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Les sages-femmes de La Romagne, personnages incontournables


Bibliothèque nationale de France, NUMM-9766051, Le Boursier Du Coudray, madame, Abrégé de l'art des accouchemens, dans lequel on donne les préceptes nécessaires pour le mettre heureusement en pratique [...] par madame Le Boursier Du Coudray, ancienne maîtresse sage-femme de Paris, Paris : chez la Veuve Delaguette, 1759, texte numérisé d’après l’original de la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-TE121-43, consultable en ligne sur Gallica.
Bibliothèque nationale de France, NUMM-9766051, Le Boursier Du Coudray, madame, Abrégé de l’art des accouchemens, dans lequel on donne les préceptes nécessaires pour le mettre heureusement en pratique […], Paris : chez la Veuve Delaguette, 1759, texte numérisé d’après l’original de la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-TE121-43, consultable en ligne sur Gallica.

En dehors du curé, des marguilliers et du maître d’école, la vie de la paroisse est liée aux sages-femmes ou « belles-mères », car les naissances sont nombreuses. En ce qui concerne celles qui ont été présentes à La Romagne, nous ne savons que peu de choses et ignorons même le plus souvent leur identité, sauf pour quelques-unes d’entre elles. Celle qui exerce en 1663 se nomme Hélène Legros[1], tandis que celle qui aide aux accouchements en 1756 est Marie-Catherine Bellomé ou Bellommé, ainsi que le signale le curé dans un acte de naissance[2].


[1] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 2 G 252 page 212 [série G = clergé séculier, sous-série 2G = fonds de l’archevêché de Reims, cotes 2G 250-252 = administration spirituelle du diocèse, état des paroisses, visites des églises (1348-1789)].

[2] Archives départementales des Ardennes, 5 Mi 7 R 40 [série Mi = reproductions d’archives sous forme de microfilms, sous-série 5 Mi = microformes d’état civil réalisés par Family History Library, la société généalogique de Salt Lake City].


Bosse, Abraham, l'Accouchement, troisième planche d'une suite de six intitulée le Mariage à la ville. scène de genre, eau-forte et burin, 1633, consultable en ligne sur le portail des expositions virtuelles de la Bibliothèque nationale de France.
Bosse, Abraham (graveur), l’Accouchement, troisième planche d’une suite de six intitulée le Mariage à la ville. scène de genre, eau-forte et burin, 1633, consultable en ligne sur le portail des expositions virtuelles de la Bibliothèque nationale de France.

En 1772, c’est Marie Langlet qui assiste les mères pour les enfantements. En revanche, à Montmeillant au même moment, il n’y en a pas et le curé reçoit l’ordre d’en faire élire une au plus vite[1]. Tout comme pour le maître d’école, la présence de la sage-femme n’est attestée dans les diverses visites pastorales qu’à partir de 1745. Cette année-là, elle est présente « physiquement » lors de l’inspection du vicaire et « instruite sur les devoirs de son ministère », selon le procès-verbal.


[1] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 2 G 252 page 213 [série G = clergé séculier, sous-série 2G = fonds de l’archevêché de Reims, cotes 2G 250-252 = administration spirituelle du diocèse, état des paroisses, visites des églises (1348-1789)].


Musée Flaubert et d'histoire de la médecine (Rouen), numéro d'inventaire 2004.0.58.7, machine de Madame Du Coudray, mannequin utilisé pour l'enseignement de l'art des accouchements, les jumeaux, 2e moitié du 18e siècle, notice consultable en ligne sur le portail des collections du Réseau des musées de Normandie.
Musée Flaubert et d’histoire de la médecine (Rouen), numéro d’inventaire 2004.0.58.7, machine de Madame Du Coudray, mannequin utilisé pour l’enseignement de l’art des accouchements, les jumeaux, 2e moitié du 18e siècle, notice consultable en ligne sur le portail des collections du Réseau des musées de Normandie.

Le baptême administré par la sage-femme ne doit l’être que dans un cas bien précis, « la crainte qu’on n’aurait pas le temps de porter l’enfant à l’église » ; la lecture des registres ne fait apparaître que quelques cas de « baptême à la maison », et concerne les enfants nés d’un même couple. La sage-femme administre le baptême les 5 février 1753, 21 mars 1754 et 8 mai 1756 aux trois enfants du couple formé par Raulin Boudsocq et Marie Monnoy, puis en 1760 aux « enfants gémellaires » de Jean-Baptiste Tellier et Marguerite Pagnier. L’urgence de cet acte est avérée, puisque ces jumeaux décèdent le premier jour.

De même, celle qui exerce en 1774 est « bien instruite pour administrer en cas de nécessité le baptême mais elle n’a pas prêté serment ». Celle de 1783 n’est pas « jurée » mais « on ne se plaint pas » de celle qui « fait les fonctions ».


Ce portrait de Charles-Maurice Le Tellier par Robert Nanteuil en 1663 montre l'homme d'Eglise avant qu'il ne soit archevêque-duc de Reims de 1671 à sa mort. L'ecclésiastique évoque les sages-femmes dans le rituel qu'il a renouvelé et augmenté.
Ce portrait de Charles-Maurice Le Tellier par Robert Nanteuil en 1663 montre l’homme d’Eglise avant qu’il ne soit archevêque-duc de Reims de 1671 à sa mort. L’ecclésiastique évoque les sages-femmes dans le rituel qu’il a renouvelé et augmenté.

L’absence de documents particuliers au village ne permet pas d’en savoir plus sur le nom et le choix des maïeuticiennes, mais on peut penser que celui-ci se fait en fonction des instructions données dans le rituel de la province ecclésiastique de Reims [1], car les évêques ou les archevêques souhaitent « qu’il y ait une sage-femme pour chaque paroisse ». Ainsi, lorsque le choix d’une accoucheuse s’avère nécessaire, le curé doit réunir les femmes les plus honnêtes et les plus vertueuses et les avertit « d’élire celle qu’elles croiront la plus fidèle et la plus propre à exercer cette fonction ».

Ensuite, le curé lui enseigne « la véritable forme du baptême », lui fait prêter le serment selon la formule qui est dans le rituel. En outre, il l’avertit « de ne baptiser aucun enfant que dans la nécessité et en présence de deux femmes dont la mère de l’enfant si cela est possible ».  Si l’on se réfère à ces directives, on constate qu’à aucun moment il n’est question d’instruction professionnelle : la sage-femme est une simple matrone dont les conditions de vie sont très médiocres, et qui est peu rémunérée. Un accouchement payé, ce qui est loin d’être toujours le cas, l’est pour 30 sols (environ 25 euros de nos jours).


[1] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, R Thi 402, Église catholique (auteur), Rituel de la province de Reims, renouvelé et augmenté par monseigneur Charles Maurice Le Tellier, archevêque-duc de Reims, Paris : Frédéric Léonard, 1677, 643 p.


Musée Flaubert et d'histoire de la médecine (Rouen), numéro d'inventaire 2004.0.58.1, machine de madame Du Coudray, mannequin utilisé pour l'enseignement de l'art des accouchements, partie inférieure du corps d'une femme, 2e moitié du 18e siècle, notice consultable en ligne sur le portail des collections du Réseau des musées de Normandie.
Musée Flaubert et d’histoire de la médecine (Rouen), numéro d’inventaire 2004.0.58.1, machine de madame Du Coudray, mannequin utilisé pour l’enseignement de l’art des accouchements, partie inférieure du corps d’une femme, 2e moitié du 18e siècle, notice consultable en ligne sur le portail des collections du Réseau des musées de Normandie.

Le plus souvent, la sage-femme est assez âgée, mariée ou veuve d’un laboureur. Il faut attendre que le roi Louis XVI s’émeuve de tous les accidents qui surviennent lors des accouchements pour que l’on ouvre des cours publics et gratuits dans les diverses provinces afin de former les sages-femmes.


Musée Flaubert et d'histoire de la médecine (Rouen), numéro d'inventaire 2004.0.58.11, machine de madame Du Coudray, mannequin utilisé pour l'enseignement de l'art des accouchements, appareil génital féminin représenté avec tous ses organes en taille naturelle en dehors de la grossesse, 2e moitié du 18e siècle, notice consultable en ligne sur le portail des collections du Réseau des musées de Normandie.
Musée Flaubert et d’histoire de la médecine (Rouen), numéro d’inventaire 2004.0.58.11, machine de madame Du Coudray, mannequin utilisé pour l’enseignement de l’art des accouchements, appareil génital féminin représenté avec tous ses organes en taille naturelle en dehors de la grossesse, 2e moitié du 18e siècle, notice consultable en ligne sur le portail des collections du Réseau des musées de Normandie.

Ainsi, elles seront « à même d’éviter des erreurs souvent fatales » et elles sauront aussi « faire appel au secours d’un chirurgien habile[1] ». Si l’on ne sait rien de la formation de la sage-femme de La Romage en 1774, on apprend que celle qui exerce à Chaumont-Porcien est « aux écoles » à Château-Porcien, preuve que la formation commençait à se répandre. Une correspondance entre l’intendant de Châlons monsieur Rouillé d’Orfeuil et le subdélégué de Château-Porcien concerne l’envoi du « sieur Colombier chirurgien à Château pour suivre le cours d’accouchement de Madame Ducoubry [sic, c’est-à-dire Du Coudray] et faire l’emplette de sa machine ».


Angélique Marguerite Le Boursier Du Coudray est la première sage-femme à enseigner en public l'art des accouchements. Elle promeut le remplacement des matrones autodidactes par des praticiennes formées.
Angélique Marguerite Le Boursier Du Coudray est la première sage-femme à enseigner en public l’art des accouchements. Elle promeut le remplacement des matrones autodidactes par des praticiennes formées.

Ce même sieur Colombier va ouvrir ensuite un cours gratuit pour l’instruction de huit sages-femmes. Ce document indique également que d’autres suivent ce cours entre le 3 janvier et le 1er février 1774. Un autre enseignement est dispensé la même année à Rethel par le docteur Jacques Télinge, qui en organise d’autres en 1775 et 1778.


[1] Bibliothèque nationale de France, document numérique, NUMM-6257391, Gosset, Paul, Les sages-femmes du pays rémois au XVIIe et au XVIIIe siècle : notes publiées à l’occasion du centenaire de la maternité de l’hôpital civil de Reims (6 avril 1809), Reims : Matot-Braine, 1909, texte numérisé d’après l’original de la Bibliothèque nationale de France 8-T3-229, consultable en ligne sur Gallica.


Musée Flaubert et d'histoire de la médecine (Rouen), numéro d'inventaire 2004.0.58.3, machine de madame Du Coudray, mannequin utilisé pour l'enseignement de l'art des accouchements, fœtus à sept mois dans sa matrice, 2e moitié du 18e siècle, notice consultable en ligne sur le portail des collections du Réseau des musées de Normandie.
Musée Flaubert et d’histoire de la médecine (Rouen), numéro d’inventaire 2004.0.58.3, machine de madame Du Coudray, mannequin utilisé pour l’enseignement de l’art des accouchements, fœtus à sept mois dans sa matrice, 2e moitié du 18e siècle, notice consultable en ligne sur le portail des collections du Réseau des musées de Normandie.

Par la suite, l’activité des sages-femmes est davantage formalisée. Un nouveau règlement rendu pour elles par les officiers au bailliage royal et siège présidial de Reims en juin 1787 renforce les règles édictées dans le précédent du 30 août 1782 : il interdit en particulier l’exercice de l’art des accouchements « à toutes les personnes à moins qu’elles n’aient assisté exactement et pendant le temps nécessaire aux leçons qui se donnent gratuitement dans les lieux les plus voisins de leur domicile et à celles qui ne seraient pas munies de lettres de capacité délivrées à la suite de ces cours, ni en possession d’un certificat de bonne vie et mœurs délivré par le curé de la paroisse de leur domicile ».


Musée Flaubert et d'histoire de la médecine (Rouen), numéro d'inventaire 2004.0.58.8, machine de madame Du Coudray, mannequin utilisé pour l'enseignement de l'art des accouchements, tête d'un enfant mort, 2e moitié du 18e siècle, notice consultable en ligne sur le portail des collections du Réseau des musées de Normandie.
Musée Flaubert et d’histoire de la médecine (Rouen), numéro d’inventaire 2004.0.58.8, machine de madame Du Coudray, mannequin utilisé pour l’enseignement de l’art des accouchements, tête d’un enfant mort, 2e moitié du 18e siècle, notice consultable en ligne sur le portail des collections du Réseau des musées de Normandie.

Pour encourager les sages-femmes à s’instruire, ou pour susciter quelques vocations, des mesures sont prises comme des exemptions d’impôts, en particulier les tailles pour elles et leur mari. Petit à petit, l’instruction donnée va permettre une amélioration de la vie de la mère et du nouveau-né. Trop de femmes meurent en couches ou de leurs suites. Quant à la mortalité néo-natale, elle est aussi très importante. Il n’est pour s’en persuader que de lire les registres paroissiaux : ce ne sont parfois que quelques heures ou quelques jours qui séparent la naissance, le baptême et le décès. C’est aussi pour le royaume une perte infinie de sujets.


Musée Flaubert et d'histoire de la médecine (Rouen), numéro d'inventaire 2004.0.58.2, machine de madame Du Coudray, mannequin utilisé pour l'enseignement de l'art des accouchements, fœtus à terme, 2e moitié du 18e siècle, notice consultable en ligne sur le portail des collections du Réseau des musées de Normandie.
Musée Flaubert et d’histoire de la médecine (Rouen), numéro d’inventaire 2004.0.58.2, machine de madame Du Coudray, mannequin utilisé pour l’enseignement de l’art des accouchements, fœtus à terme, 2e moitié du 18e siècle, notice consultable en ligne sur le portail des collections du Réseau des musées de Normandie.

En l’an III, la sage-femme est Marie Mauroy. A moins d’une homonymie, il s’agit probablement de l’épouse de Sébastien Dourlet, décédée à La Romagne le 2 messidor an X.

Quelques noms apparaissent encore après cette période : Marie-Anne Bolommé ou Bonnomet (qui serait la femme de Hubert Sonnet) aurait tenu cette fonction avant l’an IX. De 1816 jusque 1822 au moins, on trouve Cécile Grandvalet. Ensuite, vers 1827, c’est Françoise Créquy de Rocquigny qui s’occupe des parturientes de La Romagne. Enfin, en 1835, Agnès Eléonore Davaux (épouse de François Xavier Lallement), habitant La Romagne, remplit « les fonctions à défaut d’autre ».


Bibliothèque nationale de France, NUMM-1175483, Le Boursier Du Coudray, madame, Abrégé de l'art des accouchemens, dans lequel on donne les préceptes nécessaires pour le mettre heureusement en pratique Paris : Vve Delaguette, 1759, texte numérisé d’après l’original de la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-TE123-738, consultable en ligne sur Gallica.
Bibliothèque nationale de France, NUMM-1175483, Andrieu, mademoiselle (sage-femme), Du Rôle de la sage-femme dans la société, par Mlle Andrieu, Paris : imprimerie de Alcan-Lévy, 1889, texte numérisé d’après l’original de la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-TE123-738, consultable en ligne sur Gallica.

Aucune donnée ultérieure concernant la présence d’une sage-femme à La Romagne n’a pu être trouvée dans l’état actuel des recherches. Il semblerait que l’officier de santé de Rocquigny ait été de plus en plus sollicité, avant de laisser la place à un médecin.

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L’école de La Romagne et l’affirmation de la laïcité


La Romagne (Ardennes), église et école, carte postale ancienne d’Augustin Wilmet, photographe-éditeur à Rethel.
La Romagne (Ardennes), église et école, carte postale ancienne d’Augustin Wilmet, photographe-éditeur à Rethel.

Jusqu’en 1789, l’enseignement primaire est globalement assuré dans les diverses paroisses du Porcien et tout particulièrement à La Romagne mais, avec les troubles révolutionnaires, on assiste momentanément à sa régression.

Les décrets des 30 mai 1793 et 29 frimaire an II (1er décembre 1793) cherchent à réorganiser l’enseignement primaire, et donc à le soustraire aux «  tenants du fanatisme et de la superstition », autrement dit aux religieux. Le décret du 27 brumaire an III, qui prévoit dans chaque département une école pour 1000 habitants, change l’organisation de l’enseignement dans les petits villages.

On en a la confirmation lors de la séance tenue le 11 nivôse an IV à Rocquigny, où l’administration signale qu’il n’y aura désormais plus que quatre écoles pour le canton. La  première se trouve à Rocquigny, chef-lieu du canton. La deuxième est à Rubigny et regroupe les enfants de La Hardoye, Vaux et Wadimont. La troisième, à Mainbressy, accueille les élèves de Mainbresson. La dernière se situe à Librebois (nom donné à Saint-Jean-aux-Bois sous la Révolution) pour les écoliers de ce village, de Montmeillant et de La Romagne.

Le blason communal de Rocquigny est de gueules au chevron accompagné en chef de deux besants et en pointe d'une mâcle le tout d'or.
Le blason communal de Rocquigny est de gueules au chevron accompagné en chef de deux besants et en pointe d’une mâcle le tout d’or.

A la suite de cette décision, l’agent communal de La Romagne fait remarquer que « les élèves de la commune sont dans l’impossibilité de se rendre à Librebois en raison du mauvais état des chemins » et demande qu’un « sous-instituteur » (ce que l’on appellerait de nos jours un instituteur adjoint) soit établi dans la commune. Cette solution est adoptée quelque temps plus tard.

La Révolution n’institue pas la gratuité de l’école, ce qui est un frein considérable pour l’instruction : chaque élève allant en classe doit payer au maître une rétribution annuelle de 25 livres moitié en valeur métallique et moitié en assignats[1], ce qui représente pour certaines familles une somme considérable.

L’assignat est une monnaie mise en place sous la Révolution française.
L’assignat est une monnaie mise en place sous la Révolution française.

Vers 1807, on retrouve à La Romagne une situation identique à celle de l’époque prérévolutionnaire[2], puisque le maître d’école « faute de local réunit les enfants des deux sexes jusqu’à l’âge de 12 ou 13 ans » chez lui.

En 1829, le maire du village François Merlin adresse une lettre au recteur de l’académie de Metz, en réponse à sa demande de renseignements sur les moyens de prouver l’instruction donnée aux enfants de la paroisse de La Romagne. On apprend qu’à cette date le village n’a toujours pas de « maison d’école » mais qu’il en loue une pour la somme annuelle de 50 francs. On y découvre en outre  que «  les filles et les garçons sont séparés pour recevoir cette instruction conformément à l’ordonnance du 27 janvier 1808 [3] ». En 1833, sur les 478 communes que comptait le département, quatre-vingts n’ont pas encore d’école, alors qu’en 1855 Il comptera 428 écoles mixtes.

Le blason communal de Metz est mi-partie d’argent et de sable.
Le blason communal de Metz est mi-partie d’argent et de sable.

[1] Archives départementales des Ardennes, L 1336 [série L = administration et tribunaux de la période révolutionnaire (1790-1800), cotes L 1336-1337 = canton de Rocquigny, délibérations, an IV-1819, fonds concernant les hôpitaux, prisons, affaires cantonales et municipales].

[2] Archives départementales de la Moselle, 29J 370 [série J = archives privées, sous-série 29J = évêché de Metz (1093-1999)].

[3] Archives départementales des Ardennes, 7J 43  [série J = archives d’origine privée (entrées par voie d’achat, don, legs ou dépôt), sous-série 7J = collection Guelliot, érudit local].


La première école du village fut construite en 1843 et prit par la suite la dénomination d’école de garçons, puisqu’en 1866, à la suite d’un décret impérial, une école de filles devait ouvrir. Contrairement au cas de Rocquigny, où il y a une école de filles tenue par les religieuses de la Divine Providence de Reims, La Romagne veut absolument avoir deux écoles laïques.

Mademoiselle Marie Eugénie Devie (née le 3 septembre 1833 à La Romagne, décédée le 10 septembre 1864 à Reims), religieuse d’une congrégation féminine enseignante[1], fille de Jean-Baptiste Devie et de Marguerite Virginie Devie, va changer radicalement la situation. Son legs[2] à La Romagne d’une maison située rue Basse (avec ses dépendances), des objets mobiliers qu’elle contient, et d’une rente annuelle de 300 francs, fait l’objet d’une disposition testamentaire[3] très précise : la commune ne pourra disposer des biens qu’à la condition expresse que « la maîtresse choisie devra pratiquer les devoirs de la religion », ce qui ne veut pas dire qu’elle doit être entrée dans les ordres. Mais la frontière est mince…

Sur cette carte postale ancienne de l'église et de la rue Basse, il est possible d'apercevoir la maison léguée par Mademoiselle Marie Eugénie Devie.
Sur cette carte postale ancienne de l’église et de la rue Basse, il est possible de voir la maison léguée par Mademoiselle Marie Eugénie Devie.

Au départ, le conseil municipal ne semble pas s’en réjouir : il craint que ce don ne génère pour la commune des dépenses importantes. Mais, à la suite d’une intervention du sous-préfet, les édiles réexaminent leur position, tout en ayant connaissance des protestations du frère de la donatrice, qui se sent spolié.

Finalement, et après avoir reçu quelques aides départementales en vue de l’équipement de cette école, les élus décident d’accepter cette donation, mais insistent pour que l’institutrice soit laïque. Sur ce point, la municipalité aura gain de cause. Des travaux sont engagés afin que cette maison soit appropriée à sa nouvelle fonction. Le financement en est assuré par la vente du mobilier légué en même temps que le bâtiment. Une souscription et un crédit s’y ajoutent. Compte tenu de la population scolaire dénombrée après le recensement de 1891, la création d’un tel établissement est plus que nécessaire. Cette école fonctionnera jusqu’en 1923.


[1] Les sœurs de l’Enfant-Jésus sont présentes dans le diocèse de Reims.

[2] Archives départementales des Ardennes, 3Q 1583 p. 189 et 3Q 1584 p. 74 [série Q = domaines, enregistrement, hypothèques, sous-série 3Q = enregistrement et timbre, depuis l’an VII].

[3] Archives départementales des Ardennes, 3E 14/130 (testament), 3E 14/136 et 3E 14/137 (inventaire), étude de maître Courboin, notaire à Chaumont-Porcien [série E = état civil, officiers publics et ministériels, sous-série 3E14/1-324 = archives notariales de Chaumont-Porcien et Seraincourt].


Cette carte postale ancienne de la mairie et de l'école est antérieure à la pose du monument aux morts de La Romagne.
Cette carte postale ancienne de la mairie et de l’école est antérieure à la pose du monument aux morts de La Romagne.

Au bout d’une petite quarantaine d’années d’existence, l’école de garçons a besoin de réparations malgré son entretien régulier. Sa façade la plus exposée est finalement couverte d’ardoises. Le chauffage de la classe peut incomber aux communes ou aux élèves, qui doivent alors apporter des bûches (sachant que La Romagne est tenue de fournir et de veiller à l’entretien du poêle et des tuyaux).

Durant l’occupation allemande du village pendant la première guerre mondiale, l’école reste ouverte le plus souvent possible (sauf lorsque des troupes de passage en prennent possession). Elle est fermée par ordre le 19 février 1917, puis occupée à partir du 21 par des troupes qui restent plus de 3 mois.

Ce plan de l'école de La Romagne a prévalu dans l'entre-deux-guerres (mairie de La Romagne, avec l’aimable autorisation de monsieur René Malherbe, maire de la commune).
Ce plan de l’école de La Romagne a prévalu dans l’entre-deux-guerres (mairie de La Romagne, avec l’aimable autorisation de monsieur René Malherbe, maire de la commune).

Il ne semble pas que l’école ait eu à subir de gros dégâts durant cette guerre. Pendant l’année 1919/1920, outre l’enseignement primaire qui s’y déroule, des cours d’adultes et des conférences populaires s’y tiennent. Une enquête en date de 1921, faite auprès de l’instituteur (monsieur Bion) et de l’institutrice (mademoiselle Sinet), permet de mieux connaître la réalité du moment.


L’inspecteur primaire, dès 1922, pense qu’il serait bon de remplacer les deux écoles par une seule qui serait mixte[1]. Ce projet est en opposition avec les vœux d’un conseil municipal, qui s’élève contre une telle décision, et qui essaie de tirer argument de certaines conditions du legs reçu, en particulier à propos de la rente.

Ce représentant de l’inspection, fort d’un arrêté ministériel approuvant la délibération du conseil départemental de l’enseignement primaire des Ardennes relative à cette suppression tient bon. Il propose que, malgré l’opposition de la mairie, une demande soit adressée au ministre pour la suppression de ces deux écoles, en échange de la création d’une école mixte à classe unique. Il souligne toutefois que « si les effectifs futurs le permettaient l’école de filles serait rouverte ».

Le blason départemental des Ardennes est d'azur à la bande d'argent accostée de deux cotices potencées et contre-potencées d'or, surchargées d'un écusson d'argent au sanglier de sable ; au chef de gueules chargé de trois râteaux d'or.
Le blason départemental des Ardennes est d’azur à la bande d’argent accostée de deux cotices potencées et contre-potencées d’or, surchargées d’un écusson d’argent au sanglier de sable ; au chef de gueules chargé de trois râteaux d’or.

Cette promesse n’est qu’un peu de baume donné à ceux qui étaient attachés au passé scolaire du village. Mais cette clause n’a aucune chance de se réaliser, compte tenu du contexte. La décision de cette suppression entraîne aussitôt un conflit entre la municipalité et une habitante, héritière présomptive et déçue, qui prétend que la commune viole les intentions de la testatrice. Le différend est porté devant le tribunal, qui réfute cet argument, et qui souligne que la volonté bien certaine de la testatrice est d’exclure ses héritiers légitimes. L’affaire s’arrête là , et la rente trouve un autre emploi : elle sert désormais à financer un cours d’enseignement ménager de deux heures hebdomadaires, comprenant un cours de cuisine élémentaire et de couture.


[1] Archives départementales des Ardennes, TSUPPL 79 [série T = enseignement général, affaires culturelles, sports, sous-série TSUPPL = fonds supplémentaires].


L'école de La Romagne se trouve dans les bâtiments de la mairie, sur la place principale.
L’école de La Romagne se trouve dans les murs de la mairie. Le conseil municipal se réunit au premier étage du bâtiment.

Quant au bâtiment de l’école des filles, il va devenir, pour un temps, le presbytère de cette paroisse. Dès 1932, la construction d’une nouvelle mairie-école mixte est sérieusement envisagée par la municipalité, mais les instances scolaires  tergiversent et ce projet n’est pas réalisé.

Les dégâts subis par le village en 1940 ont des répercussions tant sur le bâtiment que sur le fonctionnement de l’école. Celle-ci a une seule façade couverte en ardoise et des murs latéraux en torchis. Elle n’a comme seul aménagement que l’électricité. Les dégâts concernent le préau, la salle de classe et sa vitrerie. En effet, le mur mitoyen qui sépare la salle de classe et le logement de l’instituteur est largement percé. La salle du conseil municipal (qui se trouve juste au-dessus de la classe) a elle aussi assez souffert, sans parler de la toiture des toilettes qui est en partie arrachée.


Quoique l’école fonctionne normalement quant à l’enseignement dès le retour de la paix, la restauration du bâtiment n’est plus possible en raison de sa vétusté : plafonds trop bas, murs délabrés, boiseries pourries et cheminées dangereuses. De plus, sa situation à proximité du cimetière (pouvant causer des problèmes d’eau contaminée) et son inadaptation aux normes (manque d’espace par élève, etc.) sont signalées depuis longtemps.

Promesse de vente d'une parcelle de terrain pour la construction de la nouvelle école (mairie de La Romagne, avec l’aimable autorisation de monsieur René Malherbe, maire de la commune).
Promesse de vente d’une parcelle de terrain pour la construction de la nouvelle école (mairie de La Romagne, avec l’aimable autorisation de monsieur René Malherbe, maire de la commune).

En 1949, la décision de construire une école sur un autre emplacement est prise. Pour cela, la municipalité achète deux terrains contigus, dont l’un contient une source qui alimentera l’école en eau potable.

Plan des parcelles de la nouvelle école (mairie de La Romagne, avec l’aimable autorisation de monsieur René Malherbe, maire de la commune).
Plan des parcelles de la nouvelle école (mairie de La Romagne, avec l’aimable autorisation de monsieur René Malherbe, maire de la commune).

La commune confie la réalisation des plans à Robert Gauze, architecte parisien qui va privilégier la luminosité du bâtiment, en multipliant les fenêtres et les ouvertures.

La nouvelle école de La Romagne (inaugurée en 1954) est un lieu lumineux et ouvert sur le village.
La nouvelle école de La Romagne inaugurée en 1954 est un lieu lumineux et ouvert sur le village.

C’est en 1954 que la nouvelle mairie-école est inaugurée, et en 1953 que la dernière promotion d’élèves se réunit avec monsieur René Jonnart dans la cour de l’ancien bâtiment.

La dernière promotion (année scolaire 1952/1953) de l'ancienne école accompagnée de son instituteur, monsieur René Jonnart. Cette photographie de la promotion 1953 se lit de bas en haut et de gauche à droite. Première rangée : Daniel ou Maurice Lavric, Raymond Marandel, Françoise, Cugnart, Yvette Lelong, Martine Mouton, Michel Mauroy, Jean-Michel Taillette, Alain Mouton. Deuxième rangée : Georges Malherbe, [debout], François Lavric, Jean-Claude Milhau, Yves Albertini †, Jean-Michel Guillaume, Alain Ravignon, Michel Lesein, Jean-Michel Milhau, Norbert Lelong. Troisième rangée : Jeannine Courtois, Colette Cugnard, Jacky Ravignon, Michel Marandel. (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Georges Malherbe).
Cette photographie de la dernière promotion (1953) de l’ancienne école de La Romagne, se lit de bas en haut et de gauche à droite. Première rangée : Georges Malherbe [debout], Daniel (ou Maurice) Lavric, Raymond Marandel, Françoise Cugnart, Yvette Lelong, Martine Mouton, Michel Mauroy, Jean-Michel Taillette, Alain Mouton [debout]. Deuxième rangée : monsieur René Jonnart, François Lavric, Jean-Claude Milhau, Yves Albertini †, Jean-Michel Guillaume, Alain Ravignon, Michel Lesein, Jean-Michel Milhau, Norbert Lelong. Troisième rangée : Jeannine Courtois, Colette Cugnard, Jacky Ravignon, Michel Marandel (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Georges Malherbe).