Catégories
Biens ecclésiastiques Clergé Religieux

La Romagne, du Néolithique à la fondation de la paroisse


Musée de l'Ardenne (Charleville-Mézières), hache polie néolithique provenant du site de Mairy  (ancienne commune des Ardennes intégrée à Douzy).
Musée de l’Ardenne (Charleville-Mézières), hache polie néolithique provenant du site de Mairy (ancienne commune des Ardennes intégrée à Douzy).

Dès le Néolithique[1], les secteurs de Château-Porcien, Marlemont et La Romagne sont occupés, sans que l’on puisse préciser si ces lieux sont des demeures permanentes ou des lieux de fabrication d’objets en pierre taillée. La découverte de monsieur Alfred Merlin de trois haches polies et de vertillons ou pesons de fuseaux au lieu-dit le Vertillon[2] viennent renforcer cette hypothèse.


[1] Bibliothèque nationale de France, document numérique, NUMP-5757, Dupuis, J., « Inventaire des trouvailles archéologiques faites dans les Ardennes », in Bulletin de la Société archéologique champenoise, [1re année,] n° 1 (1907) – [8e année,] n° 2 (1914) ; 9e/15e année, n° 1 (décembre 1921) -33e année (mars/juin 1939). Reims : Impr. L. de Bary, 1907-1939, 27e année, n° 3-4, juillet-décembre 1933, p. 4-5, texte numérisé d’après un document original de la Société archéologique champenoise, consultable en ligne sur Gallica. Voir aussi Dupuis, J., « Inventaire des trouvailles archéologiques faites dans les Ardennes (suite) », in Bulletin de la Société archéologique champenoise, [1re année,] n° 1 (1907) – [8e année,] n° 2 (1914) ; 9e/15e année, n° 1 (décembre 1921)-33e année (mars/juin 1939). Reims : Impr. L. de Bary, 1907-1939, 30e année, n° 1-4, janvier-décembre 1936, p. 59-68, texte numérisé d’après un document original de la Société archéologique champenoise, consultable en ligne sur Gallica.

[2] Voir Guelliot, docteur O., « Le préhistorique dans les Ardennes (âge de la pierre) avec une carte et trois planches », in Revue historique ardennaise, Paris : A. Picard et fils, 1894-1914, tome neuvième, 1902, p. 261-299, cité [sans pagination en note de bas de page n° 1] par Coyon, Ch., « Notes sur le filage et le tissage dans l’Antiquité d’après les découvertes faites à Reims et dans les environs », in Travaux de l’Académie nationale de Reims, Reims : P. Giret, 1875-, cent-treizième volume, année 1902-1903, tome Ier, 1903, p. 188, Bibliothèque nationale de France, document numérique, NUMP-575, texte numérisé d’après le document original de l’Académie nationale de Reims, consultable en ligne sur Gallica. [Nota bene : la Revue historique ardennaise éditée entre 1894 et 1914 est un titre mort. Il ne saurait être confondu avec la Revue historique ardennaise publiée depuis 1969 à Charleville-Mézières par la Fédération des sociétés savantes des Ardennes, la Société d’études ardennaises (devenue la Société d’histoire des Ardennes) et la Société d’histoire et d’archéologie du Sedanais].


Le blason communal de Château-Porcien est de sinople au manteau ducal de gueules, doublé d'hermine et lié d'or, chargé d'un écusson d'azur surchargé d'une hache d'armes ou consulaire d'argent, entourée de houssines d'or liées d'argent, et d'une divise de gueules chargée de trois étoiles d'or brochant sur le tout de l'écusson, lui-même timbré d'une couronne ducale d'or; le tout, soutenu en pointe d'un porc de sable passant.
Le blason communal de Château-Porcien est de sinople au manteau ducal de gueules, doublé d’hermine et lié d’or, chargé d’un écusson d’azur surchargé d’une hache d’armes ou consulaire d’argent, entourée de houssines d’or liées d’argent, et d’une divise de gueules chargée de trois étoiles d’or brochant sur le tout de l’écusson, lui-même timbré d’une couronne ducale d’or ; le tout, soutenu en pointe d’un porc de sable passant.

D’autres lieux sont marqués par la présence romaine, ne serait-ce que la voie plus communément appelée « le chemin des Romains » qui passe de Saint-Loup-en-Champagne vers Château-Porcien avant de suivre le trajet Bagnogne, Hannogne, le Point-du-Jour, la Guinguette (commune de Rocquigny) pour atteindre La Romagne au-dessus du Bois Diot et des Houis avant de se diriger vers Mézières.

On peut donc penser qu’après la construction des routes, des chemins et des camps[1], certains Romains, probablement d’anciens soldats, se sont fixés dans les environs et ont construit des habitations. La Romagne en tirerait son nom.


[1] Dont un assez important se trouvait dans le  secteur de Chaumont-Porcien.


Prémontré, détail d'une gravure de Wenceslas Hollar (1607-1677).
Prémontré, détail d’une gravure de Wenceslas Hollar (1607-1677).

Les dénominations du village, dont la typographie a varié au cours des siècles, sont successivement Rommagnia, Rommaingna, Rommaigne (graphie attestée en 1248). Vers 1300, c’est la Roumaigne avec Gérard de La Roumaigne (moine de l’abbaye de Chaumont) qui exerce les fonctions de plaidator[1], mais aussi celle de prévôt de la ville de Chaumont-en-Porcien. Un document garde d’autre part la trace d’un certain Warin de la Roumaigne[2].


[1] Avoué.

[2] Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, microfilm 35 mm, MFILM 4-K-311 (10,1), Lacaille, Henri ; Saige, Gustave, Trésor des chartes du comté de Rethel, Monaco : imprimerie de Monaco, 1902-1916, 5 vol. in-4°, Tome I. 1081-1328, p. 130 [collection de documents historiques publiés par ordre d’Albert Ier, prince souverain de Monaco].


Bibliothèque nationale de France, document numérique, IFN-53179483, Delisle, Guillaume (cartographe), Carte de la Champagne et des pays voisins ou l'on voit la généralité de Châlons partie de celle de Soissons, Paris : l'Auteur, 1713, échelle au 1:352 500 environ, image numérisée d’après une carte imprimée, consultable en ligne sur Gallica.
Bibliothèque nationale de France, document numérique, IFN-53179483, Delisle, Guillaume (cartographe), Carte de la Champagne et des pays voisins ou l’on voit la généralité de Châlons partie de celle de Soissons, Paris : l’Auteur, 1713, échelle au 1:352 500 environ, image numérisée d’après une carte imprimée, consultable en ligne sur Gallica.

Au XVIIe siècle, ainsi que l’atteste la carte du diocèse[1], c’est la graphie La Romaigne qui prévaut. On peut remarquer que les curés de la paroisse adoptent différentes orthographes, et ce n’est qu’en 1713 que le toponyme actuel apparaît sur une carte de la Champagne[2].


[1] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 8J 111 [série J = archives privées, documents entrés par voie extraordinaire, sous-série 8J = fonds du chanoine Thibault, de Reims, 1612-1955].

[2] Bibliothèque nationale de France, document numérique, IFN-53179483, Delisle, Guillaume (cartographe), Carte de la Champagne et des pays voisins ou l’on voit la généralité de Châlons partie de celle de Soissons, Paris : l’Auteur, 1713, échelle au 1:352 500 environ, image numérisée d’après une carte imprimée, consultable en ligne sur Gallica.


Palais du Tau, (Reims), salle du trésor, reliquaire dit de Samson (archevêque de Reims de 1140 à 1161), cuivre émaillé et doré, argent doré sur une âme de bois, vers 1200.
Palais du Tau, (Reims), salle du trésor, reliquaire dit de Samson (archevêque de Reims de 1140 à 1161), cuivre émaillé et doré, argent doré sur une âme de bois, vers 1200.

Jusqu’au milieu du XIIe siècle, on ne trouve aucun renseignement sur La Romagne. En 1147, Samson, archevêque de Reims, confirme aux religieux de Chaumont leurs possessions, parmi lesquelles figure le village.


Le blason de la maison de Dreux est échiqueté d'azur et d'or à la bordure de gueules. Henri (1193-1240) a été archevêque de Reims de 1227 à 1240.
Le blason de la maison de Dreux est échiqueté d’azur et d’or à la bordure de gueules. Henri (1193-1240) a été archevêque de Reims de 1227 à 1240.

En 1227, La Romagne dépend du village de Rocquigny. A cette date, Henri de Dreux, archevêque de Reims, permet aux habitants de bâtir une église et de prévoir un cimetière dans le village, compte-tenu de la distance assez importante avec Rocquigny.

Bibliothèque Carnegie, ms. 2451, Histoire de l'abbaye de Chaumont en Portien, ordre de Prémontré et diocèse de Reims, 653-XXI p., folio 60, manuscrit consultable en ligne sur la BVMM (Bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux) élaborée par l’IRHT-CNRS (Institut de recherche et d’histoire des textes).
Bibliothèque Carnegie, ms. 2451, Histoire de l’abbaye de Chaumont en Portien, ordre de Prémontré et diocèse de Reims, 653-XXI p., folio 60, manuscrit consultable en ligne sur la BVMM (Bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux) élaborée par l’IRHT-CNRS (Institut de recherche et d’histoire des textes).

Pour cela, il charge Simon Pied de Loup, chanoine et official[1] de Reims, de dresser l’acte et de le faire parvenir à l’abbé et aux religieux de Chaumont-Porcien :

« Simon Pes Lupi canonicus et officialis domini Remensis. Dilectis in Christo omnibus presentes litteras visuris salutem. Nouerit universitas nostra quod nos de voluntate, et speciali mandato domini Remensis liberaliter, et benigne concepit abbati et ecclesiae calmontentis ad quod jus patronatus de Roquigniaco et de Romeigne appenditia ejusdem noscitur pertinere ; quod in eadem villa de Romeigne ecclesia construatur, et cimaeterium habeatur, cum idem locus ipsius villa de Romeigne amatrice ecclesia de Roquigniaco nimium distare videatur. Actum anno domini M CC vicesimo septimo mense octobri. »

Bibliothèque Carnegie, ms. 2451, Histoire de l’abbaye de Chaumont en Portien, ordre de Prémontré et diocèse de Reims, 653-XXI p., folio 60, manuscrit consultable en ligne sur la BVMM (Bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux) élaborée par l’IRHT-CNRS (Institut de recherche et d’histoire des textes).

[1] Juge ecclésiastique délégué par l’évêque pour exercer en son nom la juridiction contentieuse.


Cambridge University Library, MS Mm.5.31, vue 229/419, Alexandre le Minorite (commentateur), Expositio in Apocalypsim, moines cisterciens au travail, parchemin, codex, folio 113, consultable en ligne.
Cambridge University Library, MS Mm.5.31, Alexandre le Minorite, Expositio in Apocalypsim, moines cisterciens au travail, parchemin, codex, folio 113, vue 229/419, consultable en ligne.

En ces années, le village ne se compose que de quelques fermes éparses. Une dizaine d’années plus tard, Jacques de Montchâlons rend aux moines de Signy un hallier[1] près du chemin de Doumely à La Romagne, qu’ils avaient défriché[2] et que son beau-père Raoul de Château-Porcien avait usurpé. Ces religieux appartiennent à l’ordre des cisterciens, tandis que l’abbaye de Chaumont-Porcien relève de celui des prémontrés.


[1] Enchevêtrement de buissons serrés et touffus, d’un accès difficile.

[2] Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-LC19-232, Nouvelle revue de Champagne et de Brie, 1re année [n° 1] (janvier/février 1914) – [n° 5/6] (septembre/décembre 1914) ; 2e année [n° 1] (janvier/février 1924) – 15e année [n° 4] (octobre 1938), Reims : imprimerie Monce & Cie, 1914-1938, Tome XII, 1934, p. 245 [Nota bene : la livraison de septembre/décembre 1914 a été publiée en 1923, et le périodique n’a pas paru en 1937].


Armoiries ecclésiastiques d'Innocent III, de Grégoire IX et d'Alexandre IV.
Armoiries ecclésiastiques d’Innocent III, de Grégoire IX et d’Alexandre IV.

A cette époque, une bulle du pape Grégoire IX énumère les bénéfices des religieux de Chaumont, dans lesquels figurent ceux de La Romagne, Rocquigny et Montmeillant. En 1270, l’abbaye de Signy est l’un des principaux propriétaires du village, après une donation de Roger de Rozoy et de sa femme Aélis.

Elle comprend des terres sur lesquelles se trouvent un moulin et un vivier : en les louant, les religieux se procurent un revenu qui doit être consacré à donner une pitance aux moines le jour anniversaire de la mort des donateurs. Ils conservent aussi les poissons d’eau douce pour le Carême, période durant laquelle la viande est proscrite de l’alimentation. Les cisterciens reçoivent également de Clémence, comtesse de Saumes (parfois orthographiée Saulmes), une partie des terres qu’elle possède à La Romagne.


Archives départementales des Ardennes, 1J 1224, Cartulaire de l’abbaye Saint-Berthauld de Chaumont contenant des actes de 1087 à 1543, pièce de 1543 remise par monsieur Jacques Lucas avec le soutien de l’ASPP (Association de Sauvegarde du Patrimoine du Portien) le 4 novembre 2009, signalé en ligne.
Archives départementales des Ardennes, 1J 1224, Cartulaire de l’abbaye Saint-Berthauld de Chaumont contenant des actes de 1087 à 1543, pièce de 1543 remise par monsieur Jacques Lucas avec le soutien de l’ASPP (Association de Sauvegarde du Patrimoine du Portien) le 4 novembre 2009, signalé en ligne.

Les deux abbayes de Signy et de Chaumont-Porcien ont des rentes en froment, prés, terres, maisons, granges, étables, jardins à La Romagne, tout comme à Bégny, Hauteville, la Hardoye, etc. Mais, à la suite de divers échanges avec Signy, Chaumont va garder la tutelle de la paroisse de La Romagne.

Blason ecclésiastique de l'ordre cistercien, dont la devise latine  «Cistercium mater nostra » signifie « Cîteaux notre mère ».
Blason ecclésiastique de l’ordre cistercien, dont la devise latine «Cistercium mater nostra » signifie « Cîteaux notre mère ».

A partir du XIIIe siècle, celle-ci est un territoire nettement délimité, sur lequel vit une communauté de fidèles placé sous la responsabilité d’un prêtre à qui l’on a confié la cura animarum (soin des âmes). Le curé va voir son autorité s’imposer au sein de cette structure.


Le comté de Porcien, ancien pagus de Champagne, dépend de l'Église de Reims.
Le comté de Porcien, ancien pagus de Champagne, dépend de l’Église de Reims.

Le 28 octobre 1284, dans une sentence arbitrale sur divers litiges entre l’abbaye de Chaumont, la commanderie de Seraincourt, et Logny-lès-Chaumont, des hommes sont désignés pour son application. Parmi eux, un certain « Ponsars li puissans » de La Romagne[1] et deux bourgeois de Rocquigny et de Rozoy. Cela semble montrer que le village a pris davantage d’importance dans le comté de Porcien.


[1] Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 4-K-311 (11), Robert, Gaston, Documents relatifs au comté de Porcien : 1134-1464, Monaco : imprimerie de Monaco, 1935, XCVI-416 p., p. 104 [cet ouvrage correspond à une collection de documents historiques publiés par ordre de S. A. S. le prince Louis II, prince souverain de Monaco].

Catégories
Biens ecclésiastiques Clergé Industrie Religieux Sciences Travailleurs

La Romagne et l’exploitation du sous-sol


La Romagne est bâtie sur un contrefort entre deux petites vallées assez encaissées, tout en étant agrémentée de quelques forêts. Le sous-sol du village remonte au Crétacé inférieur et a été étudié à la fin du XIXe siècle, non seulement pour sa formation géologique, mais aussi pour la présence de fossiles.

Fossile de Geesops sparsinodosus gallicus trouvé dans la réserve naturelle nationale de Vireux-Molhain (Ardennes).
Fossile de Geesops sparsinodosus gallicus trouvé dans la réserve naturelle nationale de Vireux-Molhain (Ardennes).

Roche siliceuse (quartzite) à Roc-la-Tour (forêt domaniale de Château-Regnault sur les hauteurs de Monthermé, dans les Ardennes).
Roche siliceuse (quartzite) à Roc-la-Tour, forêt domaniale de Château-Regnault, sur les hauteurs de Monthermé (Ardennes).

Les versants des petites vallées sont constitués de roche siliceuse, de calcaire argileux bleuâtre et d’oolithes ferrugineuses. Ces roches oxfordiennes sont surmontées de gaize[1].

La gaize est une roche d'origine sédimentaire siliceuse formée en terrain argileux.
La gaize produit des reliefs typiques des Ardennes.

C’est « une des roches les plus légères ; elle est tendre, argileuse, siliceuse, et contient une assez forte proportion de silice gélatineuse soluble dans les alcalis ; on y remarque quelques grains de glauconie ; elle se délite à l’air avec une grande facilité, et donne des terres qui sont le plus souvent sableuses et sèches ; dans les endroits où elle est riche en argile, le sol est compact, peu perméable[2] ».

La glauconie est composée de minéraux argileux situés entre le groupe des micas et celui des smectites.
Les ions ferreux contenus dans la glauconie lui donnent sa couleur verte.

La présence de cette gaize sous une couche de terre variant de 0,5 à 1,5 m est attestée lors de l’exploitation de carrières à ciel ouvert tant au Courtil Mouriau [cadastre section B n° 639] qu’au Pré des Roizes (idem, section B n° 629 et 630] ou au Fossé du Château [idem, section B n° 555[3]].


[1] La gaize est une roche sédimentaire composée de silice, particulière aux Ardennes. Ce substantif féminin s’applique dans la région à un grès très fin, en partie détritique, en partie d’origine chimique, généralement entre gris et verdâtre, souvent poreux et léger.

[2] Bibliothèque nationale de France, document numérique, NUMP-5435, Bestel, M., « Compte rendu de l’excursion géologique du 28 avril à Draize et Wasigny », in Bulletin de la Société d’histoire naturelle des Ardennes, 1re année, n° 1 (octobre 1893/juillet 1894)- = tome 1-, Charleville-Mézières : Société d’histoire naturelle des Ardennes, deuxième année, série 1, tome 2, 1895, p. 44, texte numérisé d’après un exemplaire original de la Société d’histoire naturelle des Ardennes, consultable en ligne sur Gallica.

[3] Archives départementales des Ardennes, O 22 [série O = administration et comptabilité communales depuis 1800].


Le calcaire argileux (nommé improprement calcaire marneux) est une roche sédimentaire, mélange de calcaire et d'argile.
Le calcaire argileux (nommé improprement calcaire marneux) est une roche sédimentaire, mélange de calcaire et d’argile.

La marne crayeuse, qui date du Cénomanien[1], « forme plusieurs îlots (124 hectares) aux points les plus élevés ; notamment entre le Mont Vergogne et la Blaisotterie : elle contient quelques nodules de phosphate de chaux. Une vingtaine de sources disséminées sur le territoire[2] ».

Le sol est en général assez pauvre, ce que confirme le mémoire des intendants qui couvre les années 1659 à 1665, et dans lequel le terroir est ainsi décrit : « Le territoire de ce lieu est de petite étendue et situé en mauvais pays ne consistant qu’en mauvaises terres maigres et partie stériles et en quelques bois qui donnent moyen aux habitants de gagner leur vie néanmoins avec peine. »

De son côté, l’enquête de Terwel[3] présente ce terroir comme « médiocre et de mauvaises terres ». Ceci est confirmé jusque dans les rapports établis au début XIXe siècle  pour le canton de Chaumont-Porcien. Ils notent que la culture y est difficile. Cela reste vrai, jusqu’à ce que les exploitations du canton se tournent vers l’élevage : les terres qui le composent sont en effet « fortes, humides et propres aux prairies[4] ».


[1] Le Cénomanien est le premier étage stratigraphique du Crétacé supérieur.

[2]  Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-LK4-2408, Meyrac, Philippe Albert, Géographie illustrée des Ardennes, Charleville : E. Jolly, 1900, p. 389.

[3] Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, microfiche, MFICHE 8-LC20-57, Graffin, Roger ; Jadart, Henri ; Laurent, Paul, « Les notices cadastrales de Terwel sur les villages de la frontière de Champagne en 1657 », in Revue historique ardennaise, Paris : A. Picard et fils, 1894-1914, tome neuvième, mai-août 1902, p. 97-256. [Nota bene : ce périodique bimestriel édité entre 1894 et 1914 est un titre mort. Il ne saurait être confondu avec la Revue historique ardennaise publiée depuis 1969 à Charleville-Mézières par la Fédération des sociétés savantes des Ardennes, la Société d’études ardennaises (devenue la Société d’histoire des Ardennes) et la Société d’histoire et d’archéologie du Sedanais].

[4]  Archives départementales des Ardennes, 3W 18 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire hors état civil, officiers publics et ministériels, postérieures au 10 juillet 1940].


Les oolithes ferrugineuses sont composées d'hydroxyde de fer.
Les oolithes ferrugineuses sont composées d’hydroxyde de fer.

Dans le sous-sol environnant, on note que sont disséminées des oolithes[1] ferrugineuses, parfois abondantes, au point de constituer un minerai à gangue argileuse. Ce fer est exploité des XVIe au XIXe siècles comme l’attestent certains documents.

Concernant l’abbaye de Chaumont, ils relatent les différends de celle-ci avec quelques locataires des censes qui se trouvent sur le terroir de La Romagne : des actes notariés, les registres de tailles ou plus tardivement quelques statistiques du canton de Chaumont-Porcien permettent d’en savoir plus.


[1] Calcaire formé de grains sphériques.


Amas ferrugineux
Amas ferrugineux.

Le mémoire de 1649 de l’abbaye indique que les religieux permettent à leurs fermiers de la Paternotte et de la Bouloi de « tirer de la mine de fer des terres les moins labourables et de la vendre aux maîtres de forge du voisinage ».

De plus, ils octroient à leurs fermiers « le droit de toquage [1] » contre le versement d’une redevance : son maximum est de 60 livres mais elle s’élève en 1675 seulement à quelque 29 livres, et n’est plus que de 14 livres pour l’année 1695.


[1] Le toquage est un droit accordé pour tirer du minerai de fer d’une terre dans les Ardennes.


Archives départementales des Ardennes, La Romagne B1 1835, le Houis haut et la Boulois [orthographe de 1835],  cadastre ancien, plan parcellaire avec une partie développée à l’échelle 1/1250, consultable en ligne.
Archives départementales des Ardennes, La Romagne B1 1835, le Houis haut et la Boulois [orthographe de 1835], cadastre ancien, plan parcellaire avec une partie développée à l’échelle 1/1250, consultable en ligne.

Est-ce la diminution de revenus, qui éveille les soupçons des religieux ? En tout cas, ils se montrent très vite inquiets de constater que leur fermier de la Bouloi laisse aux maîtres de forges du Hurtault le droit de tirer de la mine sans leur en avoir référé.

Aussitôt, ils adressent une requête à l’intendant. Comme celle-ci reste sans réponse, ils consultent un avocat rémois qui répond que c’était défendu car cela participait à la dégradation du fonds. Les religieux sont donc selon lui en droit de se pourvoir en dommages et intérêts contre leur fermier, sans parler de l’interdiction de cette exploitation.


Archives départementales des Ardennes, La Romagne B2 1835, le Houis haut et la Boulois [orthographe de 1835],  cadastre ancien, plan parcellaire, consultable en ligne.
Archives départementales des Ardennes, La Romagne B2 1835, le Houis haut et la Boulois [orthographe de 1835], cadastre ancien, plan parcellaire, consultable en ligne.

On ne sait ce qui s’est passé après cet avis, mais le problème ressurgit une quarantaine d’années plus tard : cette fois, il met en cause Marie Peltier, qui continue de tenir, depuis la mort de son mari Philippe Jadart, la cense de la Paternotte. Aidée de Pierre Jadart, de Jean et de Robert Bréart, elle exploite la castine[1].

La réaction des religieux est extrêmement rapide et fait vraisemblablement cesser l’exploitation. Pour se protéger de tout nouveau désagrément, et s’assurer de cette interdiction d’exploitation par les censiers, ils en font une clause dans le contrat de location des censes de la Bouloi et de la Paternotte signé en 1745 avec Jean Soret.


[1] Pierre calcaire blanchâtre ou carbonate de chaux impur qu’on additionne à certains minerais de fer contenant trop d’argile ou de soufre, pour les aider à fondre.


Nodules ferrugineux dans du calcaire.
Nodules ferrugineux inclus dans du calcaire (roche sédimentaire).

L’extraction et le transport du minerai demandent de la main-d’œuvre. C’est ainsi qu’à La Romagne on dénombre huit tireurs de mine dont les noms apparaissent dans le rôle des tailles 1702 (Jean et Hugues Gouverneur, Toussaint Pagnier, Jean Langlet le Jeune, Berthélemy Pronier, Antoine Hénin, Remy Noiville et Hubert Meunier).

Les effectifs diminuent (probablement en raison de la surveillance accrue des religieux) et l’on note la présence de 1725 à 1732 de Jean Barré et de Louis Camuseaux comme voituriers de mine, ainsi que de Pierre Goulard comme dernier tireur de mine.


Archives départementales des Ardennes, La Romagne D1 1835, la Cour Avril et le Bois Diot, cadastre ancien, plan parcellaire avec une partie développée à l'échelle 1/1250, consultable en ligne.
Archives départementales des Ardennes, La Romagne D1 1835, la Cour Avril et le Bois Diot, cadastre ancien, plan parcellaire avec une partie développée à l’échelle 1/1250, consultable en ligne.

Après ces dates, plus aucune mention à la mine n’apparaît avant 1842, date à laquelle l’exploitation du fer est de nouveau attestée dans le sous-sol de la commune : on y extrait encore le minerai et on précise « qu’il y avait depuis fort longtemps des forges à bras »[1].

On peut penser que l’exploitation n’a jamais cessé malgré les restrictions posées par les moines, d’autres lieux étant riches en fer, comme les abords du Bois Diot et des Houis ainsi que le secteur de la Cour Avril.

Ce minerai suscite-t-il des convoitises à une époque où la plupart de la population est pauvre ? Ce pourrait être une des explications du tragique fait divers vécu par un homme originaire de la Besace, assassiné 14 février 1767 « tandis qu’il était occupé à tirer et laver de la mine dans le bois de La Cour Avril[2] ».


[1] Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-LK4-79, Dubois, E. (chef du secrétariat de la préfecture), Statistique du département des Ardennes, Charleville : impr. de L. Garet, 1842, 208-8 p.

[2] Archives départementales des Ardennes, EDEPOT/ROMAGNE[LA]/E 5 [série EDEPOT = archives communales déposées, sous-série ROMAGNE[LA]/E 5 = registres paroissiaux et d’état civil de La Romagne, 1763-1772], acte de décès, vue 19/46, consultable en ligne.


Les forges du Hurtault (Signy-l'Abbaye) ont appartenu aux prémontrés jusqu'à la Révolution de 1789 (plan de 1832).
Les forges du Hurtault se trouvent à proximité de Signy-l’Abbaye (plan de 1832).

Le minerai est exploité à l’époque à proximité de son extraction. Si les forges du Hurtault situées sur le ban et la paroisse de Signy sont assez anciennes et font émerger  une dynastie de fondeurs comme les Bienfait, cette industrie et les profits que l’on peut en tirer accélèrent la volonté de tout moderniser.

Firmin de Canel (de la Cour Avril) et Philippe Lemaire, maître de forges et sieur de Seraincourt investissent quelque 3000 livres dans un projet « de rétablissement et construction de la masse du fourneau du Mirbion » [sic, c’est-à-dire Merbion] et consacrent de l’argent aux

« achapts des bois de siage qu’il conviendra pour les appentis d’iceluy et à la construction d’une halle et maison, une roue et soufflets, faire tout ce qu’il conviendra afin de mettre ledit fourneau en état de travailler ».

Archives départementales des Ardennes, E 1367 [série E = seigneuries, familles, état civil, notaires, cotes E 801-1745 = minutes notariales, documents E 1360-1375 = fonds concernant l’étude Guillaume Pellerin à Mézières, 1768-1777].

Grande rue menant de Lalobbe à Signy (carte postale ancienne).
Grand-rue menant de Lalobbe à Signy (carte postale ancienne).

A côté de ce travail du « fer et des matières pour le service du roi », ainsi que l’on nomme la production du Hurtault, il se développe dans les villages environnants et principalement à Lalobbe un autre artisanat, représenté par des potiers en fer.


Le phosphate de calcium est un solide blanchâtre utilisé dans la fabrication d'engrais.
Le phosphate de calcium est un solide blanchâtre utilisé dans la fabrication d’engrais.

Outre les nodules ferrugineux dans le sous-sol de La Romagne, il faut également noter la présence de quelques nodules de phosphate de chaux[1] que l’on va exploiter par la suite pour « marner les terres », c’est-à-dire les amender. La chimie permet d’améliorer les sols que La Romagne a reçus de la nature.


[1] Bibliothèque nationale de France, document numérique, NUMP-5398, Barrols, Charles, « Mémoire sur le terrain crétacé des Ardennes et des régions voisines », in Annales de la Société géologique du Nord, Lille : Six-Horemans, 1875-, tome V, 1877-1878, p. 288, texte numérisé d’après l’original de la Bibliothèque nationale de France, 2009-23200, consultable en ligne sur Gallica.