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La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) à La Romagne


Ordre de mobilisation générale de la Seconde Guerre mondiale, daté du samedi 2 septembre 1939.
Ordre de mobilisation générale de la Seconde Guerre mondiale, daté du samedi 2 septembre 1939.

Dès les premiers jours suivant la mobilisation et la déclaration de guerre le 3 septembre 1939, diverses troupes françaises se trouvent cantonnées, soit à La Romagne, soit dans les villages environnants, comme au hameau Les Duizettes[1].


[1] Commune de Rocquigny.


Campagne de mai et juin 1940 de la 3e brigade de spahis, avec l'aimable autorisation du colonel (er) Thierry Moné.
Campagne de mai et juin 1940 de la 3e brigade de spahis, carte en couleurs (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Thierry Moné, officier de l’arme blindée qui a commandé le 1e régiment de spahis de 1997 à 1999).

Les soldats sont chargés de surveiller l’arrivée de parachutistes et de bloquer l’accès des Hauts Sarts et de la Verrerie aux blindés. Fin octobre, les spahis de la 3e brigade[1]  (formée à partir des 2e RSA[2] et RSM[3]) rejoignent Novion-Porcien et stationnent pour une partie d’entre eux à La Romagne.


[1] Moné, Thierry (colonel en retraite), Les Spahis de La Horgne : la 3e brigade de Spahis dans les combats de mai et juin, Valence : la Gandoura & CRCL [Calot rouge et croix de Lorraine], amicale des spahis du 1er Marocains, 2010, 205 p., pages 9 et 16 [exemplaire personnel n° 290 sur 400].

[2] Régiment de spahis algériens.

[3] Régiment de spahis marocains.


Un Romanais qui a vécu cette époque s’en souvient :

« Leurs uniformes rutilants et leurs chevaux barbes[1] font grande impression sur les habitants. »

[1] Cheval de selle de race orientale.

Témoignage écrit de monsieur Pierre Malherbe †.

Une anecdote l’a marqué particulièrement lorsqu’il était un tout jeune homme :

« Un beau matin, tout contre la porte de la cave d’Henri Mauroy, nous avons vu des spahis qui s’affairaient auprès d’un cheval mort. Ils ont commencé par le dépouiller puis ont étendu la peau sur des perches avant de débiter des morceaux de viande. C’était vraiment un spectacle insolite pour nous. »

Témoignage écrit de monsieur Pierre Malherbe †.

Ces spahis quittent le village pour être d’abord cantonnés dans les forêts avoisinantes, avant d’être dirigés sur Monthermé, puis de prendre part le 15 mai 1940 aux combats de La Horgne.


Le village voit passer encore bien d’autres troupes, en particulier le 31e d’artillerie venant de Saint-Brieuc (Bretagne) [1]. Se succèdent encore le 9e génie, le 10e d’artillerie et enfin le 18e (qui s’y repose et peut soigner ses chevaux blessés)[2].


[1] Deux cents hommes stationnent à la ferme de la Bouloi avant de monter sur la Belgique.

[2] Témoignage oral de monsieur Louis Devie (Logny-lès-Chaumont).


Certaines de ces troupes construisent des baraquements en bordure de la gare de Draize – La Romagne, où l’un de ceux-ci sert de buvette et a pour enseigne « Au pou qui tète »[1], tandis qu’à proximité s’entasse de la ferraille de récupération. D’autres creusent une tranchée-abri sur la place.


[1] Témoignage écrit de monsieur Pierre Malherbe †.


Bien avant le début du conflit, en raison des nombreuses occupations subies par les Ardennes au cours des siècles précédents, la préfecture, forte d’exemples encore dans toutes les mémoires, prend des dispositions dès les années 1930 pour organiser le départ des populations du nord du département.

Des trajets sont tracés, pour que le déplacement éventuel puisse se passer dans les meilleures conditions possibles, en passant par le sud des Ardennes. Les villages de Draize et de La Romagne sont prévus pour accueillir provisoirement une partie de la population de Charleville, qui pourrait ensuite être acheminée vers des zones de repli.


En mai 1940, lors de l’offensive sur l’Aisne, le village, où se trouvent ce jour-là des évacués de la Meuse, est bombardé : une torpille aérienne (projectile de gros calibre) et des bombes causent certes de sérieux dégâts matériels, en particulier sur l’église. Elles concernent surtout des pertes humaines, civiles et militaires : Aimé Vuillemet (le garde champêtre qui annonce l’ordre d’évacuation) et Marthe Mauroy sont tués sur le coup. C’est aussi le cas d’un soldat français du nom de Laurent Stéphane Marie Marchand[1]. Deux autres périssent quant à eux aux abords de la Draize, où ils sont enterrés sur place avant de l’être dans le cimetière paroissial.


[1] Service historique de la Défense, site de Caen, AC 21 P 81257, [série AC = victimes des conflits contemporains, sous-série AC 21 P = MPDR (ministère des Prisonniers, déportés et réfugiés) puis MACVG (ministère des Anciens combattants et victimes de guerre), dossiers individuels].


Le sort s’acharne, ce jour-là, sur la famille d’Aimé Vuillemet : son fils Paul est atteint par un éclat de bombe. Pour l’accueil des blessés, deux infirmeries sont établies dans le village, dont l’une au bord du chemin qui mène à la Cour Avril, et l’autre dans la maison de Marceau Carbonneaux[1].


[1] Témoignage oral de monsieur René Lelong †.


Le 10 mai 1940, l’ordre d’évacuer les Ardennes est donné. Le lendemain, tous les habitants de La Romagne quittent le village le cœur gros, la mort dans l’âme de devoir abandonner leurs bêtes. Par exception, quelques-uns restent : monsieur et madame Ledouble, leur fils Jules et madame Pagnié, qui est assez âgée[1].

Alors que, de longue date, un plan d’enlèvement du bétail a été prévu par les autorités et pour chaque canton[2], il ne peut être appliqué en raison de la rapidité de l’avance des troupes allemandes. Les cultivateurs, bouleversés, doivent laisser leurs bêtes dans les prés.


[1] Témoignage écrit de monsieur Pierre Malherbe †.

[2] Archives départementales des Ardennes, 1M 119 [série M = administration générale et économie depuis 1800, sous-série 1M = administration générale (fonds du cabinet du préfet)].


Après avoir bien inutilement fermé leurs maisons, les habitants partent en exode, les uns en automobile, les autres dans des charrettes tirées par les chevaux qui n’ont pas été réquisitionnés par l’armée. Dès le 2 septembre 1939, les principaux cultivateurs voient partir la plupart de ces animaux de trait. En 1941, il n’en reste plus que vingt-sept sur la petite soixantaine que comptait La Romagne juste avant les réquisitions. Les derniers Romanais partent à vélo ou à pied.


Château de Châtenay à La Chataigneraie (Vendée), photographie en couleurs, collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Gréau, président du CHEL (Cercle d'histoire et d'études locales).
Château de Châtenay à La Chataigneraie (Vendée), photographie en couleurs, collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Gréau, président du CHEL (Cercle d’histoire et d’études locales).

L’ordre d’évacuation totale des Ardennes jette sur les routes tous les Ardennais ou presque dans un désordre indescriptible : aucun des plans arrêtés ne peut être mis à exécution, en raison de l’urgence. LesRomanais se replient vers les départements des Deux-Sèvres et de la Vendée. C’est ainsi que la famille Cugnart se retrouve au château de Châtenay à La Chataigneraie (Vendée)[1].


[1] Archives départementales des Ardennes, 1M 127 [série M = administration générale et économie depuis 1800, sous-série 1M = administration générale (fonds du cabinet du préfet)].


André Druart (personnage le plus à gauche) à Borcq-sur-Airvault (Deux-Sèvres), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †).
André Druart (personnage le plus à gauche) à Borcq-sur-Airvault (Deux-Sèvres), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †).

Eugène François Lesein rejoint Rosnay (Indre) en passant par Mareuil-sur-Lay-Dissais (Vendée). Numa Edmond Lesein atteint Saint-Sulpice-en-Pareds (Vendée), tandis que la famille Druart est à Borcq-sur-Airvault (Deux-Sèvres). Dans cette commune, après des moments difficiles à vivre, une rencontre se concrétisera par un mariage.


Quelques habitants de La Romagne (Ardennes) réfugiés dans une école privée à Gourdon (Lot) en juillet 1940, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †). Sous toutes réserves, les personnes identifiées de gauche à droite et de bas en haut seraient les suivantes : au premier rang, Rosa Malherbe née Bompart (n°2), Euphrasie Bompart née Marandel (n°3), Marcel Malherbe (n°4), Lucie Malherbe (n°5), René Malherbe (n°6), Maurice Malherbe (n°7) ; au deuxième rang : André Legros (n°2), Lucie Legros née Malherbe (n°4), Madeleine Legros (n°6), Alfred Marandel (n°7), Pierre Malherbe (n°9), Pierre Marandel (n°10), René Didier(n°11), Lucie Laroche (n°12), Madame Didier (n°13).
Quelques habitants de La Romagne (Ardennes) réfugiés dans une école privée à Gourdon (Lot) en juillet 1940, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †). Sous toutes réserves, les personnes identifiées de gauche à droite et de bas en haut seraient les suivantes : au premier rang, Rosa Malherbe née Bompart (n°2), Euphrasie Bompart née Marandel (n°3), Marcel Malherbe (n°4), Lucie Malherbe (n°5), René Malherbe (n°6), Maurice Malherbe (n°7) ; au deuxième rang : André Legros (n°2), Lucie Legros née Malherbe (n°4), Madeleine Legros (n°6), Alfred Marandel (n°7), Pierre Malherbe (n°9), Pierre Marandel (n°10), René Didier(n°11), Lucie Laroche (n°12), Madame Didier (n°13).

D’autres habitants trouvent refuge dans des lieux divers, non envisagés au départ. Certains font une étape à Coulanges-sur-Yonne (Bourgogne), avant d’atteindre Gourdon (Lot), où ils retrouvent les familles Malherbe, Legros, Didier, Marandel, etc. Les familles Devie et Bonhomme sont logées près d’Issoudun (Indre), au moulin de la Bonde.


Le préfet des Ardennes, qui se trouve à Sainte-Hermine (Vendée), constate dans un de ses courriers que les conditions dans lesquelles s’est produite l’évacuation n’ont pas toujours permis de diriger la population repliée dans les communes initialement assignées[1]. La Romagne en est l’illustration parfaite.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1M 123 [série M = administration générale et économie depuis 1800, sous-série 1M = administration générale (fonds du cabinet du préfet)].


Portrait de Joseph Dominique Albertini en uniforme militaire, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Marie-Hélène Beltrami).

Quoique l’armistice soit signé le 17 juin 1940, de nombreux Romanais faits prisonniers ne rentrent qu’au bout de plusieurs années : c’est le cas par exemple d’Achille Cotte[1] ou de Dominique Albertini. Pour la plupart, ces soldats ne sont libérés qu’en 1945.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1145 W 10 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Le retour se fait très difficilement, et de manière échelonnée : dès le 1er juillet 1940, une zone interdite située au nord de l’Aisne est établie dans le département, et englobe le village. Pour rentrer, des laissez-passer sont nécessaires. Ils sont accordés selon le bon vouloir des autorités allemandes, qui multiplient les tracasseries administratives.


Les agriculteurs se demandent ce que sont devenues leurs cultures et leurs bêtes en leur absence. Seuls quelques-uns d’entre eux (comme André Didier ou Adolphe Macquin) peuvent rentrer à cette date.

L’absence de la majorité des exploitants permet aux Allemands de s’emparer aussitôt de terres : Alcide Cugnart, Alexis Boudaud et Alfred Devie (mais ce ne sont pas les seuls[1]) se voient confisquer respectivement vingt-quatre, trente-cinq et quarante-deux hectares. En outre, l’occupant leur prend leur matériel (faucheuse, moissonneuse, brabants, tombereaux, herses et râteaux), sous le prétexte fallacieux d’abandon.


[1] Archives départementales des Ardennes, 11R 89 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 11R = services temporaires de la période de guerre 1939-1945].


Le retour définitif du plus grand nombre s’étale sur presque toute l’année 1941, avec un pic en mai. Et ce n’est qu’en novembre que s’effectue le retour du dernier, Aristide Carbonneaux-Fétrot.

Date du retour à La Romagne (Ardennes)Nom du cultivateur
Juillet 1940Didier, André
Novembre 1940Macquin, Adolphe
1er mars 1941Lesein, Edmond
20 avril 1941Cotte, Achille (de retour d’un camp de prisonniers de guerre)
1er mai 1941Bocquet-Huet, Ernest
1er juillet 1941Marquigny, Joseph
3 juillet 1941Devie, Paul (de retour d’un camp de prisonniers de guerre)
1er août 1941Devie, Alfred
11 août 1941Boudaud, Jean-Baptiste
24 septembre 1941Chrétien, Gustave Henry
Non préciséeMarandel, Ernest
Non préciséeCugnart, Alcide
1er novembre 1941Legros, Auguste
9 novembre 1941Carbonneaux-Fétrot, Aristide
Quelques exemples du retour des cultivateurs à La Romagne (Ardennes) après l’exode de mai 1940.

Les Romanais dont le retour a lieu le plus tôt, c’est-à-dire en juillet 1940, retrouvent d’emblée La Romagne occupée par des troupes allemandes, dont une partie s’est installée dans l’école[1], et qui ne quitteront le village qu’en juin 1941.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1 W 5 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


En revanche, ceux qui reviennent après janvier 1941 ont la fâcheuse surprise de découvrir qu’ils ne peuvent réintégrer leur exploitation qu’à condition de travailler comme salariés agricoles de l’Ostland[1].

Cette situation entraîne des frictions et des plaintes auprès du procureur de La République, notamment lorsque certains des derniers rentrés découvrent chez leurs voisins du matériel ou du bétail qui leur appartenait autrefois, et qui aurait été « confié » par les Allemands.


[1] Ostdeutsche Landbewirtschaftung-gesellschaft ou Société agricole d’Allemagne orientale, créée par le ministre de l’Alimentation et de l’agriculture du Reich allemand.


Emprise de la WOL à La Romagne, Archives départementales des Ardennes, 12 R 144, [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 12R = archives des services allemands pendant la guerre de 1939-1945].
Emprise de la WOL à La Romagne, Archives départementales des Ardennes, 12 R 144, [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 12R = archives des services allemands pendant la guerre de 1939-1945].

L’Ostland applique dans les Ardennes un programme de confiscation de terres, comme cela a été fait peu de temps auparavant en Pologne. Cette société est représentée par la WOL[1], à la tête de laquelle se trouve le directeur départemental, établi à Charleville. Un Kreislandwirt[2] est nommé par arrondissement. Un Bezirkslandwirt[3] contrôle chaque canton. Un Betriebsleiter[4] réside dans la commune qu’il supervise, ou vit à proximité immédiate.


[1] Wirtschaftoberleitung (service de mise en culture).

[2] Agriculteur d’arrondissement.

[3] Agriculteur de canton.

[4] Gérant, c’est-à-dire un chef de culture.


Ce dernier est un civil allemand qui applique une nouvelle politique agricole : l’occupant trouve que la culture ardennaise comporte trop de prés et de bois. Les paysans, désormais sous la férule germanique, doivent travailler en commun toutes les terres pour les emblaver[1] le plus possible, sans tenir compte des possessions de chacun[2]. En témoigne l’enlèvement des bornes marquant les limites des propriétés (Il faudra les remettre en place une fois la guerre terminée).


[1] Ensemencer en blé.

[2] Archives départementales des Ardennes, 1 W 35 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Cette prise de terres concerne quelque deux cent un hectares, rien que pour La Romagne (dont cinquante de cultures et cent cinquante et un de pâtures). Pour lui donner un aspect de légalité, les Allemands la notifient au préfet, qui doit à son tour en informer le propriétaire et le maire du village.


Ensuite, ce sont les bâtiments pour abriter les récoltes qui sont réquisitionnés (la grange de La Romagne n’est rendue à son usage premier que le samedi 31 mars 1945). Des maisons sont saisies pour servir de logement à des ouvriers travaillant pour le compte de la WOL de Draize (c’est le cas de bâtiments appartenant à Joseph Marquigny[1]).


[1] Archives départementales des Ardennes, 11R 409 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 11R = services temporaires de la période de guerre 1939-1945].


Au moment de l’invasion allemande, la Romagne compte trente-deux exploitations, dont vingt ont moins de vingt hectares. Parmi les douze restantes, seules deux ont une superficie comprise entre cinquante et cent ha[1].


[1] Archives départementales des Ardennes, 56 W 37 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


La reprise est difficile pour la campagne 1940/1941, car peu de sols peuvent être ensemencés (environ vingt-deux ha), et ce n’est qu’en 1942 que les terres sont à nouveau cultivées. Les exploitants se heurtent alors à de nouvelles obligations, puisqu’ils sont contraints de déclarer leurs récoltes et de les livrer à des organismes stockeurs. S’ils n’ont pas le matériel nécessaire, ils doivent faire appel obligatoirement à l’entrepreneur de battage désigné par l’occupant.


Aussitôt les habitants partis, des vols de bétail se produisent, des troupeaux d’armée sont formés. Le bétail errant devient propriété de la WOL, qui le confie à certains agriculteurs du village. Ce n’est qu’après bien des palabres, des démarches et des menaces que deux cultivateurs (Messieurs Cugnart et Lesein) parviennent à récupérer chacun… une bête[1].


[1] Archives départementales des Ardennes, 1050 W 57 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Cette situation contraste fortement avec ce qui se passe du côté allemand, selon un Romanais qui a connu cette période :

« Une quarantaine de vaches confisquées par la WOL se trouvaient à la ferme de la Bouloi et étaient traites par des femmes d’origine polonaise. »

Témoignage oral de monsieur Louis Devie (Logny-lès-Chaumont), dont les parents étaient les propriétaires de cette ferme.

Lorsque la vie agricole reprend à La Romagne en 1941, il ne reste plus que cent un bovins. Les quelques attributions de bétail qui sont accordées sont fort modestes : à plusieurs reprises, une commission cantonale ne concède qu’une ou deux bêtes. Malgré toutes les difficultés endurées, il y en aura deux cent douze à la fin de l’année 1943.

À la suite de la disparition de la WOL, les attributions de bétail sont alors plus importantes. Il ne faut cependant pas croire que le cultivateur dispose comme il l’entend de sa production laitière. Il doit se conformer en cela (et comme pour le reste) aux décisions allemandes.


La Romagne doit fournir trente kilos de beurre par semaine, et la commune de Givron est contrainte d’en procurer cinq. Le responsable de la Kommandantur de la Romagne exige du maire de Montmeillant que tout le beurre fabriqué dans sa commune lui soit livré, sinon il sera arrêté une nouvelle fois.

La production ne peut aller qu’aux Allemands, qui achètent ce beurre 28 francs le kilo. Ces quantités de beurre représentent mille quatre cents à mille cinq cents litres[1] de lait. Pour se rendre compte de l’exigence, il faut savoir qu’une vache laitière en produit environ mille quatre cent soixante litres par an.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1 W 35 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Comme les troupeaux n’ont plus rien à voir avec ceux d’avant-guerre, les laiteries ne peuvent pas s’approvisionner normalement. Ces contraintes provoquent en particulier les doléances des établissements Hutin Frères[1], qui font le ramassage dans tout le secteur depuis longtemps, et qui sont désormais obligés de « faire un long trajet sans obtenir un seul litre de lait, en raison des contraintes de la Kommandantur ».


[1] Laiterie de La Neuville-lès-Wasigny (Ardennes).


D’autre part, les habitants font face à des difficultés de ravitaillement, tant alimentaire que vestimentaire. Les tickets de rationnement font leur apparition et parfois la chasse nocturne aux grenouilles menée par des jeunes gens du village améliore l’ordinaire des quelques habitants qui en bénéficient[1]. Les occupants manifestant un profond dégoût pour ces animaux, ils ne risquent pas de les confisquer à leur profit !


[1] Témoignage écrit de monsieur Pierre Malherbe †.


Adaptation au gazogène du camion de la cidrerie Malherbe à La Romagne (Ardennes), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l'aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †).
Adaptation au gazogène du camion de la cidrerie Malherbe à La Romagne (Ardennes), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †).

Pour ce qui est des vêtements, le canton de Chaumont dispose pour l’ensemble des communes qui en font partie d’un certain nombre de points, qui doivent être répartis en fonction du nombre d’habitants de chaque village. Un cahier des attributions est tenu.

C’est ainsi que l’on sait qu’il faut douze points pour acquérir un blouson, et vingt-cinq pour un pantalon de travail. Quant au carburant, il est parcimonieusement attribué, obligeant chacun à modérer son utilisation des moyens de transport.


Rares sont les habitants (pour ne pas dire aucun), qui retrouvent leur maison intacte. La cidrerie, installée dans le village depuis les années vingt, est pillée : l’armée de l’occupant se serait livrée à diverses rapines, dont celui de vins et spiritueux[1].

Ce ne sont certainement pas les seuls responsables : entre le 11 mai (jour du départ des habitants) et la prise du village par les Allemands le 14 mai, des troupes françaises et des réfugiés belges ont traversé la commune et y ont aussi probablement participé.


[1] Archives départementales des Ardennes, 13R 1661 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 13R = dommages de guerre 1939-1945].


Périodiquement, le maire reçoit de la part des autorités allemandes des demandes de cantonnement. Il essaie d’y répondre le plus possible par la négative, arguant de l’état du village, avec ses maisons inhabitables et le pillage déjà subi[1].


[1] Archives départementales des Ardennes, 1 W 35 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Les habitants entendent passer régulièrement des bombardiers allemands qui se dirigent vers l’Angleterre.

« Parfois, les avions ennemis perdent en cours de route des réservoirs, ce qui est attesté par ceux retrouvés aux Houis ou dans le bois d’Angeniville. D’autre part, les Allemands ont installé des radars à Doumely, mais aussi entre Marlemont et Signy-l’Abbaye, et un mirador sur la route des Fondys. »

Témoignage oral de monsieur René Lelong †.

Fernand Mennessier récupérant des débris d'avion du côté de Fraillicourt (Ardennes), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Michel Mauroy).
Fernand Mennessier récupérant des débris d’avion du côté de Fraillicourt (Ardennes), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Michel Mauroy).

Puis c’est le tour de bombardiers anglais, partant ou revenant de leur mission sur le territoire allemand. Comme ceux-ci, pourchassés par l’aviation ennemie, s’écrasent parfois dans des communes voisines (comme à Novion-Porcien, Fraillicourt ou Rocquigny), ce spectacle ajoute à l’horreur vécue par les populations.


La présence allemande est encore plus pesante lorsque la loi sur le STO[1] est promulguée. Elle concerne des jeunes gens de la commune ou y ayant des attaches, nés entre 1919 et 1923. Une vingtaine d’hommes sont concernés pour ces quatre années, dont Raymond Mauroy, Pierre Malherbe et Robert Laroche.


[1] Service du travail obligatoire.


Couverture de la brochure, non paginée, sans mention d'édition, Travailler en Allemagne, c'est gagner sa vie dans de bonnes conditions, Archives départementales des Ardennes, 1 W 151-3 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Couverture de la brochure, non paginée, sans mention d’édition, Travailler en Allemagne, c’est gagner sa vie dans de bonnes conditions, Archives départementales des Ardennes, 1 W 151-3 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

A partir de 1942, l’Allemagne a besoin de travailleurs, car nombre de ses ouvriers ont été mobilisés sur le front russe. Le recrutement d’ouvriers français volontaires est fondé sur la relève, instaurée dès le mois de juin. Un prisonnier est libéré contre trois ouvriers s’engageant à travailler en Allemagne.

Très rapidement, la donne change et c’est une libération accordée pour sept travailleurs qui s’engagent. Une importante propagande vantant les conditions de travail, de salaire, etc. accompagne la politique de collaboration du régime de Vichy.

Au-delà des avantages sociaux, l'Allemagne nazie vante aux travailleurs français les loisirs mis en place dans ses usines.
Au-delà des avantages sociaux, l’Allemagne nazie vante aux travailleurs français les loisirs mis en place dans ses usines.

En réalité, peu d’hommes se laissent ainsi séduire. C’est pourquoi l’Etat français fait parvenir des notes d’orientation hebdomadaire aux préfets pour rappeler que l’effort de propagande pour la relève ne doit pas se ralentir. L’argument est qu’en partant les ouvriers serviraient la cause de la France[1], ou que les prisonniers seraient d’autant plus nombreux à rentrer que le rythme de départ d’ouvriers serait plus important[2].


[1] Archives départementales des Ardennes, 1 W 150, note d’orientation hebdomadaire n° 12 en date du 16 octobre 1942 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

[2] Archives départementales des Ardennes, 1 W 150, note d’orientation hebdomadaire n° 15 en date du 6 novembre 1942 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


La pression des autorités sous l’Occupation se fait sentir de plus en plus : en 1942, elle exige l’envoi de trois cent cinquante manœuvres non spécialisés. En 1943, il y a environ deux mille départs pour tout le département, qui compte deux cent vingt-six mille habitants[1].


[1] Archives départementales des Ardennes, 1 W 150 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Chaque travailleur se rendant en Allemagne doit être en possession d’un passeport valable. Cette demande est souscrite avec la plus grande sincérité et exactitude dès son arrivée.

Dans une lettre de la préfecture de police de Paris au préfet des Ardennes à Mézières en date du 2 février 1943, on apprend que Raymond Mauroy se trouve en Allemagne depuis le 30 novembre 1942 et qu’il a fait une demande de passeport le 17 janvier 1943 lors de son arrivée[1] à Solingen (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Il sera de même pour Pierre Malherbe et Robert Laroche.


[1] Archives départementales des Ardennes, 112 W 11 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


En vertu d’un arrêté ministériel du 25 novembre 1942 et d’un arrêté préfectoral du 10 décembre 1942, chaque commune est obligée d’effectuer un recensement général des travailleurs disponibles : ce dernier concerne tous les hommes de dix-huit à cinquante ans. Ils sont ensuite répartis en différentes catégories (âge, situation familiale, etc.).

Il apparaît qu’un certain nombre de villages ardennais ne sont pas pressés de répondre à cette demande : c’est le cas de La Romagne, Givron, Rocquigny, Sery, Le Fréty, etc. Ils sont rappelés à l’ordre.


A partir de cette époque, ce recrutement a un caractère quasi obligatoire, et les réfractaires sont poursuivis beaucoup plus activement. Cette recherche, opérée par la gendarmerie, n’est pas sans créer des tensions entre la maréchaussée et la population. Elle entraîne aussi des scrupules chez les gendarmes, si bien que quelques-uns d’entre eux ne manifestent pas pour ce genre de mission une ardeur à toute épreuve.

Ils laissent parfois échapper une information sur la date et le but de leur tournée : les concernés peuvent ainsi trouver refuge dans l’environnement forestier du village. Pour se soustraire à ce recrutement, André Barré rejoint le maquis de Signy-l’Abbaye et le groupe de Draize, sous la direction de Fernand Miser.

Cet insigne des troupes de forteresse (secteur fortifié des Ardennes) est un symbole de résistance.
Cet insigne des troupes de forteresse (secteur fortifié des Ardennes) est un symbole de résistance.

Carte de travail et certificat de libération[ArbeitskarteBefreiungsschein], travail auxiliaire [Hilfsarbeit] dans l’usine de Volkswagen [Volkswagenwerk], ville de la Coccinelle [Stadt des KdF.-Wagens], arrondissement de Gifhorn [Krs. Gifhorn], collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †.

Dans des rapports en provenance de la brigade de Chaumont-Porcien datant de mars et juin 1943, le brigadier évoque que le regard de la population change à leur égard, dans la mesure où la gendarmerie est intervenue non seulement lors de réquisitions pour l’Allemagne, mais aussi en raison du STO.

Dans son compte rendu de septembre, il insiste sur la répugnance éprouvée par les militaires par rapport aux ordres concernant le STO, soulignant qu’ils n’agissent que par contrainte et discipline, ce qui les met en porte-à faux vis-à-vis de la population.

Dans un autre document, il souligne que, de mars 1943 à mai 1944, quatre-vingt-huit recherches de réfractaires au STO sont restées infructueuses dans le canton. Par là, il laisse flotter l’idée que, sans rien dire, les gendarmes n’auraient pas apporté tout le zèle requis, afin d’être en accord avec leur conscience[1] .


[1] Service historique de la Défense, département de la Gendarmerie, site de Vincennes, 8E 226, registre de correspondance confidentielle au départ (R/4) du 16 septembre 1942 au 14 décembre 1946 [série E = compagnies puis groupements de gendarmerie départementale, sous-série 8E = compagnie de gendarmerie départementale des Ardennes (1917-1946), article 8E 226 = brigade territoriale de Chaumont-Porcien, 1942-1946].


Vadon, Jacques, Secteurs et maquis de la Résistance ardennaise, Archives départementales des Ardennes, 1 Fi 132 [série Fi = documents figurés, cartes, plans, gravures, cartes postales, photographies, dessins, sous-série 1Fi = documents de dimensions 24 * 30 cm et au-dessus].
Vadon, Jacques, Secteurs et maquis de la Résistance ardennaise, Archives départementales des Ardennes, 1 Fi 132 [série Fi = documents figurés, cartes, plans, gravures, cartes postales, photographies, dessins, sous-série 1Fi = documents de dimensions 24 * 30 cm et au-dessus].

Le maquis de Signy-l’Abbaye se livre à des actions ciblées vers les moyens de communications pour déstabiliser l’ennemi. En réaction, ce dernier fait surveiller les chemins de fer, en particulier ceux de la ligne Hirson – Charleville, mais en vain : les partisans continuent leurs opérations. De ce fait, des restrictions de la liberté de circuler pour les habitants du secteur sont appliquées. Le couvre-feu est ramené à 20 heures au lieu de 22 heures.


La Résistance fournit également son aide lors de parachutages (un terrain est créé à Chaumont-Porcien) ou assiste des clandestins qui souhaitent rejoindre les maquisards[1]. De juin à août 1944, son action s’intensifie, tandis que des destructions de matériel ont lieu contre des biens utilisés au profit des Allemands, comme à Saint-Jean-aux-Bois ou à Wasigny[2]. Les voies ferrées sont sabotées afin de retarder l’armée allemande dans son action.


[1] Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, FOL-D1 MON-36, Giuliano, Gérard ; Lambert, Jacques, Les Ardennais dans la tourmente : l’Occupation et la Libération, Charleville-Mézières : Terres ardennaises, 1994, 453 p., page 159 [Contient un choix de documents et de témoignages.]

[2] Archives départementales des Ardennes, 1050 W 116 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Pont du chemin de fer de La Romagne, repérage topographique des lieux-dits de La Romagne (Ardennes) effectué avec monsieur Christian Beltrami le jeudi 24 mars 2022. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
Pont du chemin de fer de La Romagne, repérage topographique des lieux-dits de La Romagne (Ardennes) effectué avec monsieur Christian Beltrami le jeudi 24 mars 2022. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

Dès le début de l’année, après avoir étudié le plan vert[1], André Point dit « commandant Fournier » [2] propose des déraillements sur certaines lignes, ce qui en rendrait l’exécution beaucoup plus facile.

Les coupures prévues sur la ligne de Liart – Amagne auraient lieu entre Montmeillant et Draize – La Romagne puis entre Novion-Porcien et Amagne[3]. Ces suggestions sont acceptées malgré l’arrestation d’un responsable de la SNCF et d’une équipe plan vert[4].

Elles permettent de répondre aux instructions données par la Résistance de se préparer à une insurrection nationale, en perturbant les transports et en lançant des actions contre les troupes de l’Occupation.


[1] Qui a pour but de neutraliser les voies ferrées.

[2] Chef de la Résistance ardennaise, membre de l’OCM (Organisation civile et militaire).

[3] Archives départementales des Ardennes, 1393 W 9 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

[4] Archives départementales des Ardennes, 1293 W 17 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Croquis de l'engin explosif trouvé près de la gare de Draize – La Romagne (Ardennes), Archives départementales des Ardennes, 1050 W 144 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Croquis de l’engin explosif trouvé près de la gare de Draize – La Romagne (Ardennes), Archives départementales des Ardennes, 1050 W 144 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

Le 10 juin vers 18 heures, une explosion se produit à deux kilomètres de la gare de Draize – La Romagne, à un endroit où la voie longe la forêt de Signy-l’Abbaye, alors que le train circule au ralenti. Le rail intérieur est déchiqueté et arraché sur une longueur de trois mètres environ, en même temps qu’une traverse. Aussitôt, une patrouille allemande de la Feldgendarmerie[1] fouille les alentours sans rien découvrir, sauf un débris dans le ballast qui semble provenir d’un petit engin explosif.


[1] Police militaire allemande.


Après une immobilisation de quelques heures, le convoi repart vers 21 heures[1]. Le lendemain, c’est une locomotive et cinq wagons qui sont détruits, nécessitant une vingtaine d’heures pour le déblai et les réparations. Le même jour, une autre locomotive et quatre wagons d’un train de matériel déraillent.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Pont du chemin de fer à Montmeillant, repérage topographique des lieux-dits de La Romagne (Ardennes) effectué avec monsieur Christian Beltrami le jeudi 24 mars 2022. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
Pont du chemin de fer à Montmeillant, repérage topographique des lieux-dits de La Romagne (Ardennes) effectué avec monsieur Christian Beltrami le jeudi 24 mars 2022. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

Le 19 juin vers 23 heures, un train de troupes déraille, obstruant les voies pour une dizaine d’heures. Quelques jours plus tard, c’est un nouveau train de marchandises qui déraille près de Montmeillant. Après le départ des soldats ennemis, un avion allemand aurait mitraillé la gare de Draize – La Romagne[1].


[1] Témoignage oral de monsieur René Lelong †.


Dans la nuit du 21 au 22 juillet, le réseau télégraphique et téléphonique permettant les communications entre les gares de Wasigny et Draize – La Romagne est mis hors service : cinq poteaux ont été abattus[1].

Trois jours après, à la nuit tombée, une explosion en gare de Draize – La Romagne détruit la station d’alimentation en eau, la machine fixe est hors d’usage.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Télégramme du 28 août 1944 par le chef de gare de Wasigny, Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Télégramme du 28 août 1944 par le chef de gare de Wasigny, Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

Le 28 août vers 20h30 (selon le rapport de la gendarmerie) trois explosions ont lieu à proximité, endommageant un appareil d’aiguillage, provoquant ainsi une interruption de trafic de 24 heures qui fait suite à une action permettant de couper la voie 1 en gare de Draize – La Romagne.

Télégramme du 29 août 1944 par le chef de gare de Wasigny, Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Télégramme du 29 août 1944 par le chef de gare de Wasigny, Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

André Barré (jeune homme portant des lunettes) et ses compagnons de la Résistance, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Angélique Barré).
André Barré (jeune homme portant des lunettes) et ses compagnons de la Résistance, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Angélique Barré).

Ces diverses actions sont menées par le réseau de résistance de Liart – Signy-l’Abbaye et la section de Draize, mouvements ralliés à différents moments par des jeunes gens de la Romagne[1] : André Barré (homologué FFC[2] et FFI[3])[4], Robert Carbonneaux (homologué FFI)[5], Raymond Ravignon et Raymond Didier en août 1944.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1293 W 58 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

[2] Forces françaises combattantes.

[3] Forces françaises de l’intérieur.

[4] Service historique de la Défense, site de Vincennes, GR 16P 34597 [série GR = guerre et armée de Terre, sous-série GR P = Deuxième Guerre mondiale (1940-1946), inventaires GR 16 P = dossiers individuels de résistants].

[5] Service historique de la Défense, site de Vincennes, GR 16P 105945 [série GR = guerre et armée de Terre, sous-série GR P = Deuxième Guerre mondiale (1940-1946), inventaires GR 16 P = dossiers individuels de résistants].


Colonne de chars américains le 31 août 1944 sur le chemin de Renneville, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Gilbert Lebrun).
Colonne de chars américains le 31 août 1944 sur le chemin de Renneville, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Gilbert Lebrun).

Fin août, les Américains sont à Liart. Au cours des diverses opérations qui ont lieu lors de la libération du territoire, des soldats allemands sont pris et faits prisonniers à leur tour. C’est un retournement de situation, puisque des habitants du village ont eux-mêmes été capturés lors de la débâcle et libérés, selon leur statut, entre mars 1941 et mai 1945[1].


[1] Cette dernière date s’applique en général aux militaires de carrière.


Quelques–uns de ces prisonniers vivent à La Romagne, soit chez des cultivateurs, soit à la cidrerie où travaillent un ancien pilote de la Luftwaffe et Karl Kleiser (n° de prisonnier 452157).

Fiche de Karl Kleiser, prisonnier à La Romagne, Archives départementales des Ardennes, 44 W 13 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Fiche de Karl Kleiser, prisonnier à La Romagne, Archives départementales des Ardennes, 44 W 13 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

Ce dernier, né le 12 novembre 1926 à Vohrenbach (Land du Bade-Wurtemberg), reçoit son certificat de libération le 5 août 1947 et devient un travailleur libre[1].

Il reste ensuite quelque temps à La Romagne, avant de regagner son pays. Il garde contact avec les personnes chez lesquelles il a été placé, préfigurant la réconciliation franco-allemande qui voit le jour dans les années soixante.


[1] Archives départementales des Ardennes, 44 W 13 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


La Romagne n’en a pas fini avec la guerre et, même si celle-ci n’est plus sur son territoire, elle est présente avec le départ pour l’Indochine ou l’Algérie de quelques Romanais[1].


[1] Cette partie de l’histoire du village ne peut pas être abordée dans l’état actuel des recherches, en raison de la loi du 15 juillet 2008 sur la publication des archives.

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Maladies et accidents de la vie quotidienne à La Romagne


Médiathèque Georges-Delaw (Sedan), fonds Gourjault, carton 128, [Notes biographiques et documents originaux concernant des personnalités de Sedan et des Ardennes.], division 50 [Claude Chastillon, topographe, XVIIe siècle], partie c. [Nota bene : c. 29 gravures signées par C. Chastillon dont : le château de Chappes en Champagne - 2 cartes du verdunois - Richecourt - Le Château de Reims en ruine - Le château de Sainte-Menehould - Rozoy-en-Thiérarche - Dinant et Château-Regnault - Attigny - Abbaye de Signy - Le château de Thugny, 3 pièces - Le château de Bouvignes - Le château de Grandpré - Juniville - Le château de lambertelle - Le château de Chili - Le château de Rochefort. 24 figures identifiées et 5 gravures de châteaux champenois], notice descriptive consultable en ligne sur le Catalogue collectif de France (CCFr).
Médiathèque Georges-Delaw (Sedan), fonds Gourjault, carton 128, [Notes biographiques et documents originaux concernant des personnalités de Sedan et des Ardennes], division 50 [Claude Chastillon, topographe, XVIIesiècle], partie c. [Nota bene : contient 29 gravures, dont l’Abbaye de Signy], notice descriptive consultable en ligne sur le Catalogue collectif de France (CCFr).

Comme il est important depuis le Moyen Age, pour les familles quelque peu aisées, de se préoccuper du sort des malades, un certain Adam de Galery fait donation en 1286 aux moines de Signy d’une maison avec grange et dix setiers de terre sis à La Romagne. Il y ajoute des rentes en froment pour les besoins des malades, tout en gardant l’usufruit jusqu’à sa mort[1].

Un lieu-dit, assez proche du village mais sur le terroir de Rocquigny, porte le nom de maladrerie : cela atteste (mais surtout rappelle) la présence très ancienne d’un établissement, probablement de petite taille, où l’on regroupe les malades des environs.


[1] Archives départementales des Ardennes, H 205 [série H = clergé régulier avant 1790, cotes H 1-409 = abbayes, prieurés et couvents d’hommes, cotes H 203-237 = abbaye royale de Notre-Dame de Signy, cisterciens, filiale d’Igny, ligne de Clairvaux, commune de Signy-l’Abbaye, cotes H 205-206 = cartulaire (1134-1729) et table (XVIIIe siècle), 1134-XVIIIe siècle].


Ruisseau de la Fontaine aux Pous, repérage topographique des lieux-dits de La Romagne effectué avec monsieur Christian Beltrami le jeudi 13 mai 2021. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
Ruisseau de la Fontaine aux Pous, repérage topographique des lieux-dits de La Romagne effectué avec monsieur Christian Beltrami le jeudi 13 mai 2021. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

Les actes de décès faisant mention de la cause de la mort sont rares. Néanmoins, il faut avoir présent à l’esprit les conditions climatiques et météorologiques, l’alimentation souvent insuffisante ou de mauvaise qualité, la misère générale et l’hygiène lamentable des habitations à l’extérieur : les fumiers contaminent souvent les puits, et les immondices s’étalent parfois dans les rues. Depuis toujours, le problème de ces engrais naturels s’est posé pour la qualité de l’eau et l’hygiène des rues dans un premier temps et des demeures, dans un second.


Yersinia pestis (bactérie vue au microscope à balayage).
Yersinia pestis (bactérie vue au microscope à balayage).

Bien que l’on n’ait pas de renseignements directs concernant la Romagne, on peut penser que la peste s’est manifestée périodiquement entre 1347 et 1635, puis de nouveau en 1636 comme elle l’a fait, à plusieurs reprises, à Sery ou à Wasigny : une liste des morts et une pierre de l’église y témoignent des nombreuses victimes dues à la contagion[1].

Les années de famine ou de disette s’accompagnent généralement de maladies. C’est ce qui se passe à propos des conséquences de l’hiver 1709. L’on constate pour le village une chute vertigineuse des naissances en 1710, au point que le solde naturel[2] est déficitaire.

Les habitants de La Romagne et des environs doivent faire face à un certain nombre de maladies et d’épidémies. Outre la peste, dont les ravages se font sentir régulièrement, d’autres fléaux reprennent à la fin du 16e siècle. Puis, dès 1701, c’est une « attaque de discentrie » qui les frappe.


[1] Bibliothèque nationale de France, document numérique, NUMP-3639, Baudon, Albert, « Le registre des sépultures de Sery (1628-1660) », in Revue d’Ardenne et d’Argonne : scientifique, historique, littéraire et artistique publiée par la Société d’études ardennaises, 1re année, n° 1 (novembre/décembre 1893)-22e année, n° unique (1915/1923), Sedan : imprimerie Laroche, 1893-1923, 8e année, n° 1, novembre 1900, p. 125-133, périodique consultable en ligne sur Gallica.

[2] Différence entre le nombre de naissances et celui des décès.


Bibliothèque nationale de France, document numérique, NUMM-9782642, Meyserey, Guillaume Mahieu de, Méthode aisée et peu coûteuse, de traiter avec succès plusieurs maladies épidémiques, comme la suette, la fièvre miliaire, les fièvres pourprées, putrides, vermineuses & malignes, suivie dans différens endroits du royaume & des pays étrangers, avec les moyens de s'en préserver […], Paris : Veuve Cavelier et fils, 1753, texte numérisé d’après l’original de la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-TE29-4 (A), consultable en ligne sur Gallica.
Bibliothèque nationale de France, document numérique, NUMM-9782642, Meyserey, Guillaume Mahieu de, Méthode aisée et peu coûteuse, de traiter avec succès plusieurs maladies épidémiques, comme la suette, la fièvre miliaire, les fièvres pourprées, putrides, vermineuses & malignes, suivie dans différens endroits du royaume & des pays étrangers, avec les moyens de s’en préserver […], Paris : Veuve Cavelier et fils, 1753, texte numérisé d’après l’original de la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-TE29-4 (A), consultable en ligne sur Gallica.

En 1718 c’est « la suette miliaire » qui se répand à partir de Château-Porcien jusque Wasigny et Lalobbe. Cette maladie ne s’attaque qu’à des sujets robustes, alors qu’elle épargne les enfants et les vieillards. Elle commence par « une sueur sans grande fièvre, un petit mal de tête et une soif ardente[1] ».  Du deuxième au quatrième jour apparaît une congestion de la face. Les symptômes peuvent devenir violents très rapidement, et évoluer vers un délire ou un coma. La mort survient en quelques heures. Pour traiter cette maladie, il faut rester alité et suer beaucoup : on donne au malade de l’eau colorée avec du vin, des tisanes et la diète est imposée, même si le malade à très faim.


[1] Railliet, Georges (docteur), « Une épidémie de suette miliaire dans le Porcien au XVIIIe siècle », in Bulletin de la Société française d’histoire de la médecine, Paris : [R. Lacer], 1902-1942, tome XXIV, année 1930, p. 389-397, fonds de la SFHM [Société Française d’Histoire de la Médecine], 1930, n° 24, exemplaire numérisé d’après l’original de la Bibliothèque interuniversitaire de Santé, pôle médecine-odontologie, consultable en ligne sur Medica.


Considéré comme une mauvaise herbe, le chiendent (Agropyron repens, Elytrigia repens, Elymus repens, Triticum repens) est censé possèder des vertus anti-infectieuses.
Considéré comme une mauvaise herbe, le chiendent (Agropyron repens, Elytrigia repens, Elymus repens, Triticum repens) est censé possèder des vertus anti-infectieuses.

De 1733 à 1740 apparaissent rhumes, fluxions et pleurésies. Ainsi, Jean Tâté note qu’entre avril et juin 1741 à Château-Porcien « de nombreux rhumes incommodent les enfants ». Il compare ces maladies à une espèce de claveau[1]. Périodiquement, ces divers maux réapparaissent[2].

La bourrache officinale (Borago officinalis) est une plante annuelle courante en Europe.
La bourrache officinale (Borago officinalis) est une plante annuelle courante en Europe.

Dans les cas des fluxions ou de la toux, on tente de combattre la complication inflammatoire et on essaie de débarrasser les premières voies « des levains putrides qui y séjournent ». On recourt à la saignée, aux purgatifs doux comme « une décoction de casse avec de la manne », à des lavements et aux boissons comme les tisanes d’orge ou de chiendent. Pour la toux, on utilise « des béchiques mariés avec des antiseptiques », de la bourrache avec du kermès minéral.


[1] Maladie due à un poxvirus, qui se traduit par une fièvre élevée, un écoulement des yeux et du nez. Elle est propre aux bêtes à laine.

[2] Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-TH PARIS-14424, Picard, Louis, « Les Épidémies dans le Porcien et les régions circonvoisines de 1772 à 1782 », thèse de médecine, numéro d’ordre 551, Paris : imprimerie de A. Lapied, 1938, 103 p. Voir aussi Archives départementales des Ardennes, PERH7 1, Railliet, Georges, « Les épidémies dans le Porcien et les régions circonvoisines de 1772 à 1782 d’après la thèse du docteur Louis Picard », in Bulletin du Comité des amis du musée [publié par la Société d’études historiques et archéologiques du Rethélois et du Porcien], Rethel : Musée du Rethélois et du Porcien, 1931-1939, n° 9, 1939, p. 20-25, notice consultable en ligne.


Le blason régional de la Thiérache est parti, en un coupé en chef fascé d'argent et de gueules de huit pièces et en pointe d'azur aux trois fleurs de lys d'or et en deux d'azur semé de fleurs de lys d'or, sur le tout d'or au lion de gueules.
Le blason régional de la Thiérache est parti, en un coupé en chef fascé d’argent et de gueules de huit pièces et en pointe d’azur aux trois fleurs de lys d’or et en deux d’azur semé de fleurs de lys d’or, sur le tout d’or au lion de gueules.

De 1772 à 1780, les villages ardennais du Porcien sont frappés à tour de rôle par des « fièvres putrides inflammatoires », que l’on qualifierait de nos jours de grippes. On peut aussi noter des dysenteries venues de la proche région de la Thiérache, et plus particulièrement par l’épidémie de Rozoy. Vers novembre 1778, une épidémie de « fièvre pourpreuse » (ou scarlatine) fait son apparition. Grâce aux gelées, elle régresse temporairement, avant de réapparaître vers mars pour disparaître en mai.

La scarlatine est une maladie infectieuse de la peau due à la bactérie Streptococcus pyogenes (vue au microscope, version colorisée).
La scarlatine est une maladie infectieuse de la peau due à la bactérie Streptococcus pyogenes (vue au microscope, version colorisée).

La grande chélidoine (Chelidonium majus) est une plante de la famille des Papavéracées.
La grande chélidoine (Chelidonium majus) est une plante de la famille des Papavéracées.

Quelle que soit l’époque, les hommes ont cherché à soulager leurs maux. Le curé de Doumely, Givron et Bégny note vers 1684 quelques remèdes qu’il aurait pu reprendre dans un recueil populaire à l’époque, le Médecin des pauvres. Ce sont des empiriques, pour combattre la « pierre » (ou calculs rénaux).

La gomme du cerisier est en fait due à une maladie de l'arbre nommée gommose.
La gomme du cerisier est en fait due à une maladie de l’arbre nommée gommose.

Le nombre de recettes montre l’importance de ce mal. Elles tentent de soulager les douleurs qu’il entraîne. L’une permet de « rompre la pierre et de faire uriner en moins de trois heures », l’autre propose de la briser quand elle se trouve dans la vessie.

Grande pimprenelle ou sanguisorbe officinale (Sanguisorba officinalis).
Grande pimprenelle ou sanguisorbe officinale (Sanguisorba officinalis).

Pour cela, il faut mélanger dans du vin blanc de « l’entre-deux des noix, de la racine de chélidoine, de la gomme de cerisier sauvage que l’on a fait brûler jusqu’à ce qu’elle devienne blanche, des racines de guimauve, de la bardane, du persil, du fenouil, des feuilles de saxifrages, de la pimprenelle, des noyaux de ‘pesche’ de nèfles »[1].

Comme son nom l'indique, la rue fétide (Ruta graveolens) dégage une odeur forte et désagréable.
Comme son nom l’indique, la rue fétide (Ruta graveolens) dégage une odeur forte et désagréable.

Ce curé propose également une recette pour se débarrasser de la vermine et des puces en particulier. Il faut faire une décoction de « rhue » (probablement la rue fétide, autrefois très utilisée) à laquelle on mêle de l’urine de jument. Heureusement que nos ancêtres n’avaient pas la même sensibilité olfactive que la nôtre !


[1] Laurent, Paul, « Les remèdes populaires dans les Ardennes au XVIIe siècle », in Archives historiques, artistiques et littéraires : recueil mensuel de documents curieux et inédits, chronique des archives et bibliothèques, tome 1 (1889/90) – tome 2 (1890/91), Paris : Etienne Charavay, 1889-1891, tome deuxième (1890-1891), p. 333-335, Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, microforme, MICROFILM M-5174, bobine reproduite d’après l’original de la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-LC18-418.


repérage topographique des environs de La Romagne effectué le samedi 10 avril 2010. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
Etang du Woicheux (un des plans d’eau du terroir), repérage topographique des environs de La Romagne effectué le samedi 10 avril 2010. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

Pour la santé, il faut aussi relever l’influence du climat et du travail. L’humidité de la région est propice aux rhumatismes articulaires, à l’arthrite et aux autres maladies liées à un sol humide. Les actes notariés[1]  indiquent parfois que certaines personnes âgées sont dans l’incapacité de signer en raison de tremblements, bien qu’elles aient su autrefois, ou parce qu’elles ne peuvent plus se mouvoir.  La difficulté du travail fait apparaître des déformations du squelette et bien souvent les dos sont courbés avant cinquante-cinq ans.

Le froid, lui, favorise les congestions. C’est ce que l’on constate dans ce secteur, surtout pour les mois de janvier et de février, lorsque les journaux du XIXe siècle relatent, dans la rubrique des faits divers, les causes de décès. Nombreux sont les hommes victimes de ce mal foudroyant lorsqu’ils sortent de leur maison, ou qu’ils se déplacent sur les chemins pour vaquer à leurs occupations.


[1] Archives départementales des Ardennes, 3E 14/139 [série E = état civil, officiers publics et ministériels, sous-série 3E 14/1-324 = archives notariales de Chaumont-Porcien et Seraincourt].


La puce de rat Xenopsylla Cheopis est responsable de la transmission du typhus murin, notamment via les céréales.
La puce de rat Xenopsylla Cheopis est responsable de la transmission du typhus murin, notamment via les céréales (vue au microscope, version colorisée).

La première moitié du XIXe siècle voit encore des épidémies comme celles du typhus, qui éclatent en 1812 et 1814 à Rethel et dans sa région, et qui sont liées aux passages de troupes.

Typhus exanthématique, transmis par le pou de corps et la bactérie Rickettsia prowazekii (vue au microscope à balayage, version colorisée).
Typhus exanthématique, transmis par le pou de corps et la bactérie Rickettsia prowazekii (vue au microscope, version colorisée).

En 1832, dès le mois de mai, le choléra est présent, il se manifeste par des signes avant-coureurs (pesanteur dans la tête, jambes coupées, dévoiements d’entrailles). Il fait des ravages si importants que 59% des malades du canton de Chaumont-Porcien décèdent.

Bactérie Vibrio cholerae (vue au microscope, version colorisée).
Bactérie Vibrio cholerae (vue au microscope, version colorisée).

Cette maladie est connue dans la région et n’en est pas à sa première apparition. Les journaux jouent un rôle dans l’information ou dans la diffusion de traitements, en publiant des articles recommandant des mesures d’hygiène. Ces dernières nous semblent élémentaires de nos jours, mais elles n’étaient pas évidentes à l’époque.

Bibliothèque nationale de France, document numérique, NUMM-5421386, Larrey, Dominique-Jean, Mémoire sur le choléra-morbus, Paris : J.-B. Baillière, 1831, 1 vol. (46 p.), texte numérisé d’après l’original de la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-TD57-9, consultable en ligne sur Gallica [Le chirurgien en chef de la Grande Armée a consacré plusieurs ouvrages à la maladie].
Bibliothèque nationale de France, document numérique, NUMM-5421386, Larrey, Dominique-Jean, Mémoire sur le choléra-morbus, Paris : J.-B. Baillière, 1831, 1 vol. (46 p.), texte numérisé d’après l’original de la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-TD57-9, consultable en ligne sur Gallica [Le chirurgien en chef de la Grande Armée a consacré plusieurs ouvrages à la maladie].

Un hebdomadaire[1] rappelle qu’il faut éviter d’avoir dans les maisons des volatiles qui peuvent causer l’infection, ou d’avoir des cours avec un amas d’excréments, d’urine, de fumier et autres immondices. Un pharmacien de Rethel, monsieur Misset, rue du Grand Pont, y fait une publicité, qui se recommande tout de même du docteur Larrey ! Elle concerne des ceintures protégeant du « choléra-morbus ». Leur efficacité est certainement très improbable, mais cela permet de comprendre la peur que déclenche cette maladie.

Le camphrier (Cinnamomum camphora) a été utilisé contre l'épidémie de choléra en 1831–1832.
Le camphrier (Cinnamomum camphora) a été utilisé contre l’épidémie de choléra en 1831–1832.

Quant aux autres remèdes proposés, sont-ils plus efficaces ? Il faut mettre le malade dans un lit modérément chaud, et surtout ne faire aucune application extérieure comme les vésicatoires ou les sinapismes. Ensuite, on prépare une solution qui consiste à dissoudre une partie de camphre dans six parties de fort alcool, puis à en donner quelques gouttes au malade sur un peu de sucre, et ce jusqu’à ce que les symptômes soient moins alarmants. Espérons que c’était au moins agréable pour le malade, à défaut d’être souverain !


[1] Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-LC11-849, Feuille d’affiches, annonces et avis divers des arrondissemens de Rethel et Vouziers, 1re année, n° 1 (1821) -12/13e année, n° 657 (13 oct. 1832) [?], Rethel : Impr. de Beauvarlet, 1821-1832, onzième année, n° 603, samedi 17 septembre 1831, recto-verso.


Bosse, Abraham (graveur), la Saignée. scène de genre, eau-forte et burin, 1632, consultable en ligne sur le portail des expositions virtuelles de la Bibliothèque nationale de France.
Bosse, Abraham (graveur), la Saignée, eau-forte et burin, 1632, consultable en ligne sur le portail des expositions virtuelles de la Bibliothèque nationale de France.

Autrefois, le chirurgien-barbier ne pouvait pas pratiquer tous les soins. Il se contentait de pratiquer les saignées, les pansements, les petites opérations et l’arrachage des dents. Le premier dont on trouve la trace dans l’état civil est Jean Berthot (époux de Jeanne Triffont), décédé en 1678[1]. L’officier de santé, dont la fonction a été créée à partir de la Révolution, fait office de médecin uniquement dans le département où il a été reçu, sans en avoir le titre.

Chrysler museum (Norfolk, Virginia), numéro d'inventaire 71.480, le Chirurgien barbier par David Teniers le Jeune, vers 1670.
Chrysler museum (Norfolk, Virginia), numéro d’inventaire 71.480, le Chirurgien barbier par David Teniers le Jeune, vers 1670.

Pour les fractures ou déplacements, on fait appel à des empiriques ou rebouteux. Cependant, comme en témoignent certains comptes de tutelle dressés après décès, on a aussi recours à un chirurgien (dont les fonctions sont très différentes de celles exercées de nos jours). Au début du XVIIIe siècle, on peut citer Remacle Merlin, maître chirurgien, Charles Devigny ou, un peu plus tard, Bertin (chirurgien à Chaumont). Il n’est autre que celui qui habitait auparavant à la Romagne, et dont on trouve trace dans le rôle des tailles de 1771. Il exerce conjointement avec Antoine Pardaillan, lui aussi de La Romagne, ou il le remplace. Parfois, on a recours à un chirurgien plus éloigné, tel Berton (chirurgien à Wasigny). Il est ainsi appelé pour soigner Louis Letellier. Sans résultats, hélas !

Bibliothèque interuniversitaire de Santé, pôle médecine-odontologie, 005501, référence image 08762, Bauhin, Gaspar, Theatrum anatomicum, Francfort-sur-le-Main : Johann Theodor de Bry, 1621, planche p. 163, gravure et burin, notice consultable en ligne.
Bibliothèque interuniversitaire de Santé, pôle médecine-odontologie, 005501, référence image 08762, Bauhin, Gaspar, Theatrum anatomicum, Francfort-sur-le-Main : Johann Theodor de Bry, 1621, planche p. 163, gravure et burin, notice consultable en ligne.

En 1743, il existe à la cense de la Viotte, paroisse de La Férée, un chirurgien oculiste dénommé Jean Palmier. A ce jour, aucun document ne permet de savoir où il exerçait son art, quels étaient ses patients et dans quels domaines précis il les traitait. A la Romagne résidait Gérard Merlin (marié à Jeanne Leblanc, qui était chirurgien. A partir de 1780, les habitants peuvent aussi avoir recours à Louis Lambert Marache, maître en chirurgie qui exerce à Rocquigny.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1J 21 9 [série J = archives d’origine privée (entrées par voie d’achat, don, legs ou dépôt), sous-série 1J = pièces isolées et petits fonds (série ouverte), article 1J 21 = histoire du Porcien (dons Didion et abbé Henry, novembre 1949), cote 1J 21 9 = cahier concernant Montmeillant et La Romagne, des extraits des registres paroissiaux et d’état-civil (1678-1860), les familles Lantenois, Hamel, Mauroy et Picard, des notes par A. Picard].


Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 936.15.480, Brascassat, Jacques-Raymond, Taurillon, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.
Reconstitution de l’apothicairerie de l’Hôtel-Dieu de Saint-Louis (Charleville), ensemble présenté au Musée de l’Ardenne.

Le dépouillement des registres de l’hôpital de Charleville[1], qui subsistent encore pour la période antérieure à la Révolution, fait état de la prise en charge d’au moins trois habitants :

  • Marguerite Delangre, épouse d’Etienne Gasque dit « La Bonté », hospitalisée à deux reprises (d’abord en 1754, puis en 1779) ;
  • Marie-Catherine Arnoult, épouse de Guillaume Varlet, admise en 1786 ;
  • un adolescent, François Varlet, fils de Guillaume Varlet, en 1782.

La durée moyenne du séjour est de quinze à vingt-cinq jours, sans qu’aucune indication ne vienne expliquer pourquoi ces habitants ont été soignés aussi loin de leur demeure. Cela est d’autant plus étonnant qu’il existait un hôpital à Château-Porcien, certainement plus pratique d’accès.

Ensuite, et jusqu’au début du XXe siècle, on ne connaît rien des maladies qui ont pu atteindre la population villageoise. Les registres accessibles de l’hôpital de Rethel[2] font surtout état d’appendicites chez des sujets jeunes, de quelques fractures (dont une mortelle), de congestions pulmonaires ou de bronchites sévères. Ce n’est pas nouveau, compte tenu des conditions de vie liées au travail nécessitant de fréquents va-et-vient entre l’extérieur et l’intérieur.


[1] Archives départementales des Ardennes, F1 [série F = fonds divers se rattachant aux archives civiles entrés avant 1940, cotes F 1-58 = état des fonds subsistants, première partie, cotes F1-3 = manuscrits de l’abbé Bouillot (1758-1833), notices diverses sur l’histoire des Ardennes, 1800-1827].

[2] Archives départementales des Ardennes, documents divers [série HDEPOT = archives versées ou déposées par les établissements hospitaliers, sous-série HDEPOT/RETHEL = fonds de l’hôpital-hospice de Rethel (1714-1958)].


Saint Gorgon, martyr romain de l'époque de Dioclétien, est fêté le 9 septembre.
Saint Gorgon, martyr romain de l’époque de Dioclétien, est fêté le 9 septembre.

Les Romanais, dans l’espoir d’une guérison, se rendent au très ancien pèlerinage de Chaumont-Porcien, auquel il est déjà fait allusion bien avant la Révolution. Il permet, le lundi de Pentecôte, d’honorer à la fois saint Berthauld et sainte Olive, invoqués pour protéger des fièvres. Sinon, il se rendent à celui du Fréty qui existe aussi depuis des temps immémoriaux, et qui est réputé pour la guérison des écrouelles, des maladies nerveuses, de la goutte, des rhumatismes, et des douleurs quelles qu’elles soient. Là, ils prient saint Gorgon.


Mortier de pharmacie en marbre avec son pilon (datation estimée du XIXe siècle).
Mortier de pharmacie en marbre avec son pilon (datation estimée du XIXe siècle).

A la fin du XIXe siècle est mis en place, souvent de façon rudimentaire, un service médical gratuit pour les nécessiteux. La Romagne y adhère, moyennant le versement de trois francs par indigent. Les communes peuvent se faire inscrire auprès de la préfecture, afin de bénéficier de ce service pour les plus pauvres de leurs habitants. Les médecins et pharmaciens, qui voient ces patients désargentés, envoient à la fin de chaque exercice la note de leurs honoraires, et reçoivent en retour une somme proportionnelle au nombre de malades. Ce montant ne représente pas toutefois la totalité des frais[1].


[1] Archives départementales des Ardennes, DEP/ARDENNAIS 25, « Une question intéressante » [chronique locale et régionale], in Le Petit Ardennais : journal politique [« puis » journal républicain] quotidien, Charleville : [s.n.], 1880-1944, treizième année, n° 3994, dimanche 14 février 1892, p. 2 [presse locale ancienne, vue 2/4, consultable en ligne]. Voir aussi Archives départementales des Ardennes, DEP/ARDENNAIS 25, « Une question intéressante » [chronique locale et régionale, suite et fin], in Le Petit Ardennais : journal politique [« puis » journal républicain] quotidien, Charleville : [s.n.], 1880-1944, treizième année, n° 3999, vendredi 19 février 1892, p. 2 [presse locale ancienne, vue 2/4, consultable en ligne].


Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 936.15.480, Brascassat, Jacques-Raymond, Taurillon, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.
Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 936.15.480, Brascassat, Jacques-Raymond, Taurillon, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.

Trop souvent, par manque de sécurité, les cultivateurs sont victimes d’accidents tel celui, tragique, du 21 février 1849. Ce jour-là, Jean-Baptiste Lantenois, jeune homme âgé d’une vingtaine d’années, trouve la mort en voulant arrêter un taureau furieux qui parcourait les rues du village et aurait mis ainsi la vie des habitants en danger.

La presse locale ancienne, dont Le Petit Ardennais, nous renseigne également sur la fréquence des accidents spécifiques à la vie à la campagne. Il donne aussi une indication sur l’âge des victimes. C’est tout d’abord un jeune garçon de quatorze ans (Jules Thonnelier), qui doit être amputé après s’être blessé avec une serpe, lorsque la gangrène se déclare quelque temps après (28 janvier 1905).

C’est ensuite un domestique (Aristide Carbonneaux) qui, monté sur une voiture, fait un faux mouvement, tombe de celle-ci, ce qui provoque de nombreuses contusions et une incapacité de travail durant quinze jours (22 avril 1906). C’est aussi une femme (Adolphine Dela, 66 ans), blessée par une vache qui s’est élancée sur elle, l’a frappée de deux coups de cornes dans l’estomac et l’épaule, entraînant des contusions et une fracture de l’épaule (novembre 1906).


Un tombereau est un véhicule à deux roues destiné au transport des marchandises.
Un tombereau est un véhicule à deux roues destiné au transport des marchandises.

Le transport et la conduite de chargements divers mettent en évidence les dangers qui guettent les domestiques de culture. Théophile Davenne, qui conduit un tombereau chargé, tombe si malencontreusement qu’une des roues lui contusionne grièvement la jambe gauche.

Ce même type d’accident guette également les transporteurs de charrois de pierres, très souvent victimes des blocs abandonnés par d’autres charretiers pour caler momentanément leurs véhicules : âgé de 26 ans, Charles Créquy tombe, entre la gare et La Romagne, sous la roue de sa voiture chargée de roches. Il a le crâne brisé. Son corps est retrouvé quelques instants plus tard (février 1890).

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Elevage et pâturage à La Romagne


Agneaux et brebis, repérage topographique des environs de La Romagne effectué le samedi 10 avril 2010. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
Agneaux et brebis des Ardennes, repérage topographique des environs de La Romagne effectué le samedi 10 avril 2010. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

L’élevage se pratique sur des terres privées pour les laboureurs les plus aisés, ou sur les terres de la communauté pour la plus grande partie des habitants. Ces communaux comprennent aussi bien des prés que des bois comme zone de parcours pour le bétail.


Pâtures, repérage topographique des environs de La Romagne effectué le samedi 10 avril 2010. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
Pâtures ardennaises, repérage topographique des environs de La Romagne effectué le samedi 10 avril 2010. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

La communauté villageoise régit par divers règlements[1] les vaines pâtures, un très ancien droit coutumier qu’ont les habitants d’une même commune de faire paître les bestiaux et les troupeaux sur les héritages des uns et des autres, à condition qu’il n’y ait ni semences ni fruits. Ce droit permet au bétail de circuler sur les chaumes après la récolte, et de fertiliser la terre. Les moutons ne peuvent être menés aux vaines pâtures que « dans les pasquis et versaines trois jours seulement après la récolte ».


[1] Les citations en italique sont tirées de ces derniers, sauf mention contraire.


Musée Flaubert et d’histoire de la médecine (Rouen), 2004.0.58.7, machine de Madame Du Coudray, mannequin utilisé pour l’enseignement de l’art des accouchements, les jumeaux, 2e moitié du 18e siècle, notice consultable en ligne sur le portail des collections du Réseau des musées de Normandie.
Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 907.19.234, Troyon, Constant, Rentrée de troupeau, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.

Le village veille aussi au respect des différentes règles concernant les troupeaux, de manière à ce que « personne ne laisse sortir les bêtes de l’étable pour les champs que les pastres n’aient sonné du cor », puisque le bétail ne peut être envoyé à la pâture « qu’après que la messe de paroisse aura été dite », sauf de Pâques jusqu’en septembre où le « bestail » peut partir au jour et revenir à huit heures à l’étable.


Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d'inventaire 907.19.337, Millet Jean-François, Berger gardant son troupeau, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.
Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 907.19.337, Millet, Jean-François, Berger gardant son troupeau [détail], notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.

Le berger est responsable dans tous les cas des dégâts que font ses bêtes, et doit en répondre. Simon Suant, berger communal de La Romagne en 1751, se trouve ainsi mis en cause dans un procès pendant[1] en la baronnie de Chaumont  par Brice Bolle, fermier de La Binotterie, car ses « bêtes à laine ont fait des dégâts dans un jardin à lui appartenant et aux haies de celui-ci ». Il est condamné à payer à ce laboureur 27 livres pour tous dépens, dommages et intérêts[2].


[1] Une affaire est dite pendante lorsqu’un tribunal a été saisi et que la cause n’a pas encore été jugée.

[2]  Archives départementales des Ardennes, 3E 3666 [série E = état civil, officiers publics et ministériels, sous-série 3E = notaires, cotes 3E 3540-4093 = archives notariales de Château-Porcien].


Agneaux et brebis des Ardennes, repérage topographique des environs de La Romagne effectué le samedi 10 avril 2010. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
Agneaux et brebis des Ardennes, repérage topographique des environs de La Romagne effectué le samedi 10 avril 2010. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

Les villageois dénoncent également les abus qui pourraient exister concernant les troupeaux à part. Ceux-ci sont expressément défendus, quelle que soit la qualité des personnes les possédant. Or, le jour où cette règle n’est pas respectée (on est en 1740), la communauté de La Romagne[1] assigne, par l’intermédiaire de François Godard, sergent en la justice de la baronnie et gruerie de Chaumont-Porcien, trois habitants : Nicolas Monnoye, Jeanne Charlier (veuve de Pierre Boudié) et Pierre Canon doivent comparaître devant le bailli afin de se voir interdire de faire « troupeau à part et condamner à 500 livres de dommages et intérêts envers ladite communauté et aux dépens pour la contravention par eux faite aux ordonnances[2] ».


[1] Représentée par Louis Lebrun, Thomas Devie, François Merlin, Pierre Gagnaire, Pierre Devie et Jean Courtois.

[2] Archives départementales des Ardennes, 7J 43 [série J = archives d’origine privée (entrées par voie d’achat, don, legs ou dépôt), sous-série 7J = collection Guelliot, érudit local].


Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d'inventaire 936.15.103, Brascassat, Jacques-Raymond, Taureau, vaches et moutons au pâturage, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.
Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 936.15.103, Brascassat, Jacques-Raymond, Taureau, vaches et moutons au pâturage, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.

Ce droit de vaine pâture, loin de disparaître avec la Révolution, est au contraire réglementé par deux lois (du 6 octobre 1791 et du 25 octobre 1795). Elle se maintient tout au long du XIXe siècle, comme le rappelle le maire lors d’une délibération : « Depuis un temps immémorial, les bêtes à laine et le gros bétail, d’après un droit acquis résultant d’une coutume locale et suivant un usage constant et suivi ont toujours joui du droit de parcours et de vaines pâtures sur les prés naturels de La Romagne dépouillés de leur récolte jusqu’en 1849[1] ».


[1] Archives départementales des Ardennes, délibération du conseil municipal en date du 7 août 1864.


Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d'inventaire 936.15.40, Brascassat, Jacques-Raymond, Moutons et brebis au pâturage, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.
Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 936.15.40, Brascassat, Jacques-Raymond, Moutons et brebis au pâturage, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.

Cette année-là, les terres des gorges du Ribouré sont attribuées aux particuliers pour la vaine pâture des moutons, alors que les terres du ruisseau Commelet, du Vertillon, de la Fontaine aux Grues et la Rouge Cotte reviennent au berger communal. L’année suivante, la vaine pâture change de lieu, et le troupeau communal se retrouve sur les terres du Saule Notre-Dame, le Pré Haut du Vertillon et une partie de la Hoëtte. En dehors de cette vaine pâture, la commune attribue des terres qui vont du chemin de Draize aux prés du Pont Canel pour les volailles.


Musée national des beaux-arts du Québec, numéro d'inventaire 1968.202, Walker, Horatio, Un attelage de bœufs, huile sur carton produite probablement en 1900, notice consultable en ligne.
Musée national des beaux-arts du Québec, numéro d’inventaire 1968.202, Walker, Horatio, Un attelage de bœufs, huile sur carton produite probablement en 1900, notice consultable en ligne.

C’est en 1889 que la vaine pâture sera officiellement abolie, tout en laissant au conseil municipal de la commune le pouvoir de la rétablir, à condition de déterminer l’époque où elle débute et prend fin, les lieux sur lesquels elle s’établit et la part de chaque espèce[1] .

Cette vaine pâture peut être suspendue en cas d’épizootie, de dégel ou de pluies torrentielles. C’est ainsi qu’elle subsiste encore quelques années dans le village. En effet, et en raison de la transformation de l’agriculture, des aménagements sont décidés par le conseil. Ce dernier propose que les « bas prés soient réservés au gros bétail et les hauts prés pour les bêtes à laine qui trouveront ainsi à se rafraîchir ».


[1] Archives départementales des Ardennes, DEP/ARDENNAIS 21, Meyrac, Albert [et alii] ; « La Vaine Pâture », in Le Petit Ardennais : journal politique [« puis » journal républicain] quotidien. 1re année, n° 1 du 31 mars 1880-35e année, n° 11991 du 25 août 1914. Charleville : [s.n.], 1880-1944, partie 1/3, n° 3262, mercredi 22 janvier 1890, p. 2-3 [presse locale ancienne, vues 2/4 et 3/4, consultables en ligne] ; partie 2/3, n° 3263, jeudi 23 janvier 1890, p. 2 [presse locale ancienne, vue 2/4, consultable en ligne] ; partie 3/3, n° 3264, vendredi 24 janvier 1890, p. 3 [presse locale ancienne, vue 3/4, consultable en ligne].


Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d'inventaire 936.15.41, Brascassat, Jacques-Raymond, Trois moutons, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.
Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 936.15.41, Brascassat, Jacques-Raymond, Trois moutons, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.

Les vaines pâtures permettent à tous les habitants, propriétaires ou non, de faire paître des bêtes. Pour cela, les propriétaires qui veulent user de ce droit doivent abandonner des surfaces en fonction du nombre et de la qualité des bêtes qu’ils veulent y mettre, alors que tout chef de famille même non propriétaire a le droit à six bêtes à laine, une vache et son veau.


Quelle que soit la nature du troupeau, sa conduite et sa surveillance sont réglementées et confiées à un berger communal choisi par la communauté villageoise, puis par la suite recruté par la municipalité. Ces troupeaux génèrent également des activités autres, tels les peigneurs de laine (Nicolas Goulart en 1702 ou Nicolas Renaulx, qualifié de « lainier » en 1720).

Années des emploisNoms des bergers
1693Jean Langlet
1694Jacques Douet (ou Douette)
1702Pierre Langlet
1714Jean Sonnet et Nicolas Lefébure (ou Lefèvre)
1720Pierre Langlet et Michel Osselet
1725-1731Nicolas Hezette
1742Pierre Vuilmet (ou Vuillemet)
1752Jean Deschamps et Jean Gouverneur
1762-1774Antoine Hezette
Dès le XVIIe siècle, les troupeaux de La Romagne sont gérés de façon communautaire.

Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d'inventaire 998.4.1, Guéry, Armand, Bergerie champenoise, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.
Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 998.4.1, Guéry, Armand, Bergerie champenoise, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.

Lorsqu’ils sont au service d’un particulier aisé, les bergers peuvent conduire de petits troupeaux d’une centaine de bêtes. Dans ce cas, ils perçoivent environ 60 livres de gages pour eux seuls, ou 80 avec leurs chiens. Parallèlement, on ne connaît pas la rémunération du berger communal.  Il ne semble pas que des troupeaux particuliers aussi importants existent à La Romagne. Louis Letellier (vers 1750) en a un qui comporte vingt-cinq bêtes et dont il confie la garde, certainement comme d’autres laboureurs, à Nicolas Carbonneaux. En 1771, Jean Rifflet et Brice Bolle ont leur berger particulier. En 1792, Nicolas Fressancourt est le berger de la communauté de La Romagne. En l’an V[1], c’est Jean-Baptiste Fersancourt puis, en 1798, Noël Fersancourt[2].


[1] L’an V du calendrier républicain correspond aux années 1796 et 1797 du grégorien.

[2] Compte tenu de l’orthographe variable de l’époque, on peut penser que Fressancourt et Fersancourt correspondent à une seule et même famille.


Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d'inventaire 936.15.39, Brascassat, Jacques-Raymond, Mouton bêlant, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.
Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 936.15.39, Brascassat, Jacques-Raymond, Mouton bêlant, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.

L’enquête réalisée à la demande de l’intendant de Champagne dans la subdélégation de Château-Porcien[1], à laquelle La Romagne est rattachée, permet d’en savoir un peu plus sur cet élevage et sur les maladies qui peuvent atteindre le cheptel. Cet animal, désigné communément mouton de Champagne, pèse en moyenne vingt-six livres, ce qui est nettement inférieur à un mouton gras qui, lui, peut peser jusqu’à trente-deux livres. Sa taille est d’un pied et sept pouces et demi. Il n’est cependant pas d’usage dans cette subdélégation d’élever les moutons pour les engraisser et les revendre dans les foires.


[1] Archives départementales de la Marne, centre de Châlons-en-Champagne, C 432 [série C = administrations provinciales, articles C 431-432 = intendance de Champagne, fonds concernant les cultures, les bêtes à laine (1756-1789)].


Le coquelicot (Papaver rhoeas) appartient à la famille des Papavéracées et porte (entre autres) le nom vernaculaire de pavot des champs.
Le coquelicot (Papaver rhoeas) appartient à la famille des Papavéracées et porte (entre autres) le nom vernaculaire de pavot des champs.

Lorsque ces animaux paissent à l’extérieur, les lieux où poussent le pavot, le chéon[1], la trudaine[2] et les sénés sont bons pour eux. Mais aussi pour l’amendement de la terre, qu’ils fument directement. L’hiver, ils sont à l’intérieur, et on leur donne du fourrage d’avoine. Les étables sont généralement vidées deux fois durant la saison froide (en décembre puis en mars). Quand il est vendu, le fumier rapporte 5 ou 6 livres par voiture.


[1] Mauvaise herbe à fleurs jaunes.

[2] Espèce de trèfle à fleurs blanches.


Laine de mouton brute (toison non lavée, en suint).
Laine de mouton brute (toison non lavée, en suint).

Les moutons champenois ne présentent aucune marque distinctive, si ce n’est que certains spécimens ont le ventre chauve, alors que leurs congénères l’ont garni de laine. Cette dernière existe en deux qualités : la fine, que l’on prend sur les flancs et le dos, et la grosse que l’on prend aux cuisses. Cette dernière peut être vendue « en suint » aux environs de 17 sols la livre et, lavée, environ 23 sols pour la même quantité. Elle est acheminée vers Rethel ou Reims, où l’on fabrique des étoffes de qualité moyenne comme certains draps, des espagnolettes[1], des dauphines[2] ou des serges.


[1] Sorte de ratine (étoffe de laine).

[2] Nom d’un petit droguet (étoffe ornée d’un motif) de laine.


Laine de mouton lavée (débarrassée de son suint).
Laine de mouton lavée (débarrassée de son suint).

A La Romagne, le but de l’élevage n’est pas de produire de la viande, mais de la laine : au milieu du XIXe siècle, les deux cent soixante-dix kilos stockés dans le grenier de la ferme Merlin sont estimés à 1300 francs.


2007.0.664
Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 2007.0.664, Brascassat, Jacques-Raymond, Brebis et son agneau, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.

Tout cela n’est possible que si les bêtes échappent à certaines maladies bien spécifiques[1] comme l’araignée[2], le claveau[3] ou le criquet[4]. Pour éviter ces maux, les préoccupations concernant l’hygiène (dont on s’occupe davantage depuis le XVIIIe siècle) s’attachent à éviter que des foyers d’infection ne se constituent dans les bergeries et ne se propagent à tout un village. Les moyens de désinfection sont encore très rudimentaires.


[1] Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, département des Manuscrits, Français 20710 [ensemble de 133 feuillets = IV (pièces diverses), collection de Charles Maurice Le Tellier, archevêque-duc de Reims (1642-1710)], feuillets 53 et suivants.

[2] Maladie qui se manifeste par un gonflement de la tête et des oreilles accompagné d’un dégoût de toute pâture.

[3] Maladie due à un poxvirus, qui se traduit par une fièvre élevée, un écoulement des yeux et du nez.

[4] Maladie qui atteint les moutons, et pousse les bêtes à se manger les pattes.


Pour le XIXe siècle, sans que ce tableau ne soit exhaustif, les différents bergers communaux et particuliers sont :

AnnéesNoms des bergers
1817Jean Louis Roncin
1819Antoine Charles Liverniaux (64 ans)
1826Jean-François Gaudinart
1833Jean-Baptiste Carbonneaux (berger communal cette année-là)
1834Jacques Auguste Mauroy et Pierre Nicolas Durand
1844Basile Bonhomme
1850François Chrétien
1853Nicolas Carbonneaux
Date non préciséeJean Baptiste Noël
1854Pierre Hubert Roncin (berger communal)
Date non préciséePierre-Louis Delaître (berger communal)
1857Sébastien Lebrun (berger communal)
1865Jean-François Ingebos (berger communal)
1866Louis Dupont
1867Louis Sonnet
1869Jean-Baptiste Georges
1871Denis Ingebos
Avant 1875Jean-Baptiste Fay
1880Augustin Lacour
1888Pierre Emile Noël
Les bergers communaux sont chargés de la dépaissance (action de paître ou de faire paître les bestiaux).

Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d'inventaire 936.15.612, Brascassat, Jacques-Raymond, Agneau et études de tête et de patte, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.
Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 936.15.612, Brascassat, Jacques-Raymond, Agneau et études de tête et de patte, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.

Il est à noter que l’on trouve un troupeau assez important à la ferme Merlin, avec deux cent soixante-dix têtes réparties en béliers, agneaux, brebis, moutons et antenais[1] dont des bergers prennent soin jour et nuit : l’inventaire après décès signale que dans les bergeries se trouvent des lits avec draps, couvertures, etc.


[1] Agneaux ou agnelles âgés de douze à quinze mois.


Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d'inventaire 2007.0.621, Brascassat, Jacques-Raymond, Chevreaux au bord d'une rivière, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.
Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 2007.0.621, Brascassat, Jacques-Raymond, Chevreaux au bord d’une rivière, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.

Avec la fin de la seconde guerre mondiale et les transformations de l’industrie lainière de Reims qui vont suivre, l’élevage ovin disparaît à La Romagne. Seul un tiers était alors destiné à la boucherie. Le tout petit élevage caprin (pas plus de cinq à sept chèvres) semble avoir été très sporadique. Il s’éteint lui aussi.


Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d'inventaire 922.15.8, Troyon, Constant, Vache paissant près dune rivière bordée de saules, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.
Musée des Beaux-Arts (Reims), numéro d’inventaire 922.15.8, Troyon, Constant, Vache paissant près dune rivière bordée de saules, notice consultable en ligne sur le portail officiel des musées de Reims. Crédits photographiques : © Christian Devleeschauwer.

La présence de bovins se trouve attestée dans de nombreuses familles villageoises, qui en possèdent en général un à cinq. On ne peut donner leur race, les descriptions qui en sont faites se contentant de donner la couleur du poil : ainsi en est-il pour trois des quatre vaches âgées de quatre à quatorze ans possédées par Louis Letellier, dont deux sont « à poil noir » et une « à poil rouge ». Souvent, une ou plusieurs vaches sont données et inscrites parmi les donations faites lors de la signature d’un contrat de mariage.


Palazzo Pitti (Florence), Galleria Palatina, numéro d'inventaire 42 (1912), Le Pérugin, Marie-Madeleine [Maria Maddalena en italien], huile sur bois de la Renaissance italienne (1500 environ). Fêtée le 22 juillet, Marie-Madeleine est (entre autres) la patronne des gantiers et des tanneurs.
Palazzo Pitti (Florence), Galleria Palatina, numéro d’inventaire 42 (1912), Le Pérugin, Marie-Madeleine [Maria Maddalena en italien], huile sur bois de la Renaissance italienne (1500 environ). Fêtée le 22 juillet, Marie-Madeleine est (entre autres) la patronne des gantiers et des tanneurs.

Une réglementation précise que les vaches doivent être tenues à l’étable depuis Pâques jusqu’à la « Sainte-Magdelaine » (22 juillet) et ne point passer par les terres grasses après une grosse pluie. Elles ne doivent pas approcher les terres ensemencées plus près que trois verges. Dans tous les cas, le vacher est tenu pour responsable des dégâts.


Les virologues et bactériologistes Friedrich Löffler et Paul Frosch ont découvert en 1898 que la fièvre aphteuse est une maladie virale.
Les virologues et bactériologistes Friedrich Löffler et Paul Frosch découvrent en 1898 que la fièvre aphteuse est une maladie virale.

Le bouvier craint toujours que ses bovins ne tombent malades de langueur ou du laron[1], sans compter que, lorsque ces maladies sont jugulées, il faut traiter la fièvre aphteuse.


[1] Maladie du charbon sans siège déterminé.


Vache des Ardennes, repérage topographique des environs de La Romagne effectué le samedi 10 avril 2010. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
Vache des Ardennes, repérage topographique des environs de La Romagne effectué le samedi 10 avril 2010. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

Ce n’est qu’avec le développement de l’élevage laitier ou boucher que des troupeaux plus importants se forment : en 1773, il n’y a que quatre-vingt-neuf bêtes à cornes pour une population d’environ deux cent cinquante habitants. Un siècle et demi plus tard, la population ayant été divisée par deux, il y en a trois cent vingt, dont deux cents vaches laitières et cent vingt veaux et bœufs produits pour la viande.


Bidon de métal utilisé pour la collecte du lait.
Bidon de métal utilisé pour la collecte du lait.

En 1940, juste avant l’exode, le plus gros troupeau compte trente-six bêtes et se compose de quatorze vaches laitières, quinze bêtes d’un à deux ans, six génisses de plus de deux ans et un taureau.

Compte tenu des déclarations de sinistre faites par les éleveurs après le départ des troupes allemandes, il faut noter leur courage et leur travail pour reconstituer un cheptel qui comptera plus de quatre cents têtes en 1954. Les plus petites laiteries locales ont alors tendance à disparaître. Elles sont remplacées pour le ramassage et le traitement du lait par la laiterie Moreau de Rouvroy-sur-Andy, qui reste minoritaire : la majorité de la collecte est effectuée pour son usine de Résigny par la Sopad (groupe Nestlé). Tous l’appellent plus familièrement alors « la Maggi ».


Museo del Prado (Madrid), numéro d'inventaire P002049, Bosch, Jérôme, la Tentation de saint Antoine, [le Petit saint Antoine], huile sur panneau datée d'après 1490 [mouvement primitif flamand]. Saint Antoine est le protecteur des animaux d’élevage en général et du porc en particulier.
Museo del Prado (Madrid), numéro d’inventaire P002049, Bosch, Jérôme, Tentation de saint Antoine, (Petit saint Antoine), huile sur panneau datée d’après 1490 (mouvement primitif flamand), notice consultable en ligne sur le site officiel du musée. Saint Antoine est le protecteur des animaux d’élevage en général et du porc en particulier.

Le porc et les volailles font partie d’un « élevage familial » : le premier, souvent conservé par salaison, apporte de la viande tout au long de l’année. Pour mieux nourrir les cochons, on les mène à la glandée dans les bois de chênes. Celle-ci fait l’objet d’un bail et d’une mise aux enchères, comme les coupes de bois. L’adjudicataire doit fournir une bonne caution, et s’engager à respecter un certain nombre de règles pour le marquage et la garde des porcs. L’original de la marque est déposé au greffe pour éviter les fraudes.

La glandée est permise durant trois mois, du 1er octobre au 1er janvier[1], alors que dans les forêts royales elle est autorisée jusqu’au 1er février. Tout l’art de cet élevage est d’éviter que les cochons ne soient atteints de la gourme[2] ou du « feu de saint Antoine[3] ».


[1] Archives du Palais princier de Monaco, T 668, ancien 83 [série T = archives du Rethélois et trésor des chartes du duché de Rethel-Mazarin, cotes T 655-672 = partie XIV (baronnie et comté de Rozoy), ensemble de documents concernant Rocquigny (1621-1790)].

[2] Maladie des voies respiratoires très contagieuse.

[3] L’ergotisme affecte l’humain ou les animaux herbivores.


Tuage du cochon dans la cour de monsieur Maurice Druart en 1940  (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe).
Tuage du cochon dans la cour de monsieur Maurice Druart en 1940 (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe).

Par la suite, l’élevage porcin se fait exclusivement à la maison : l’abattage donne lieu à un échange convivial avec le voisinage, car peu de bêtes sont destinées à la boucherie (15% en 1938). On distribue la « charbonnée », composée en partie du boudin (produit fragile qui se conserve peu) et de quelques côtelettes. Cette tradition ne peut avoir lieu lors des deux guerres mondiales, car la possession de deux porcs ou plus entraîne une réquisition. Il n’est possible d’en garder qu’un seul, ce qui n’assure pas toujours la consommation annuelle de la famille.


Le dindon rouge des Ardennes est une race rustique de gallinacé.
Le dindon rouge des Ardennes est une race rustique de gallinacé.

Quant à la basse-cour, elle est assez importante chez les laboureurs. Celle de Louis Letellier comprend plus d’une centaine de gallinacés et « poulets d’Inde[1] », mais le plus souvent c’est une petite basse-cour familiale qui assure la production d’œufs et le nécessaire pour améliorer l’ordinaire.


[1] Nom que l’on donnait autrefois aux dindes.


Les pots émaillés en grès sont utilisés dans les campagnes pour prolonger la conservation des œufs.
Les pots émaillés en grès sont utilisés dans les campagnes pour prolonger la conservation des œufs.

Les ménagères savent conserver le surplus de la production d’été pour faire face à la période hivernale en plongeant ces œufs dans un grand pot de grès contenant du silicate. Elles utilisent à partir des années cinquante un produit se présentant sous la forme d’une savonnette ronde : le combiné Barral (à base de chaux).

Musée de la Vie rurale (Steenwerck), numéro d'inventaire 2018.0.00112, carton de conservateurs pour œufs, combiné Barral, notice consultable en ligne sur le portail de l'association Proscitec (patrimoine et mémoires des métiers).
Musée de la Vie rurale (Steenwerck), numéro d’inventaire 2018.0.00112, carton de conservateurs pour œufs, combiné Barral, notice consultable en ligne sur l’inventaire des musées de l’association Proscitec (patrimoine et mémoires des métiers).

Le coloris des poules rousses (nom générique) varie du plus clair au plus foncé.
Le coloris des poules rousses (nom générique) varie du plus clair au plus foncé.

Cet élevage présent dans presque toutes les familles est parfois « sacrifié », par exemple pour clore les récoltes, pour les repas dominicaux, ceux de la fête patronale (où se retrouvent parents, enfants, petits-enfants), ou pour offrir un repas à toute la famille, venue parfois de loin pour les obsèques de l’un de ses membres.

La volaille est le domaine réservé de la femme : lorsque celle-ci vend au coquassier ambulant des œufs ou quelques poulets, l’argent qu’elle en tire constitue souvent sa cagnotte.

Poule cailloutée (coloris noir panaché de blanc).
Poule cailloutée (coloris noir panaché de blanc).

L'animal aux longues oreilles entre dans plusieurs recettes traditionnelles du terroir ardennais (tourtes, pâtés de croûte, civets).

Pâté de lapin ardennais
L’animal aux longues oreilles entre dans plusieurs recettes traditionnelles du terroir ardennais (tourtes, pâtés de croûte, civets, gibelottes).

Mais il faut croire que ces petites basses-cours sont l’expression d’une trop grande liberté pour les Romanais, car, lors de la seconde guerre mondiale, les Allemands obligent les habitants à en dresser l’inventaire : c’est ainsi que l’un des villageois déclare qu’il a cinq poules pondeuses, un coq et trois lapins[1]. Une richesse probablement intolérable pour ces occupants !


[1] Archives départementales des Ardennes, 10O, [série O = administration et comptabilité communales, sous-série 10O = dossiers d’administration communale].