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L’école de La Romagne et l’affirmation de la laïcité


La Romagne (Ardennes), église et école, carte postale ancienne d’Augustin Wilmet, photographe-éditeur à Rethel.
La Romagne (Ardennes), église et école, carte postale ancienne d’Augustin Wilmet, photographe-éditeur à Rethel.

Jusqu’en 1789, l’enseignement primaire est globalement assuré dans les diverses paroisses du Porcien et tout particulièrement à La Romagne mais, avec les troubles révolutionnaires, on assiste momentanément à sa régression.

Les décrets des 30 mai 1793 et 29 frimaire an II (1er décembre 1793) cherchent à réorganiser l’enseignement primaire, et donc à le soustraire aux «  tenants du fanatisme et de la superstition », autrement dit aux religieux. Le décret du 27 brumaire an III, qui prévoit dans chaque département une école pour 1000 habitants, change l’organisation de l’enseignement dans les petits villages.

On en a la confirmation lors de la séance tenue le 11 nivôse an IV à Rocquigny, où l’administration signale qu’il n’y aura désormais plus que quatre écoles pour le canton. La  première se trouve à Rocquigny, chef-lieu du canton. La deuxième est à Rubigny et regroupe les enfants de La Hardoye, Vaux et Wadimont. La troisième, à Mainbressy, accueille les élèves de Mainbresson. La dernière se situe à Librebois (nom donné à Saint-Jean-aux-Bois sous la Révolution) pour les écoliers de ce village, de Montmeillant et de La Romagne.

Le blason communal de Rocquigny est de gueules au chevron accompagné en chef de deux besants et en pointe d'une mâcle le tout d'or.
Le blason communal de Rocquigny est de gueules au chevron accompagné en chef de deux besants et en pointe d’une mâcle le tout d’or.

A la suite de cette décision, l’agent communal de La Romagne fait remarquer que « les élèves de la commune sont dans l’impossibilité de se rendre à Librebois en raison du mauvais état des chemins » et demande qu’un « sous-instituteur » (ce que l’on appellerait de nos jours un instituteur adjoint) soit établi dans la commune. Cette solution est adoptée quelque temps plus tard.

La Révolution n’institue pas la gratuité de l’école, ce qui est un frein considérable pour l’instruction : chaque élève allant en classe doit payer au maître une rétribution annuelle de 25 livres moitié en valeur métallique et moitié en assignats[1], ce qui représente pour certaines familles une somme considérable.

L’assignat est une monnaie mise en place sous la Révolution française.
L’assignat est une monnaie mise en place sous la Révolution française.

Vers 1807, on retrouve à La Romagne une situation identique à celle de l’époque prérévolutionnaire[2], puisque le maître d’école « faute de local réunit les enfants des deux sexes jusqu’à l’âge de 12 ou 13 ans » chez lui.

En 1829, le maire du village François Merlin adresse une lettre au recteur de l’académie de Metz, en réponse à sa demande de renseignements sur les moyens de prouver l’instruction donnée aux enfants de la paroisse de La Romagne. On apprend qu’à cette date le village n’a toujours pas de « maison d’école » mais qu’il en loue une pour la somme annuelle de 50 francs. On y découvre en outre  que «  les filles et les garçons sont séparés pour recevoir cette instruction conformément à l’ordonnance du 27 janvier 1808 [3] ». En 1833, sur les 478 communes que comptait le département, quatre-vingts n’ont pas encore d’école, alors qu’en 1855 Il comptera 428 écoles mixtes.

Le blason communal de Metz est mi-partie d’argent et de sable.
Le blason communal de Metz est mi-partie d’argent et de sable.

[1] Archives départementales des Ardennes, L 1336 [série L = administration et tribunaux de la période révolutionnaire (1790-1800), cotes L 1336-1337 = canton de Rocquigny, délibérations, an IV-1819, fonds concernant les hôpitaux, prisons, affaires cantonales et municipales].

[2] Archives départementales de la Moselle, 29J 370 [série J = archives privées, sous-série 29J = évêché de Metz (1093-1999)].

[3] Archives départementales des Ardennes, 7J 43  [série J = archives d’origine privée (entrées par voie d’achat, don, legs ou dépôt), sous-série 7J = collection Guelliot, érudit local].


La première école du village fut construite en 1843 et prit par la suite la dénomination d’école de garçons, puisqu’en 1866, à la suite d’un décret impérial, une école de filles devait ouvrir. Contrairement au cas de Rocquigny, où il y a une école de filles tenue par les religieuses de la Divine Providence de Reims, La Romagne veut absolument avoir deux écoles laïques.

Mademoiselle Marie Eugénie Devie (née le 3 septembre 1833 à La Romagne, décédée le 10 septembre 1864 à Reims), religieuse d’une congrégation féminine enseignante[1], fille de Jean-Baptiste Devie et de Marguerite Virginie Devie, va changer radicalement la situation. Son legs[2] à La Romagne d’une maison située rue Basse (avec ses dépendances), des objets mobiliers qu’elle contient, et d’une rente annuelle de 300 francs, fait l’objet d’une disposition testamentaire[3] très précise : la commune ne pourra disposer des biens qu’à la condition expresse que « la maîtresse choisie devra pratiquer les devoirs de la religion », ce qui ne veut pas dire qu’elle doit être entrée dans les ordres. Mais la frontière est mince…

Sur cette carte postale ancienne de l'église et de la rue Basse, il est possible d'apercevoir la maison léguée par Mademoiselle Marie Eugénie Devie.
Sur cette carte postale ancienne de l’église et de la rue Basse, il est possible de voir la maison léguée par Mademoiselle Marie Eugénie Devie.

Au départ, le conseil municipal ne semble pas s’en réjouir : il craint que ce don ne génère pour la commune des dépenses importantes. Mais, à la suite d’une intervention du sous-préfet, les édiles réexaminent leur position, tout en ayant connaissance des protestations du frère de la donatrice, qui se sent spolié.

Finalement, et après avoir reçu quelques aides départementales en vue de l’équipement de cette école, les élus décident d’accepter cette donation, mais insistent pour que l’institutrice soit laïque. Sur ce point, la municipalité aura gain de cause. Des travaux sont engagés afin que cette maison soit appropriée à sa nouvelle fonction. Le financement en est assuré par la vente du mobilier légué en même temps que le bâtiment. Une souscription et un crédit s’y ajoutent. Compte tenu de la population scolaire dénombrée après le recensement de 1891, la création d’un tel établissement est plus que nécessaire. Cette école fonctionnera jusqu’en 1923.


[1] Les sœurs de l’Enfant-Jésus sont présentes dans le diocèse de Reims.

[2] Archives départementales des Ardennes, 3Q 1583 p. 189 et 3Q 1584 p. 74 [série Q = domaines, enregistrement, hypothèques, sous-série 3Q = enregistrement et timbre, depuis l’an VII].

[3] Archives départementales des Ardennes, 3E 14/130 (testament), 3E 14/136 et 3E 14/137 (inventaire), étude de maître Courboin, notaire à Chaumont-Porcien [série E = état civil, officiers publics et ministériels, sous-série 3E14/1-324 = archives notariales de Chaumont-Porcien et Seraincourt].


Cette carte postale ancienne de la mairie et de l'école est antérieure à la pose du monument aux morts de La Romagne.
Cette carte postale ancienne de la mairie et de l’école est antérieure à la pose du monument aux morts de La Romagne.

Au bout d’une petite quarantaine d’années d’existence, l’école de garçons a besoin de réparations malgré son entretien régulier. Sa façade la plus exposée est finalement couverte d’ardoises. Le chauffage de la classe peut incomber aux communes ou aux élèves, qui doivent alors apporter des bûches (sachant que La Romagne est tenue de fournir et de veiller à l’entretien du poêle et des tuyaux).

Durant l’occupation allemande du village pendant la première guerre mondiale, l’école reste ouverte le plus souvent possible (sauf lorsque des troupes de passage en prennent possession). Elle est fermée par ordre le 19 février 1917, puis occupée à partir du 21 par des troupes qui restent plus de 3 mois.

Ce plan de l'école de La Romagne a prévalu dans l'entre-deux-guerres (mairie de La Romagne, avec l’aimable autorisation de monsieur René Malherbe, maire de la commune).
Ce plan de l’école de La Romagne a prévalu dans l’entre-deux-guerres (mairie de La Romagne, avec l’aimable autorisation de monsieur René Malherbe, maire de la commune).

Il ne semble pas que l’école ait eu à subir de gros dégâts durant cette guerre. Pendant l’année 1919/1920, outre l’enseignement primaire qui s’y déroule, des cours d’adultes et des conférences populaires s’y tiennent. Une enquête en date de 1921, faite auprès de l’instituteur (monsieur Bion) et de l’institutrice (mademoiselle Sinet), permet de mieux connaître la réalité du moment.


L’inspecteur primaire, dès 1922, pense qu’il serait bon de remplacer les deux écoles par une seule qui serait mixte[1]. Ce projet est en opposition avec les vœux d’un conseil municipal, qui s’élève contre une telle décision, et qui essaie de tirer argument de certaines conditions du legs reçu, en particulier à propos de la rente.

Ce représentant de l’inspection, fort d’un arrêté ministériel approuvant la délibération du conseil départemental de l’enseignement primaire des Ardennes relative à cette suppression tient bon. Il propose que, malgré l’opposition de la mairie, une demande soit adressée au ministre pour la suppression de ces deux écoles, en échange de la création d’une école mixte à classe unique. Il souligne toutefois que « si les effectifs futurs le permettaient l’école de filles serait rouverte ».

Le blason départemental des Ardennes est d'azur à la bande d'argent accostée de deux cotices potencées et contre-potencées d'or, surchargées d'un écusson d'argent au sanglier de sable ; au chef de gueules chargé de trois râteaux d'or.
Le blason départemental des Ardennes est d’azur à la bande d’argent accostée de deux cotices potencées et contre-potencées d’or, surchargées d’un écusson d’argent au sanglier de sable ; au chef de gueules chargé de trois râteaux d’or.

Cette promesse n’est qu’un peu de baume donné à ceux qui étaient attachés au passé scolaire du village. Mais cette clause n’a aucune chance de se réaliser, compte tenu du contexte. La décision de cette suppression entraîne aussitôt un conflit entre la municipalité et une habitante, héritière présomptive et déçue, qui prétend que la commune viole les intentions de la testatrice. Le différend est porté devant le tribunal, qui réfute cet argument, et qui souligne que la volonté bien certaine de la testatrice est d’exclure ses héritiers légitimes. L’affaire s’arrête là , et la rente trouve un autre emploi : elle sert désormais à financer un cours d’enseignement ménager de deux heures hebdomadaires, comprenant un cours de cuisine élémentaire et de couture.


[1] Archives départementales des Ardennes, TSUPPL 79 [série T = enseignement général, affaires culturelles, sports, sous-série TSUPPL = fonds supplémentaires].


L'école de La Romagne se trouve dans les bâtiments de la mairie, sur la place principale.
L’école de La Romagne se trouve dans les murs de la mairie. Le conseil municipal se réunit au premier étage du bâtiment.

Quant au bâtiment de l’école des filles, il va devenir, pour un temps, le presbytère de cette paroisse. Dès 1932, la construction d’une nouvelle mairie-école mixte est sérieusement envisagée par la municipalité, mais les instances scolaires  tergiversent et ce projet n’est pas réalisé.

Les dégâts subis par le village en 1940 ont des répercussions tant sur le bâtiment que sur le fonctionnement de l’école. Celle-ci a une seule façade couverte en ardoise et des murs latéraux en torchis. Elle n’a comme seul aménagement que l’électricité. Les dégâts concernent le préau, la salle de classe et sa vitrerie. En effet, le mur mitoyen qui sépare la salle de classe et le logement de l’instituteur est largement percé. La salle du conseil municipal (qui se trouve juste au-dessus de la classe) a elle aussi assez souffert, sans parler de la toiture des toilettes qui est en partie arrachée.


Quoique l’école fonctionne normalement quant à l’enseignement dès le retour de la paix, la restauration du bâtiment n’est plus possible en raison de sa vétusté : plafonds trop bas, murs délabrés, boiseries pourries et cheminées dangereuses. De plus, sa situation à proximité du cimetière (pouvant causer des problèmes d’eau contaminée) et son inadaptation aux normes (manque d’espace par élève, etc.) sont signalées depuis longtemps.

Promesse de vente d'une parcelle de terrain pour la construction de la nouvelle école (mairie de La Romagne, avec l’aimable autorisation de monsieur René Malherbe, maire de la commune).
Promesse de vente d’une parcelle de terrain pour la construction de la nouvelle école (mairie de La Romagne, avec l’aimable autorisation de monsieur René Malherbe, maire de la commune).

En 1949, la décision de construire une école sur un autre emplacement est prise. Pour cela, la municipalité achète deux terrains contigus, dont l’un contient une source qui alimentera l’école en eau potable.

Plan des parcelles de la nouvelle école (mairie de La Romagne, avec l’aimable autorisation de monsieur René Malherbe, maire de la commune).
Plan des parcelles de la nouvelle école (mairie de La Romagne, avec l’aimable autorisation de monsieur René Malherbe, maire de la commune).

La commune confie la réalisation des plans à Robert Gauze, architecte parisien qui va privilégier la luminosité du bâtiment, en multipliant les fenêtres et les ouvertures.

La nouvelle école de La Romagne (inaugurée en 1954) est un lieu lumineux et ouvert sur le village.
La nouvelle école de La Romagne inaugurée en 1954 est un lieu lumineux et ouvert sur le village.

C’est en 1954 que la nouvelle mairie-école est inaugurée, et en 1953 que la dernière promotion d’élèves se réunit avec monsieur René Jonnart dans la cour de l’ancien bâtiment.

La dernière promotion (année scolaire 1952/1953) de l'ancienne école accompagnée de son instituteur, monsieur René Jonnart. Cette photographie de la promotion 1953 se lit de bas en haut et de gauche à droite. Première rangée : Daniel ou Maurice Lavric, Raymond Marandel, Françoise, Cugnart, Yvette Lelong, Martine Mouton, Michel Mauroy, Jean-Michel Taillette, Alain Mouton. Deuxième rangée : Georges Malherbe, [debout], François Lavric, Jean-Claude Milhau, Yves Albertini †, Jean-Michel Guillaume, Alain Ravignon, Michel Lesein, Jean-Michel Milhau, Norbert Lelong. Troisième rangée : Jeannine Courtois, Colette Cugnard, Jacky Ravignon, Michel Marandel. (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Georges Malherbe).
Cette photographie de la dernière promotion (1953) de l’ancienne école de La Romagne, se lit de bas en haut et de gauche à droite. Première rangée : Georges Malherbe [debout], Daniel (ou Maurice) Lavric, Raymond Marandel, Françoise Cugnart, Yvette Lelong, Martine Mouton, Michel Mauroy, Jean-Michel Taillette, Alain Mouton [debout]. Deuxième rangée : monsieur René Jonnart, François Lavric, Jean-Claude Milhau, Yves Albertini †, Jean-Michel Guillaume, Alain Ravignon, Michel Lesein, Jean-Michel Milhau, Norbert Lelong. Troisième rangée : Jeannine Courtois, Colette Cugnard, Jacky Ravignon, Michel Marandel (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Georges Malherbe).
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Les protestants de la Romagne


Edit de Nantes promulgué en avril 1598 par le roi de France Henri IV.
L’édit de Nantes en faveur de ceux de la religion prétendue réformée est promulgué en avril 1598 par Henri IV. Ce texte permet aux protestants d’exercer leur culte avec une certaine liberté.

Dès que les conflits opposèrent catholiques et protestants, le Porcien et la Thiérache furent deux lieux de leur violente et farouche opposition, d’autant que certaines familles locales comme les Croÿ étaient partagées entre les deux religions. Pendant toute la génération précédant la promulgation de l’édit de Nantes[1], le pays fut ensanglanté et dévasté, les terres abandonnées faute de laboureurs, car les ligueurs du duc de Guise et la domination espagnole s’étendaient sur toute la région.

L'Assassinat du duc de Guise, peinture d'histoire de Paul Delaroche, musée Condé (1834). Henri Ier de Guise, l’un des principaux ennemis des protestants lors des guerres de Religion, est mort assassiné sur l’ordre d’Henri III le 23 décembre 1588.
Henri Ier de Guise, ennemi des protestants, est mort assassiné le vendredi 23 décembre 1588 (peinture d’histoire de 1834 par Paul Delaroche, exposée au musée Condé, dans le château de Chantilly).

[1] Cet acte législatif allait permettre la pacification et donner des droits aux protestants, comme celui d’avoir leur propre cimetière (celui de Rocquigny date-t-il de cette époque ?).

Vue sur le cimetière protestant de Rocquigny.
Vue sur le cimetière protestant de Rocquigny.

A La Romagne, si on se fie au compte rendu du 2 juillet 1673 rédigé à la suite d’une visite pastorale par monseigneur Le Tellier (archevêque de Reims et frère de Louvois), il y aurait quatre ou cinq ménages protestants qui « vivent sans scandale » et qui « vont au prêche dans le diocèse de Laon », à moins qu’ils ne se rendent à celui « que la dame d’Heurcourt de La Hardoye fait tenir en son château, et auquel assistent les huguenots des villages circonvoisins[1] ».

La croix huguenote est un symbole du protestantisme.
La croix huguenote est un symbole du protestantisme.

[1] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 2G 252 [série G = clergé séculier, sous-série 2G = fonds de l’archevêché de Reims, cotes 2G 250-252 = administration spirituelle du diocèse, état des paroisses, visites des églises (1348-1789)].


Portrait de Charles-Maurice Le Tellier par Pierre Mignard (1691). Charles Maurice Le Tellier, archevêque-duc de Reims (1642-1710)
Portrait (1691) de Charles Maurice Le Tellier, archevêque-duc de Reims (1642-1710) par Pierre Mignard (1612-1695).

Cette tolérance de l’ecclésiastique est d’autant plus remarquable que le contexte religieux des années postérieures le conduira à prendre des mesures relativement plus rigoureuses. Ce que montrent deux de ses ordonnances, l’une sur le mariage des nouveaux convertis (28 août 1686), l’autre sur le baptême (12 septembre de la même année) :

  • « Note pour les nouveaux convertis qui diffèrent depuis un an de s’approcher des sacrements, refusent de se confesser lorsqu’ils sont sur le point de se marier et de communier avant de recevoir la bénédiction nuptiale : ordonnons aux curés que les fiancés doivent se confesser et communier dans leurs paroisses deux ou trois jours avant et non ailleurs. Défense sous peine de suspense[1] au curé de donner la bénédiction nuptiale à ceux qui auront été absous de leur hérésie mais qui ne voudront pas se préparer à recevoir le sacrement de mariage par une bonne confession et une sainte communion. Lecture de cette ordonnance au prône de la messe de paroisse et par trois dimanches consécutifs[2] ».
  • « Ne peuvent être parrain et marraine les personnes suspectes d’hérésie ou qui ne veulent pas promettre de vivre et de mourir dans la foy[3] catholique. Même défense pour ceux qui ne se sont pas confessés dans l’année et qui n’ont pas fait leur communion pascale. Sont interdits tous les nouveaux convertis qui n’auront pas communié depuis leur abjuration ou qui dans la suite ne se seront pas confessés pendant l’année et n’auront point fait leur communion pascale ou ceux qui ne voudront pas promettre de vivre et de mourir dans la foy[4] de l’Eglise catholique[5] ».

[1] Mesure de droit canonique qui consiste à suspendre un prêtre de ses fonctions (ou de l’usage de son bénéfice).

[2] Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, département des Manuscrits, Français 20720, pièce 13 [ensemble de 57 documents = XIV (mandements, ordonnances, etc. 1676-1709) de Charles Maurice Le Tellier, archevêque-duc de Reims (1642-1710)].

[3] [Sic, id est « foi »].

[4] [Sic, id est « foi »].

[5] Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, département des Manuscrits, Français 20720, pièce 20 [ensemble de 57 documents = XIV (mandements, ordonnances, etc. 1676-1709) de Charles Maurice Le Tellier, archevêque-duc de Reims (1642-1710)].


L'édit de Fontainebleau a été signé par Louis XIV le 18 octobre 1685.
L’édit de Fontainebleau signé par Louis XIV le 18 octobre 1685 révoque l’édit de Nantes et vise à interdire le culte protestant.

On se rend compte qu’au fur et à mesure du déroulement de son règne, Louis XIV entend que son royaume n’ait qu’une seule religion : pour aboutir à ce résultat, les brimades commencent. C’est ainsi que l’on va assister à des conversions d’abord sporadiques, puis plus fréquentes au cours de son règne. La majorité se déroule après la signature le 15 octobre 1685 de l’édit de Fontainebleau, qui met fin à la liberté religieuse.

La première à abjurer dont on retrouve la trace est Marguerite Crouet, native de la Romagne, qui abandonne sa religion en l’église de Rethel en 1682[1]. Cette date est très significative, car elle correspond à l’intensification des mesures décidées par le roi et son entourage pour lutter contre le protestantisme. Ces dernières sont en réalité déjà assez anciennes : depuis longtemps, le roi et le clergé encouragent les vexations et les avanies au nom du principe politique cujus regio, ejus religio exigeant que la religion du peuple soit nécessairement celle de son souverain.

Des ordonnances royales restreignent les applications de l’édit de Nantes promulgué en 1598, puisqu’elles permettent aux enfants de sept ans de se convertir, sans l’avis de leurs parents. On essaie aussi la corruption : une caisse des conversions est créée, et les nouveaux convertis peuvent toucher la somme de 6 livres (un peu moins de 180 euros actuels).

On apprend grâce aux registres paroissiaux que les conversions à La Romagne se sont déroulées pour leur majorité dans les deux années précédant la révocation de cet édit (qui fut durant 90 années environ la base de la paix civile dans le royaume, fondée sur l’acceptation de la diversité des confessions).


[1] Jailliot, Dr. J., « Le Protestantisme dans le Rethélois et dans l’Argonne jusqu’à la révocation de L’édit de Nantes (suite et fin) : XXIX les conversions dans l’Argonne et le Rethélois », in Revue d’Ardenne & d’Argonne : scientifique, historique, littéraire et artistique [publiée par la Société d’études ardennaises La Bruyère » puis, à partir de mars/avril 1895 par la « Société d’études ardennaises »], 1re année, n° 1 (novembre/décembre 1893) -22e année, n° unique (1915/1923), Sedan : imprimerie Laroche, 1893-1923, 13e année, 1905-1906, p. 216. [Nota bene : la collectivité éditrice du périodique, née en 1888 et morte dans les années 20, ne saurait être confondue avec la Société d’études ardennaises fondée le 26 janvier 1955 et devenue la Société d’histoire des Ardennes le 2 mars 2013].


Timbre commémorant l'édit de Nantes, auquel met fin celui de Fontainebleau.
Timbre du 400e anniversaire de la signature de l’édit de Nantes (1598-1998) et portrait du roi Henri IV (1553-1610).

Le 4 novembre 1683, Anne Boucquerie (femme de Pierre Crouet) abjure, tandis qu’une quinzaine de jours plus tard ce dernier fait de même. Il est bientôt suivi de Daniel et Jeanne Crouet (âgée de 90 ans) et Favet L’Escollier (nom qu’on trouve parfois orthographié Lescoyer ou Lescuyer). Ensuite, c’est le tour de Lazare Barré, Daniel de Troye, Pierre Bouquerie, Daniel L’Escholier et sa femme Marie Roland, Marie Crouet et Pierre Lanenant (plus probablement Lallement), dont la plupart réside aux Houis. Le 22 novembre 1685, on note l’abjuration de Daniel Coulon, un autre natif de La Romagne[1] (mais demeurant à L’Echelle[2]).


[1] Archives départementales des Ardennes, 49J 72 [série J = archives d’origine privée (entrées par voie d’achat, don, legs ou dépôt), sous-série 49J = collections généalogiques].

[2] Archives départementales des Ardennes, EDEPOT/ECHELLE[L’]/E 1 [série EDEPOT = archives communales déposées, sous-série ECHELLE[L’]/E 1 = registres paroissiaux et d’état civil de l’Echelle, 1669-1717], acte d’abjuration, vue 108/334, consultable en ligne.


Après ces reniements, on retrouve des traces de l’intégration de ces anciens protestants. Lazare Barré, marié à Marçon Petitfrère, a un fils Pierre en 1694 puis une fille en avril 1697, dûment baptisés et enregistrés dans le registre paroissial. Marguerite Crouet, épouse d’Abraham Vaché (dont le prénom biblique laisse supposer d’anciens liens avec le protestantisme[1]), met au monde en 1696 un garçon, dont le parrain est « Jean-Baptiste Dehaulme en lieu et place de frère Norbert Dehaulme » (ce dernier n’étant autre que le curé de la paroisse), et la marraine Louise Duguet (épouse de messire de Canelle).

De même, lors de la rédaction du testament de Jean Pronier et de sa femme Poncette Maupin, le curé choisit Daniel L’Escholier pour l’accompagner et lui servir de témoin. Ce choix peut montrer la volonté de réintégrer au sein de la paroisse des anciens adeptes de la religion réformée. Néanmoins, et probablement malgré les efforts déployés par le curé, il reste quelques farouches religionnaires : le 13 février 1714, à l’occasion de son mariage avec Michel Lefèvre (manouvrier[2] de la paroisse de Montmeillant), Claude Barjolle (fille de Jean Barjolle et de Rachel Barré) se convertit au catholicisme juste avant la célébration de la cérémonie. La renonciation se fait en présence du prieur de Montmeillant et « de la plus grande partie de la paroisse « ensemblée[3] » [sic, id est « assemblée »], marquant ainsi une certaine solennité. Comme les deux actes se suivent dans le registre, le lien entre ces deux événements est simple à comprendre.

Après cette date, plus rien n’apparaît dans les registres qui nous sont parvenus. Tous ces exemples prouvent que le protestantisme était bel et bien répandu dans le village et formait un solide foyer qui ne résista pas aux sanctions prévues : le logement des gens de guerre à titre de rétorsion était une véritable calamité. L’influence des curés ou des autorités communales, reflets des pouvoirs religieux et royal, a également beaucoup joué…


[1] On peut s’interroger sur la sincérité de l’adhésion de ce couple au catholicisme malgré les signes extérieurs de sa conversion.

[2] Ouvrier employé à de gros travaux, notamment dans l’agriculture.

[3] Archives départementales des Ardennes, EDEPOT/ROMAGNE[LA]/E 2, [série EDEPOT = archives communales déposées, sous-série ROMAGNE[LA]/E 2 = registres paroissiaux et d’état civil de La Romagne, 1713-1721], acte d’abjuration, vue 5/34, consultable en ligne.