenau, un quartel | 3 livres 16 sols | Pierre Langlet | 100 livres | 200 livres | J. Remacle (Rethel) |
La Houette, trois quartels et un pugnet de pré | 12 livres 9 sols | Pierre Langlet | 300 livres | 800 livres | J.-B. Toupet (Montigny) |
La Houette, trois pugnets de pré | 10 livres | Pierre Davaux | 200 livres | 600 livres | J.-B. Toupet (Montigny) |
Le Rouage, un arpent de pré | 26 livres 15 sols | Thomas Devie | 1300 livres | 1800 livres | J. Remacle-Watelier (Rethel) |
Le Marais, un quartel de pré | 7 livres | Pierre Hamel, manouvrier | 200 livres | 300 livres | J. Remacle-Watelier (Rethel) |
Le Plutaux, neuf quartels de pré | 48 livres | Hubert Laroche | Non précisée | Non précisée | Non précisé |
Les Trois Terroirs, un quartel de pré | 1 livre 6 sols | Pierre Langlet | 40 livres | 135 livres | J.-P. Letellier (le Mont de Vergogne) |
La Huée, cinquante verges de pré | 18 livres | Mathieu Arbonville, cordonnier | 500 livres | 760 livres | Jean Le Roy (Hauteville) |
Moranvaux, soixante-dix verges de pré | 10 livres 15 sols | Mathieu Arbonville | 300 livres | 550 livres | J.-P. Letellier (le Mont de Vergogne) |
Tébouzé, un quartel de pré | 5 livres 10 sols | Jean Lepinois, laboureur | 200 livres | Non précisée | Non précisé |
La Voilarme, un quartel de pré | 4 livres | Nicolas Cercelet | 100 livres | 145 livres | Hamel |
La Voillarme, trois quartels de pré | 11 livres | Nicolas Cercelet | 400 livres | 600 livres | Jean Le Roy (Hauteville) |
Le Pré Pigneau, cinquante verges | 9 livres 10 sols | Pierre Laroche | 400 livres | 510 livres | François Millet |
Le Pré Pigneau, un quartel | 3 livres 5 sols | J.-B. Mauroy | 160 livres | 215 livres | Toussaint Lallement |
La Rigolle, un quartel de pré | 7 livres 5 sols | J.-B. Millet | 200 livres | 330 livres | Hubert Laroche |
La Favée, trois pugnets de pré | 7 livres 10 sols | Pierre Davaux | 200 livres | 300 livres | Jean Le Roy (Hauteville) |
Le 17 fructidor an II, Montain Louis Macquart (juge de paix du canton de Rocquigny et commissaire nommé) inventorie les vêtements sacerdotaux et l’argenterie. L’inventaire estimatif des biens de la fabrique de La Romagne[1] ne concerne que les biens religieux, mais permet de mieux connaître la richesse de l’Eglise quant à la célébration du culte.
Il suit de quelques mois l’inventaire, puis la vente des terres, prés et jardins appartenant à la ci-devant fabrique[2] (19 avril 1793 et 15 août de la même année), dont les principaux acquéreurs ne sont pas les habitants du village ou des environs, mais de riches bourgeois de Rethel.
[1] Archives départementales des Ardennes, Q 503 [série Q = domaines, enregistrement, hypothèques depuis 1790, articles Q 469-832 = administration du séquestre des biens nationaux, cotes Q 483-511 = dossiers des fabriques (par ordre alphabétique des communes), 1790-1808].
[2] Archives départementales des Ardennes, Q 276 [série Q = domaines, enregistrement, hypothèques depuis 1790, articles Q 90-468 = ventes de biens nationaux, cotes Q 272-282 = vente de biens nationaux, district de Rethel, 1790-an IV]. Voir aussi Archives départementales des Ardennes, Q 145 [série Q = domaines, enregistrements, hypothèques depuis 1790, cotes Q 127-147 = ventes de biens nationaux, fonds concernant les affiches de la vente et enregistrement des affiches de vente par districts, 1790-an IV].
Le dernier inventaire est dressé le 23 germinal an II[1] par Montain Louis Macquart, Hugues Crépeaux et Pierre Perrin (menuisier), le premier demeurant à Saint-Jean-aux-Bois et le second à Montmeillant. Une fois l’acte rédigé et la déclaration des présidents et officiers municipaux jurant qu’il ne reste plus aucun bien immeuble appartenant à la fabrique, il apparaît que la valeur totale de l’estimation des biens de l’église s’élève à 1760 livres 15 sols.
C’est à cette occasion que la distinction est faite concernant la propriété du bâtiment puisqu’il est affirmé que les habitants considèrent leur église comme appartenant à leur commune et non comme bien de fabrique[2].
[1] Soit le 12 avril 1794.
[2] Archives départementales des Ardennes, Q 278 [série Q = domaines, enregistrement, hypothèques depuis 1790, articles Q 90-468 = ventes de biens nationaux, cotes Q 272-282 = vente de biens nationaux, district de Rethel, 1790-an IV].
Comme la vente ne peut se faire immédiatement, les meubles et effets sont laissés dans l’église et sacristie sous la surveillance de ladite municipalité. L’acte porte la signature des responsables de celle-ci, tels Langlet (président), Boudié (officier municipal), Pierre Douce, J. Pausé et Macquart. La vente mobilière des biens de la fabrique[1] a lieu le 24 vendémiaire an III[2].
[1] Archives départementales des Ardennes, Q 503 [série Q = domaines, enregistrement, hypothèques depuis 1790, articles Q 469-832 = administration du séquestre des biens nationaux, cotes Q 483-511 = dossiers des fabriques (par ordre alphabétique des communes), 1790-1808].
[2] Le 15 octobre 1794.
Elle est menée par Montain Louis Macquart. Jean-Baptiste Deligny (notaire demeurant à Rocquigny) est aussi nommé audit effet pour la délibération susdite. Elle se fait en présence de Langlois[1] (maire), Boudier et Le Thellier[2] (officiers municipaux), après avoir été annoncée par affiches et par le son de la caisse (ou tambour).
Ces derniers procèdent à la dispersion des « boisseries, bancs, buffets et autres ustenciles restant du mobillier de la ci-devant fabrique du dit lieu de La Romagne ». Les biens sont répartis parmi les habitants de la paroisse ou des villages voisins.
Tout est acquis au comptant, ce qui est assez curieux : la loi n’exigeait qu’un premier paiement de 12%, et permettait de se libérer du reste en douze annuités.
[1] Langlet.
[2] Letellier (variante orthographique).
L’église est totalement vidée de son mobilier. Quelque vingt-huit bancs, dont certains ont un dossier, quand ce n’est pas le « banc du marguillier », trouvent très vite preneurs. Parmi les acquéreurs, on peut citer : Louis Noël, Pierre Mauroy, Toussaint Lallemand, Hubert Laroche, François Millet, François Arbonville, Jean Baptiste Miclet, François Hezette, Nicolas Cercelet, Pierre Lépinois, etc.
Ce sont ensuite l’aigle et son pied (sur lequel on reposaient les évangiles pour la lecture durant la messe) qui sont adjugés à François Devie, ou le confessionnal qui devient la propriété de la veuve de Pierre Lallemand.
Les murs recouverts de lambris ou de boiseries sont mis à nu pour leur vente. Les gradins et le maître-autel sont aussi dispersés parmi des acquéreurs, qui sont quasiment les mêmes.
Les armoires ou les coffres subissent le même sort, pour devenir la propriété de Jean-Baptiste Devaux, Gérard Miclet, François Mauroy.
Il ne reste rien des objets du culte. Même la pierre d’autel, placée au centre de celui-ci, et symbolisant le Christ (elle était gravée d’une croix), est vendue lors de la dispersion des biens. Elle est acquise par Pierre-Simon Legros. A la suite de ces événements, l’église est abandonnée et la fabrique disparaît[1].
Cette frénésie d’achats peut interroger. S’agit-il de mettre à l’abri de la convoitise ces biens, en ces temps troublés ? Ou souhaite-t-on prouver son attachement au nouveau régime, en démantelant ce qui a été, pendant des siècles, le cœur de la paroisse ?
[1] Cette institution est rétablie après la Révolution par l’article LXXVI du Concordat.