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Le premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne


Portrait de monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire de La Romagne (Ardennes) de 1930 à 1965, photographie ancienne en noir et blanc, virage sépia (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Portrait de monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire de La Romagne (Ardennes) de 1930 à 1965, photographie ancienne en noir et blanc, virage sépia (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Monsieur Alcide Cugnart[1], maire de La Romagne de 1930 à 1965, prononce un discours qui célèbre la victoire du 8 mai 1945. Il y évoque l’histoire de la Nation et celle de son village. Ce témoignage historique a été remis par madame Virginie Périn, son arrière-petite-fille[2].


[1] Alcide Joseph Cugnart est né à La Romagne le 13 avril 1897. Il est mort dans ce même village le 5 juillet 1973 à l’âge de 76 ans.

[2] Et petite-fille de madame Colette Cugnart épouse Bertrand.


Il est publié avec son aimable autorisation. Il se présente sous la forme de quatre pages lignées en bleu clair avec une marge rouge, non paginées, dans un bon état de conservation relatif malgré un jaunissement du papier[1] et le pâlissement de l’encre.

Ses pleins et déliés élégants en rendent l’écriture lisible et facilitent le travail de transcription intégrale[2] sous forme d’édition diplomatique[3]. Il présente un intérêt historique et mémoriel indéniable : il est émouvant, quelque quatre-vingts ans après, de partager la première célébration de la libération de La Romagne.


[1] Dû à son acidification.

[2] Dans ce mode, les erreurs et fautes grammaticales sont conservées, contrairement à la transcription intégrale allégée et à la synthèse.

[3] Reproduction la plus fidèle possible.


Jehanne au sacre, statue polychrome en pied de Jeanne d'Arc (vers 1412-1431) par Prosper d'Épinay (1836-1914), marbre, bronze argenté, ivoire, lapis-lazuli, sculpture de 1901 installée en 1909 dans la chapelle Sainte-Jeanne d'Arc de la cathédrale Notre-Dame de Reims.
Jehanne au sacre, statue polychrome en pied de Jeanne d’Arc (vers 1412-1431) par Prosper d’Épinay (1836-1914), marbre, bronze argenté, ivoire, lapis-lazuli, sculpture de 1901 installée en 1909 dans la chapelle Sainte-Jeanne d’Arc de la cathédrale Notre-Dame de Reims.

Sa datation n’est pas explicite. Mais une critique historique externe du texte (dite de véracité) permet d’estimer que la cérémonie s’est déroulée le dimanche 13 mai 1945 : cette déduction se tire d’une remarque de l’édile républicain sur la fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme[1].


[1] Cette célébration civile n’est pas à confondre avec la Sainte-Jeanne d’Arc. Dans l’esprit de l’orateur, la libération d’Orléans le 8 mai 1429 par l’héroïne (sans laquelle la France serait devenue anglaise) rejoint la victoire des Alliés le 8 mai 1945 (qui ont permis que la France ne devienne pas allemande).


Page 1 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Page 1 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

« Mesdames, Messieurs,
 
C’est avec une profonde émotion que je prends la parole pour vous convier à célébrer officiellement la victoire[1].


[1] Le maire de La Romagne écrit le mot soit avec une minuscule, soit avec une majuscule. La typographie originale a été respectée.

Début du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

La 14e DI (division d’infanterie) a eu à partir de janvier 1940 Jean de Lattre de Tassigny (1889-1952) alias Dequesne pour commandant historique : il a réussi à contrer trois fois en mai-juin 1940 la Wehrmacht, qui cherchait à franchir l’Aisne du côté de Rethel (Ardennes). Il a été compagnon de la Libération par décret du 20 novembre 1944, élevé à la dignité d’Etat de maréchal de France à titre posthume. Sa notice biographique est consultable en ligne sur le site du musée de l’Ordre de la Libération (Paris).

La Victoire ! Quel beau nom et comme il résonne agréablement à nos oreilles !
 
C’est qu’il engendre pour tous les Français bien des joies et pour nous Ardennais, il fait disparaître bien des anxiétés !

Passage sur les Ardennes, issu du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Des joies car c’en est terminé de la guerre atroce, de la guerre totale[1] que nous avaient imposée nos ennemis. Le Cessez le feu[2] a sonné sur tous les fronts et le calme bienfaisant règne après le fracas de la bataille.


[1] Une guerre totale est un conflit qui mobilise à la fois les États, les économies et les sociétés.

[2] Lire cessez-le-feu, selon l’Académie française. L’Allemagne signe la reddition sans condition le 7 mai 1945 à Reims (Marne). La suspension des hostilités doit intervenir le lendemain. Une nouvelle signature a lieu à Berlin (Allemagne) le 8 mai. Une différence de fuseau horaire explique que les Russes, eux, célèbrent le jour de la Victoire le 9 mai à Moscou, alors en URSS (Union des républiques socialistes soviétiques) et aujourd’hui dans la fédération de Russie.


Vidéo La Garde républicaine – Rhin et Danube, musique militaire, marche officielle de la 1e armée française, version consultable en ligne sur Youtube pour la chaîne BnF collection sonore – chanson française.

Nous ne tremblerons plus pour nos fils partis dernièrement, enrôlés dans les rangs de la 1ère armée française[1] reconstituée. Ils vont monter la garde en Allemagne[2] et faire flotter nos trois couleurs victorieuses sur les bords du Rhin et du Danube[3].


[1] Premier et première s’abrègent plutôt en 1er et 1re, selon l’Académie française. La 1re armée française est le nom donné aux unités militaires placées sous les ordres du général Jean de Lattre de Tassigny (1889-1952).

[2] Cette armée, qui comprend alors l’ensemble des forces armées françaises engagées en Allemagne, est sous commandement français. La 2e DB reste, elle, sous autorité américaine.

[3] « Rhin et Danube » est le surnom donné à la 1re armée à la suite de ses victoires remportées le long de ces fleuves entre le 31 mars et le 26 avril 1945.


Nos prisonniers et déportés rentrent petit à petit. Je suis infiniment heureux de voir que la moitié d’entre eux ont[1] retrouvé leur foyer, leur famille et que malgré les privations, les souffrances morales de l’exil trop long, ils nous sont revenus en général en bonne santé.


[1] Lorsque le sujet est un nom de fraction suivi d’un complément, le verbe s’accorde soit avec le nom de fraction, soit avec son complément. « La moitié des utilisateurs est satisfaite ou sont satisfaits. »


Nous attendons impatiemment ceux qui ne sont pas là aujourd’hui[1] pour fêter avec nous la victoire et nous souhaitons qu’ils nous reviennent tous sans tarder, joyeux d’être enfin libérés et de retrouver la France et leur cher petit village[2].


[1] Marceau Lelong, Paul Macquin, Remi Macquin, Léon Marandel, Henri Marquigny, Gaston Mauroy, Marcel Mauroy, Gaston Quentin, Robert Quentin sont rapatriés entre le 23 et le 30 mai 1945.

[2] Le maire se souvient sans doute ici du poème Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage de Joachim du Bellay : « Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village / Fumer la cheminée, et en quelle saison, / Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, / Qui m’est une province, et beaucoup davantage ? »


Page 2 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Page 2 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Oui, nous ne sommes plus anxieux pour l’avenir immédiat ! Adieu cette pensée qui nous obsédait alors que la nostalgie de la petite patrie nous avait, au mépris des dangers et de l’incertitude du lendemain, fait rentrer dans notre chère commune[1] !


[1] Référence à la dispersion des Romanais lors de l’exode, et aux difficultés du retour liées aux complications administratives pour obtenir des autorisations des autorités allemandes.


Si l’Allemagne avait été victorieuse, nos Ardennes ne seraient pas restées françaises[1] et nous aurions dû encore nous exiler, quitter à tout jamais nos champs, dire adieu à nos horizons familiers et aimés.

[1] Le maire rappelle le traumatisme causé par trois guerres successives : Les Ardennes ont été occupées par l’armée prussienne à partir du mois de septembre 1870, par les Allemands du 29 août 1914 au 11 novembre 1918, et enfin par le Troisième Reich dès 1940.

Passage sur les Ardennes, issu du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Musée de l'Ordre de la Libération (Paris), numéro d'inventaire D1946.1.1, Collier de grand maître de l'Ordre de la Libération, œuvre réalisée par Gilbert Poillerat (1902-1988), orfèvre, décorateur et maître-ferronnier d’art français, remise le 31 août 1947 au général de Gaulle (1890-1970), fondateur et grand maître de l’Ordre de la Libération, image consultable en ligne.
Musée de l’Ordre de la Libération (Paris), numéro d’inventaire D1946.1.1, Collier de grand maître de l’Ordre de la Libération, œuvre réalisée par Gilbert Poillerat (1902-1988), orfèvre, décorateur et maître-ferronnier d’art français, remise le 31 août 1947 au général de Gaulle (1890-1970), fondateur et grand maître de l’Ordre de la Libération, image consultable en ligne.

Et si maintenant nous ne tremblons plus pour notre destinée, c’est grâce à nos vaillants alliés, c’est grâce à notre grand chef le Général de Gaule[1], comparable à notre Jeanne d’Arc nationale que nous honorons également aujourd’hui[2]. Tous deux ont toujours eu foi en la Victoire.


[1] Lire général de Gaulle. Le militaire, résistant, homme d’État et écrivain français (1890-1970) a été chef de la France libre, commandant des FFL (Forces françaises libres), président du gouvernement provisoire, fondateur et grand-maître de l’Ordre de la Libération.

[2] Cette mention permet de dater précisément le jour où le discours a été prononcé. D’un point de vue religieux, Jeanne d’Arc a été canonisée le 16 mai 1920, et sa fête religieuse fixée au 30 mai, jour du bûcher de Rouen, en 1431. Sa fête nationale est fixée au 8 mai, jour anniversaire de la délivrance d’Orléans en 1429. Par une loi du 10 juillet 1920, la République décide que le deuxième dimanche de mai sera choisi pour la fête patriotique et nationale. En 1945, il tombe le dimanche 13 mai.


Page 3 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Page 3 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

De Gaule[1] d’abord à la tête de quelques Français qui comme lui n’ont jamais désespéré de notre redressement, a vu, à son appel[2], grossir les rangs des braves qui sous les ordres de Leclerc[3] et de Tassigny[4], ont débarqué en Normandie[5]et[6], à Marseille[7] et en une marche victorieuse et triomphale libéré notre Alsace[8], franchi le Rhin[9], planté notre drapeau à Ulm[10] et à Bertchesgaden[11], le repaire de Hitler.


[1] Lire De Gaulle.

[2] Le 18 juin 1940. Il est une réponse au discours radiophonique du 17 juin 1940 par le maréchal Pétain.

[3] Philippe Leclerc de Hautecloque (1902-1947), alias Leclerc, compagnon de la Libération par décret du 6 mars 1941, membre de la Résistance AEF [Allied Expeditionary Force] et du Conseil de défense de l’Empire, élevé à la dignité d’Etat de maréchal de France le 23 août 1952 à titre posthume.

[4] Jean de Lattre de Tassigny (1889-1952) alias Dequesne, compagnon de la Libération par décret du 20 novembre 1944, élevé à la dignité d’Etat de maréchal de France à titre posthume.

[5] Un tapis de bombes tombe dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 pour préparer le débarquement de Normandie (opération Neptune) le 6 juin 1944 (Jour J, ou D-Day en anglais), première journée de la bataille de Normandie (Operation Overlord).

[6] La conjonction de coordination a été biffée et remplacée par une virgule.

[7] La bataille de Marseille du 21 au 28 août 1944 a conduit à sa libération.

[8] La libération de Strasbourg s’est effectuée le 23 novembre 1944, celle de Colmar le 2 février 1945.

[9] Le 31 mars 1945, le franchissement du Rhin à Spire et Germersheim (Land de Rhénanie-Palatinat) par la 1re armée française lui permettent une entrée en Allemagne.

[10] Le 24 avril 1945.

[11] Lire Berchtesgaden, commune des Alpes bavaroises (Allemagne). Situé dans le quartier Obersalzberg, le Berghof était la résidence secondaire d’Adolf Hitler. Il a été détruit par un bombardement aérien le 25 avril 1945. Il n’a aucun rapport avec la Kehlsteinhaus, surnommé le « nid d’aigle ». Cette dernière n’est d’autre part pas une maison de thé, contrairement à une autre erreur : il s’agit d’une confusion avec le Teehaus am Mooslahnerkopf, qu’aimait fréquenter le Führer. La Wolfsschanze (« tanière du loup ») était quant à elle le quartier général d’Hitler à Gierłoż (Görlitz en Prusse-Orientale), dans le comté de Kętrzyn (Pologne).


La deuxième division blindée, surnommée 2e DB ou « division Leclerc », car commandée par le général Philippe Leclerc de Hautecloque (1902-1947), alias Leclerc, a débarqué en Normandie, à Utah Beach (Saint-Martin-de-Varreville), dans le département de la Manche, le 1er août 1944. Sa notice biographique est consultable en ligne sur le site du musée de l’Ordre de la Libération (Paris).

C’est aussi grâce à nos Résistants qui ont grandement contribué au succès du débarquement. A tous nous adressons, avec notre profonde admiration, nos remerciements émus.


Vidéo La Garde républicaine – Chant des partisans, musique militaire, version instrumentale consultable en ligne sur Youtube pour la chaîne BnF collection sonore – chanson française.

Mais, dans l’allégresse de la Victoire, n’oublions pas ceux qui sont morts pour la défense et la gloire de la Patrie[1], les uns, soldats, broyés glorieusement à leur poste de combat, les autres, civils, tués par la mitraille ou les bombes des sinistres oiseaux du ciel[2], d’autres encore s’éteignant obscurément sur un lit d’hôpital et ceux, héros martyrs[3] auxquels les tortures[4] n’ont pas pu faire desserrer les dents, qui n’ont pas voulu livrer à l’ennemi les noms des admirables patriotes qui ont lutté dans l’ombre[5] pour la délivrance de la France[6].


[1] Lire patrie. La mention honorifique « Mort pour la France » atteste qu’une personne s’est sacrifiée pour elle.

[2] Le maire de La Romagne fait ici allusion aux bombardiers allemands, dont le Stuka ou Sturzkampfflugzeug (avion de combat en piqué).

[3] Allusion aux combattants, héros et martyrs de la Résistance.

[4] Le 22 mars 1944, Pierre Brossolette s’est suicidé pour ne pas parler. Dans la nuit du 17 au 18 juin 1940, Jean Moulin a tenté de se trancher la gorge, jugeant qu’il risquait de céder.

[5] Le roman L’Armée des ombres de Joseph Kessel a paru en 1943 à Alger. Il raconte le quotidien de la Résistance française.

[6] Les « grands » de la Résistance ont autant droit aux honneurs que les « soutiers de la gloire », selon l’expression de Pierre Brossolette lors de son discours à la BBC, le 22 septembre 1942 : le maire de La Romagne pense ainsi aux jeunes résistants de la Romagne (André Barré, Robert Carbonneaux, Raymond Didier, Raymond Ravignon).


« Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes

Ni l’orgue ni la prière aux agonisants

Onze ans déjà que cela passe vite onze ans

Vous vous étiez servis simplement de vos armes

La mort n’éblouit pas les yeux des partisans »

Strophes pour se souvenir par Louis Aragon (1897-1982) dans Le Roman inachevé, Paris : éditions Gallimard, 1956.

Ils sont tous dignes d’une éternelle reconnaissance parce que tous ils ont offert sans compter tout ce qu’ils pouvaient offrir, leur jeunesse, leurs forces, leurs joies, leurs espérances, leur sang et leur vie.


Vidéo Il y a 80 ans : l’appel du 18 juin, extrait consultable en ligne sur Youtube pour la chaîne Élysée, la page officielle de la Présidence de la République française. [Nota bene : l’enregistrement original de l’appel du 18 juin 1940 ayant rapidement disparu, c’est en réalité le passage radiophonique du général de Gaulle (1890-1970) à la BBC le 22 juin 1940 qui est souvent diffusé. La version filmée date, elle, du 2 juillet 1940.]

Ils sont morts, mais leur âme survit en nous et nous dicte notre devoir : l’Union[1].


[1] Le 13 novembre 1945, l’Assemblée nationale élit le général de Gaulle président du gouvernement de la République française. Ce dernier constitue le 21 novembre un gouvernement d’union nationale.


Page 4 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Page 4 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Pour que la volonté française de paix[1] puisse s’imposer au monde, il faut resserrer les liens qui unissent tous les fils de notre beau pays.


[1] La capitulation allemande a permis un cessez-le-feu et a constitué un armistice, mais non un traité de paix. De nombreuses conférences internationales sur la paix et la sécurité en Europe ont donc été organisées.


L’union totale, étroite, généreuse entre tous est la condition essentielle de notre redressement[1], de notre sécurité future[2] et du salut de la France[3].


[1] Le 5 juin 1947, à Harvard, le général George Catlett Marshall (1880-1959), secrétaire d’État du président Harry Truman, annonce un programme d’aide au développement, connu depuis comme « plan Marshall ». Les Européens mettent en place le 16 avril 1948 l’OECE (Organisation européenne de coopération économique).

[2] Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 créent la Sécurité sociale.

[3] Le discours étant prononcé le jour de la fête nationale de Jeanne d’Arc, ce « salut » peut être entendu à la fois dans un sens « patriotique » et selon une acception « théologique ». D’après la lettre apostolique du Pape Pie XI Beata Maria Virgo in cælum assumpta in gallicæ, énoncée le 2 mars 1922, « Notre-Dame de l’Assomption est proclamée patronne principale de la France, et sainte Jeanne d’Arc, patronne secondaire ».


Vidéo Charles de Gaulle – extrait du discours du 25 août 1944 à Paris, consultable en ligne sur Youtube pour la chaîne BnF collection sonore – livre audio.

Je termine en vous invitant tous à venir lever votre verre à la prospérité de notre France éternelle[1].


[1] Cette idée est chère au général de Gaulle, qui l’a pour cette raison mise en avant dans son discours du 25 août 1944 : « Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. »

Réflexion sur la grandeur de la France, issue du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Vidéo La Garde républicaine ; François-Julien Brun – La Marseillaise, musique militaire, hymne national de la République française, version consultable en ligne sur Youtube pour la chaîne BnF collection sonore – World Music.

Mais avant je désirerais que, sous les plis de nos trois couleurs, nous chantions en chœur une fervente Marseillaise[1].
 
Vive la France ! »


[1] La Marseillaise a été décrétée chant national le 14 juillet 1795 (26 messidor an III) par la Convention. Sous le régime de Vichy (1940-1944), elle a été remplacée par le chant Maréchal, nous voilà ! Les constitutions de 1946 et de 1958 réaffirment La Marseillaise comme hymne national.

Fin du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
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L’exode de 1940 à La Romagne à travers un journal intime


La famille Devie-Vadez a fait don à l'église Saint-Jean du vitrail d'Éloi de Noyon. Le saint est le patron des ouvriers qui se servent d'un marteau, et plus particulièrement des forgerons, mécaniciens, chaudronniers, cloutiers, ferblantiers, maréchaux-ferrants, charrons, maquignons, fermiers, laboureurs, valets de ferme. Prise de vue effectuée le dimanche 3 septembre 2017 à La Romagne (Ardennes). Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
La famille Devie-Vadez a fait don à l’église Saint-Jean du vitrail d’Éloi de Noyon. Le saint est le patron des ouvriers qui se servent d’un marteau, et plus particulièrement des forgerons, mécaniciens, chaudronniers, cloutiers, ferblantiers, maréchaux-ferrants, charrons, maquignons, fermiers, laboureurs, valets de ferme. Prise de vue effectuée le dimanche 3 septembre 2017 à La Romagne (Ardennes). Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

Les autobiographies, les journaux intimes[1], les mémoires, les récits personnels peuvent relater des événements extérieurs, recueillir des faits historiques, dresser une chronique de leur époque, présenter un témoignage. A ce titre, ils constituent une source primaire.


[1] Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 2006-91433, Lejeune, Philippe ; Bogaert, Catherine, Le journal intime : histoire et anthologie, Paris : Textuel, 2005, 506 p. [Note : contient également un grand choix d’extraits de journaux de divers auteurs. – Bibliographie pages 459-494. Index].


La famille Devie-Vadez a fait don à l'église paroissiale Saint-Jean du vitrail de saint Eloi (détail). Prise de vue effectuée le dimanche 3 septembre 2017 à La Romagne (Ardennes). Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
La famille Devie-Vadez a fait don à l’église paroissiale Saint-Jean du vitrail de saint Eloi (détail). Prise de vue effectuée le dimanche 3 septembre 2017 à La Romagne (Ardennes). Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

Un récit de l’exode de 1940 à La Romagne a pu être établi[1] à partir de la lecture du journal manuscrit inédit de Marie-Louise Devie, fille de Jean-Baptiste Alfred Devie et de Reine Alice Vadez. Jeune femme qui atteint ses dix-sept ans pendant cette période, elle a noté son quotidien du 14 mai 1940 au 11 juillet 1941.


[1] Avec l’aimable autorisation de monsieur Martial Bertrand, fils de Marie-Louise Devie et de René Bertrand.


Ancien coq de l'église Saint-Jean, déposé à la mairie. Prise de vue effectuée le vendredi 13 mai 2011 à La Romagne (Ardennes). Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
Ancien coq de l’église Saint-Jean, déposé à la mairie. Prise de vue effectuée le vendredi 13 mai 2011 à La Romagne (Ardennes). Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

Le 14 mai 1940, pressentant l’arrivée imminente des Allemands, une partie de la famille[1] de Jean-Baptiste Devie, cultivateur à la Bouloi[2], décide de quitter le village. Elle le fait malgré les quolibets des gens du pays, tandis que d’autres membres[3] restent sur place.


[1] La mère Reine Alice Vadez, la grand-mère Marie-Louise Vadez, le fils Louis, la fille Marie-Louise et Reine Marie Lefèvre, cousine germaine de Marie Louise.

[2] Ferme de La Romagne.

[3] Le père Jean-Baptiste Devie, le fils cadet Victor, et l’autre grand-mère Marie Ursule Jennepin (qui ne veut pas partir).


Cheval ardennais, héliogravure en quadrichromie, timbre dessiné par Roxane Jubert d'après une photographie de Varin-Visage Frères (Agence Jacana).
Cheval ardennais, héliogravure en quadrichromie, timbre dessiné par Roxane Jubert d’après une photographie de Varin-Visage Frères (Agence Jacana).

C’est ainsi que, dans une charrette attelée de chevaux et conduite par Louis[1], ces cinq personnes partent sur les routes ardennaises avant de traverser le département de l’Aisne. Elles y subissent, dès le lendemain, les premiers bombardements aux environs d’Evergnicourt, avant d’être confrontées aux voies encombrées le surlendemain.


[1] Le fils aîné.


Timbre illustrant l'été, d'après Nicolas Mignard dessiné par Pierre Gandon et gravé par Pierre Béquet en taille-douce brun-jaune.
Timbre illustrant l’été, d’après Nicolas Mignard dessiné par Pierre Gandon et gravé par Pierre Béquet en taille-douce brun-jaune.

Il leur faut quatre jours pour atteindre Montdauphin (Seine-et-Marne), non sans avoir passé des nuits parfois écourtées et fraîches sous un hangar, dans la paille d’une grange, ou dans une maison au confort très rudimentaire.


Détail du clocher de l'église Saint-Jean. Prise de vue effectuée le dimanche 3 septembre 2017 à La Romagne (Ardennes). Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
Détail du clocher de l’église Saint-Jean. Prise de vue effectuée le dimanche 3 septembre 2017 à La Romagne (Ardennes). Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

Lors d’une halte d’une journée, ils rencontrent fortuitement des Romanais[1]. Ces derniers leur annoncent la mort d’Aimé Vuillemet et de Marthe Mauroy à la suite de l’explosion d’une bombe sur l’église. Plus tard, d’autres habitants de La Romagne croisés en chemin leur apprennent que « la maison Lucie Bonpart sert de Kommandantur ».


[1] Modeste et Guillaume Marandel.


L'église paroissiale de Courceaux (Seine-et-Marne) est rattachée à Notre-Dame de la Visitation.
L’église paroissiale de Courceaux (Seine-et-Marne) est rattachée à Notre-Dame de la Visitation.

Ils se remettent en route dès le 20 mai et arrivent le lendemain dans le village de Courceaux (Yonne). Ils restent dans les environs jusqu’au 4 juin, où ils reçoivent un bon accueil et sont logés dans des maisons inhabitées.

Durant tout ce temps, ces réfugiés cherchent et trouvent du travail dans les fermes environnantes, soit en fanant ou en conduisant des voitures de foin (les femmes en particulier font de la couture ou des lessives).

En échange, ils reçoivent de la nourriture, de la boisson et parfois un peu d’argent. Durant cette période, ils ont le bonheur de recevoir des nouvelles du chef de famille qui a, à son tour, quitté La Romagne pour les rejoindre.


Cheval ardennais, héliogravure en quadrichromie, timbre dessiné par Elodie Dumoulin.
Cheval ardennais, héliogravure en quadrichromie, timbre dessiné par Elodie Dumoulin.

Le 5 juin, nouveau départ ! La famille délaisse Courceaux pour arriver deux jours plus tard entre Bellegarde et Lorris (Loiret). Elle y reste jusqu’au 11 juin, chacun travaillant durant ces longues journées. Lors du déplacement suivant, elle croise de nombreux soldats et doit se séparer d’un des chevaux[1] qui, blessé, ne peut continuer. La pauvre bête est vendue à un boucher.


[1] La jument Dragonne.


La guerre éclair (der Blitzkrieg) s'impose dans la bataille de France de 1940. Elle s'appuie sur le Junkers Ju 87, communément appelé Stuka (de l’allemand Sturtzkampfflugzeug = bombardier en piqué).
La guerre éclair (der Blitzkrieg) s’impose dans la bataille de France de 1940. Elle s’appuie sur le Junkers Ju 87, communément appelé Stuka (de l’allemand Sturtzkampfflugzeug = bombardier en piqué).

Le 13 juin, le département du Cher est atteint mais les parcours qui couvraient journellement une petite cinquantaine de kilomètres sont réduits à une douzaine comme d’Argent-sur-Sauldre à Aubigny-sur-Nère, ou de cette dernière ville à Lury-sur-Arnon. Ces ralentissements sont dus aux bombardements, au reflux de soldats et à la proximité des Allemands qui sont à Châteauroux.


A Issoudun, Notre-Dame est liée à une personne (le Christ) et non à un lieu, comme ce peut être le cas pour d'autres sanctuaires.
A Issoudun, Notre-Dame est liée à une personne (le Christ) et non à un lieu, comme ce peut être le cas pour d’autres sanctuaires.

Quand elle arrive enfin à Issoudun (Indre) le 17 juin, jour de l’armistice, la famille Devie-Vadez retrouve d’autres réfugiés de La Romagne. Elle se stabilise jusqu’au 5 juillet dans les environs, logeant tantôt à Condé, Sarzay ou Fougerolles, en fonction des travaux des champs et des lieux disponibles.


Timbre de Bruno Ghiringhelli illustrant les vendanges, héliogravure polychrome.
Timbre de Bruno Ghiringhelli illustrant les vendanges, héliogravure polychrome.

Le début du mois de juillet marque pour elle le départ pour La Romagne. Le retour est envisagé avec joie. Celle-ci est de courte durée car c’est sans compter sur la décision allemande de faire des Ardennes une zone interdite. La nécessité d’avoir des laissez-passer ne se discute pas.

Du jour au lendemain, l’espoir de retrouver bientôt la terre natale s’éteint. La famille retourne dans une ferme où elle a déjà logé. La vie s’organise une nouvelle fois entre les travaux et les soins de la terre, les récoltes, les vendanges et les rencontres amicales entre Romanais, que ce soit avec les Malherbe, monsieur Cugnart, Les Bonhomme.

Les semaines et les mois passent quand, le 11 juillet 1941, les papiers nécessaires sont enfin en règle. Le retour à La Romagne est désormais une certitude…

Vue panoramique du clocher du village. Prise de vue effectuée le dimanche 3 septembre 2017 à La Romagne (Ardennes). Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
Vue panoramique du clocher du village. Prise de vue effectuée le dimanche 3 septembre 2017 à La Romagne (Ardennes). Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

DateDépartementsCommunes et lieux-dits
14 mai 1940ArdennesLa Romagne – Givron – Doumely – Chappes – Saint-Fergeux – Hannogne-Saint-Rémy – Banogne-Recouvrance – Le Thour
15 maiArdennesAisneVillers-devant-le-Thour – Avaux-le-Château – Asfeld
 
Evergnicourt – Neufchâtel-sur-Aisne – Menneville – Guignicourt[1]PontavertConcevreux


[1] Ancienne commune, qui a fusionné avec Menneville pour devenir Villeneuve-sur-Aisne.
16 maiAisneMaizy – Villers-en-Prayères – Viel-Arcy – Braine – Limé – Quincy-sous-le-Mont – Jouaignes – Loupeigne – Villemoyenne – Fère-en-Tardenois – Beuvardes
17 maiAisneMont-Saint-PèreMézy-Moulins – Crézancy – Saint-Eugène – Celles-sur-AisneCondé-en-Brie
18 maiAisneSeine-et-MarnePargny-la-Dhuys – Artonges – Marchais-en-Brie
 
La Celle-sur-MorinMontdauphin
19 maiHalte
20 maiSeine-et-MarneMontolivet – Meilleray – La Chapelle-Véronge[1] – [Prellay[2]] – Marchais – Voigny – Villiers-Saint-Georges – Léchelle – Sourdun


[1] Ancienne commune, devenue La Chapelle-Moutils suite à sa fusion-association avec Moutils.
[2] Lieu non identifié.
21 maiSeine-et-MarneHermé – Sancy-lès-Provins – Noyen-sur-Seine, Fontaine-Fourches – Courceaux
22 mai-4 juinHalte
5 juinYonnePlessis-du-Mée – Pailly – Plessis-Saint-Jean – SerginesMichery – Compigny – Pont-sur-Yonne – Saint-Sérotin – Brannay
6 juinYonneLoiretFontaines – Saint-ValérienLa BellioleDomats – [Chantecoq[1]] – Champgrand – Savigny-sur-Clairis
 
Courtenay La Chapelle-Saint-SépulcreMontargisVillemandeur

[1] Lieu-dit non identifié.
7 juinLoiretPannesSaint-Maurice-sur-FessardBellegardeLorris
8-9 juinHalte
10 juinLoiretMontereau – Gien
11 juinHalte
12 juinCherArgent-sur-SauldreAubigny-sur-Nère
13 juinCherLa Chapelle-d’AngillonVierzonLury-sur-Arnon
14 juinCherIndreMéreau
 
ReuillySainte-LizaigneIssoudun
15-16 juinHalte
17 juinIndreCondé – Saint-Léger – Ambrault Saint-Août
18 juinIndreSaint-Chartier – Sarzay – Fougerolles
19 juin-4 juilletHalte
5 juilletIndreFougerolles – Sarzay – Nohant-Vic – Saint-Chartier
6 juillet 1940IndreSaint-Août – Meunet-Planches   – Villaines – Issoudun.
7 juillet 1940-10 juillet 1941Halte
11 juillet 1941IndreArdennesDépart pour La Romagne
De La Romagne (Ardennes) à Issoudun (Indre), l’itinéraire de l’exode de 1940 par la famille Devie-Vadez.
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La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) à La Romagne


Ordre de mobilisation générale de la Seconde Guerre mondiale, daté du samedi 2 septembre 1939.
Ordre de mobilisation générale de la Seconde Guerre mondiale, daté du samedi 2 septembre 1939.

Dès les premiers jours suivant la mobilisation et la déclaration de guerre le 3 septembre 1939, diverses troupes françaises se trouvent cantonnées, soit à La Romagne, soit dans les villages environnants, comme au hameau Les Duizettes[1].


[1] Commune de Rocquigny.


Campagne de mai et juin 1940 de la 3e brigade de spahis, avec l'aimable autorisation du colonel (er) Thierry Moné.
Campagne de mai et juin 1940 de la 3e brigade de spahis, carte en couleurs (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Thierry Moné, officier de l’arme blindée qui a commandé le 1e régiment de spahis de 1997 à 1999).

Les soldats sont chargés de surveiller l’arrivée de parachutistes et de bloquer l’accès des Hauts Sarts et de la Verrerie aux blindés. Fin octobre, les spahis de la 3e brigade[1]  (formée à partir des 2e RSA[2] et RSM[3]) rejoignent Novion-Porcien et stationnent pour une partie d’entre eux à La Romagne.


[1] Moné, Thierry (colonel en retraite), Les Spahis de La Horgne : la 3e brigade de Spahis dans les combats de mai et juin, Valence : la Gandoura & CRCL [Calot rouge et croix de Lorraine], amicale des spahis du 1er Marocains, 2010, 205 p., pages 9 et 16 [exemplaire personnel n° 290 sur 400].

[2] Régiment de spahis algériens.

[3] Régiment de spahis marocains.


Un Romanais qui a vécu cette époque s’en souvient :

« Leurs uniformes rutilants et leurs chevaux barbes[1] font grande impression sur les habitants. »
[1] Cheval de selle de race orientale.

Témoignage écrit de monsieur Pierre Malherbe †.

Une anecdote l’a marqué particulièrement lorsqu’il était un tout jeune homme :

« Un beau matin, tout contre la porte de la cave d’Henri Mauroy, nous avons vu des spahis qui s’affairaient auprès d’un cheval mort. Ils ont commencé par le dépouiller puis ont étendu la peau sur des perches avant de débiter des morceaux de viande. C’était vraiment un spectacle insolite pour nous. »

Témoignage écrit de monsieur Pierre Malherbe †.

Ces spahis quittent le village pour être d’abord cantonnés dans les forêts avoisinantes, avant d’être dirigés sur Monthermé, puis de prendre part le 15 mai 1940 aux combats de La Horgne.


Le village voit passer encore bien d’autres troupes, en particulier le 31e d’artillerie venant de Saint-Brieuc (Bretagne) [1]. Se succèdent encore le 9e génie, le 10e d’artillerie et enfin le 18e (qui s’y repose et peut soigner ses chevaux blessés)[2].


[1] Deux cents hommes stationnent à la ferme de la Bouloi avant de monter sur la Belgique.

[2] Témoignage oral de monsieur Louis Devie (Logny-lès-Chaumont).


Certaines de ces troupes construisent des baraquements en bordure de la gare de Draize – La Romagne, où l’un de ceux-ci sert de buvette et a pour enseigne « Au pou qui tète »[1], tandis qu’à proximité s’entasse de la ferraille de récupération. D’autres creusent une tranchée-abri sur la place.


[1] Témoignage écrit de monsieur Pierre Malherbe †.


Bien avant le début du conflit, en raison des nombreuses occupations subies par les Ardennes au cours des siècles précédents, la préfecture, forte d’exemples encore dans toutes les mémoires, prend des dispositions dès les années 1930 pour organiser le départ des populations du nord du département.

Des trajets sont tracés, pour que le déplacement éventuel puisse se passer dans les meilleures conditions possibles, en passant par le sud des Ardennes. Les villages de Draize et de La Romagne sont prévus pour accueillir provisoirement une partie de la population de Charleville, qui pourrait ensuite être acheminée vers des zones de repli.


En mai 1940, lors de l’offensive sur l’Aisne, le village, où se trouvent ce jour-là des évacués de la Meuse, est bombardé : une torpille aérienne (projectile de gros calibre) et des bombes causent certes de sérieux dégâts matériels, en particulier sur l’église. Elles concernent surtout des pertes humaines, civiles et militaires : Aimé Vuillemet (le garde champêtre qui annonce l’ordre d’évacuation) et Marthe Mauroy sont tués sur le coup. C’est aussi le cas d’un soldat français du nom de Laurent Stéphane Marie Marchand[1]. Deux autres périssent quant à eux aux abords de la Draize, où ils sont enterrés sur place avant de l’être dans le cimetière paroissial.


[1] Service historique de la Défense, site de Caen, AC 21 P 81257, [série AC = victimes des conflits contemporains, sous-série AC 21 P = MPDR (ministère des Prisonniers, déportés et réfugiés) puis MACVG (ministère des Anciens combattants et victimes de guerre), dossiers individuels].


Le sort s’acharne, ce jour-là, sur la famille d’Aimé Vuillemet : son fils Paul est atteint par un éclat de bombe. Pour l’accueil des blessés, deux infirmeries sont établies dans le village, dont l’une au bord du chemin qui mène à la Cour Avril, et l’autre dans la maison de Marceau Carbonneaux[1].


[1] Témoignage oral de monsieur René Lelong †.


Le 10 mai 1940, l’ordre d’évacuer les Ardennes est donné. Le lendemain, tous les habitants de La Romagne quittent le village le cœur gros, la mort dans l’âme de devoir abandonner leurs bêtes. Par exception, quelques-uns restent : monsieur et madame Ledouble, leur fils Jules et madame Pagnié, qui est assez âgée[1].

Alors que, de longue date, un plan d’enlèvement du bétail a été prévu par les autorités et pour chaque canton[2], il ne peut être appliqué en raison de la rapidité de l’avance des troupes allemandes. Les cultivateurs, bouleversés, doivent laisser leurs bêtes dans les prés.


[1] Témoignage écrit de monsieur Pierre Malherbe †.

[2] Archives départementales des Ardennes, 1M 119 [série M = administration générale et économie depuis 1800, sous-série 1M = administration générale (fonds du cabinet du préfet)].


Après avoir bien inutilement fermé leurs maisons, les habitants partent en exode, les uns en automobile, les autres dans des charrettes tirées par les chevaux qui n’ont pas été réquisitionnés par l’armée. Dès le 2 septembre 1939, les principaux cultivateurs voient partir la plupart de ces animaux de trait. En 1941, il n’en reste plus que vingt-sept sur la petite soixantaine que comptait La Romagne juste avant les réquisitions. Les derniers Romanais partent à vélo ou à pied.


Château de Châtenay à La Chataigneraie (Vendée), photographie en couleurs, collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Gréau, président du CHEL (Cercle d'histoire et d'études locales).
Château de Châtenay à La Chataigneraie (Vendée), photographie en couleurs, collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Gréau, président du CHEL (Cercle d’histoire et d’études locales).

L’ordre d’évacuation totale des Ardennes jette sur les routes tous les Ardennais ou presque dans un désordre indescriptible : aucun des plans arrêtés ne peut être mis à exécution, en raison de l’urgence. LesRomanais se replient vers les départements des Deux-Sèvres et de la Vendée. C’est ainsi que la famille Cugnart se retrouve au château de Châtenay à La Chataigneraie (Vendée)[1].


[1] Archives départementales des Ardennes, 1M 127 [série M = administration générale et économie depuis 1800, sous-série 1M = administration générale (fonds du cabinet du préfet)].


André Druart (personnage le plus à gauche) à Borcq-sur-Airvault (Deux-Sèvres), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †).
André Druart (personnage le plus à gauche) à Borcq-sur-Airvault (Deux-Sèvres), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †).

Eugène François Lesein rejoint Rosnay (Indre) en passant par Mareuil-sur-Lay-Dissais (Vendée). Numa Edmond Lesein atteint Saint-Sulpice-en-Pareds (Vendée), tandis que la famille Druart est à Borcq-sur-Airvault (Deux-Sèvres). Dans cette commune, après des moments difficiles à vivre, une rencontre se concrétisera par un mariage.


Quelques habitants de La Romagne (Ardennes) réfugiés dans une école privée à Gourdon (Lot) en juillet 1940, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †). Sous toutes réserves, les personnes identifiées de gauche à droite et de bas en haut seraient les suivantes : au premier rang, Rosa Malherbe née Bompart (n°2), Euphrasie Bompart née Marandel (n°3), Marcel Malherbe (n°4), Lucie Malherbe (n°5), René Malherbe (n°6), Maurice Malherbe (n°7) ; au deuxième rang : André Legros (n°2), Lucie Legros née Malherbe (n°4), Madeleine Legros (n°6), Alfred Marandel (n°7), Pierre Malherbe (n°9), Pierre Marandel (n°10), René Didier(n°11), Lucie Laroche (n°12), Madame Didier (n°13).
Quelques habitants de La Romagne (Ardennes) réfugiés dans une école privée à Gourdon (Lot) en juillet 1940, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †). Sous toutes réserves, les personnes identifiées de gauche à droite et de bas en haut seraient les suivantes : au premier rang, Rosa Malherbe née Bompart (n°2), Euphrasie Bompart née Marandel (n°3), Marcel Malherbe (n°4), Lucie Malherbe (n°5), René Malherbe (n°6), Maurice Malherbe (n°7) ; au deuxième rang : André Legros (n°2), Lucie Legros née Malherbe (n°4), Madeleine Legros (n°6), Alfred Marandel (n°7), Pierre Malherbe (n°9), Pierre Marandel (n°10), René Didier(n°11), Lucie Laroche (n°12), Madame Didier (n°13).

D’autres habitants trouvent refuge dans des lieux divers, non envisagés au départ. Certains font une étape à Coulanges-sur-Yonne (Bourgogne), avant d’atteindre Gourdon (Lot), où ils retrouvent les familles Malherbe, Legros, Didier, Marandel, etc. Les familles Devie et Bonhomme sont logées près d’Issoudun (Indre), au moulin de la Bonde.


Le préfet des Ardennes, qui se trouve à Sainte-Hermine (Vendée), constate dans un de ses courriers que les conditions dans lesquelles s’est produite l’évacuation n’ont pas toujours permis de diriger la population repliée dans les communes initialement assignées[1]. La Romagne en est l’illustration parfaite.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1M 123 [série M = administration générale et économie depuis 1800, sous-série 1M = administration générale (fonds du cabinet du préfet)].


Portrait de Joseph Dominique Albertini en uniforme militaire, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Marie-Hélène Beltrami).

Quoique l’armistice soit signé le 17 juin 1940, de nombreux Romanais faits prisonniers ne rentrent qu’au bout de plusieurs années : c’est le cas par exemple d’Achille Cotte[1] ou de Dominique Albertini. Pour la plupart, ces soldats ne sont libérés qu’en 1945.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1145 W 10 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Le retour se fait très difficilement, et de manière échelonnée : dès le 1er juillet 1940, une zone interdite située au nord de l’Aisne est établie dans le département, et englobe le village. Pour rentrer, des laissez-passer sont nécessaires. Ils sont accordés selon le bon vouloir des autorités allemandes, qui multiplient les tracasseries administratives.


Les agriculteurs se demandent ce que sont devenues leurs cultures et leurs bêtes en leur absence. Seuls quelques-uns d’entre eux (comme André Didier ou Adolphe Macquin) peuvent rentrer à cette date.

L’absence de la majorité des exploitants permet aux Allemands de s’emparer aussitôt de terres : Alcide Cugnart, Alexis Boudaud et Alfred Devie (mais ce ne sont pas les seuls[1]) se voient confisquer respectivement vingt-quatre, trente-cinq et quarante-deux hectares. En outre, l’occupant leur prend leur matériel (faucheuse, moissonneuse, brabants, tombereaux, herses et râteaux), sous le prétexte fallacieux d’abandon.


[1] Archives départementales des Ardennes, 11R 89 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 11R = services temporaires de la période de guerre 1939-1945].


Le retour définitif du plus grand nombre s’étale sur presque toute l’année 1941, avec un pic en mai. Et ce n’est qu’en novembre que s’effectue le retour du dernier, Aristide Carbonneaux-Fétrot.

Date du retour à La Romagne (Ardennes)Nom du cultivateur
Juillet 1940Didier, André
Novembre 1940Macquin, Adolphe
1er mars 1941Lesein, Edmond
20 avril 1941Cotte, Achille (de retour d’un camp de prisonniers de guerre)
1er mai 1941Bocquet-Huet, Ernest
1er juillet 1941Marquigny, Joseph
3 juillet 1941Devie, Paul (de retour d’un camp de prisonniers de guerre)
1er août 1941Devie, Alfred
11 août 1941Boudaud, Jean-Baptiste
24 septembre 1941Chrétien, Gustave Henry
Non préciséeMarandel, Ernest
Non préciséeCugnart, Alcide
1er novembre 1941Legros, Auguste
9 novembre 1941Carbonneaux-Fétrot, Aristide
Quelques exemples du retour des cultivateurs à La Romagne (Ardennes) après l’exode de mai 1940.

Les Romanais dont le retour a lieu le plus tôt, c’est-à-dire en juillet 1940, retrouvent d’emblée La Romagne occupée par des troupes allemandes, dont une partie s’est installée dans l’école[1], et qui ne quitteront le village qu’en juin 1941.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1 W 5 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


En revanche, ceux qui reviennent après janvier 1941 ont la fâcheuse surprise de découvrir qu’ils ne peuvent réintégrer leur exploitation qu’à condition de travailler comme salariés agricoles de l’Ostland[1].

Cette situation entraîne des frictions et des plaintes auprès du procureur de La République, notamment lorsque certains des derniers rentrés découvrent chez leurs voisins du matériel ou du bétail qui leur appartenait autrefois, et qui aurait été « confié » par les Allemands.


[1] Ostdeutsche Landbewirtschaftung-gesellschaft ou Société agricole d’Allemagne orientale, créée par le ministre de l’Alimentation et de l’agriculture du Reich allemand.


Emprise de la WOL (Wirtschaftsoberleitung) à La Romagne, Archives départementales des Ardennes, 12 R 144, [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 12R = archives des services allemands pendant la guerre de 1939-1945].
Emprise de la WOL (Wirtschaftsoberleitung) à La Romagne, Archives départementales des Ardennes, 12 R 144, [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 12R = archives des services allemands pendant la guerre de 1939-1945].

L’Ostland applique dans les Ardennes un programme de confiscation de terres, comme cela a été fait peu de temps auparavant en Pologne. Cette société est représentée par la WOL[1], à la tête de laquelle se trouve le directeur départemental, établi à Charleville. Un Kreislandwirt[2] est nommé par arrondissement. Un Bezirkslandwirt[3] contrôle chaque canton. Un Betriebsleiter[4] réside dans la commune qu’il supervise, ou vit à proximité immédiate.


[1] Wirtschaftsoberleitung (service de mise en culture).

[2] Agriculteur d’arrondissement.

[3] Agriculteur de canton.

[4] Gérant, c’est-à-dire un chef de culture.


Ce dernier est un civil allemand qui applique une nouvelle politique agricole : l’occupant trouve que la culture ardennaise comporte trop de prés et de bois. Les paysans, désormais sous la férule germanique, doivent travailler en commun toutes les terres pour les emblaver[1] le plus possible, sans tenir compte des possessions de chacun[2]. En témoigne l’enlèvement des bornes marquant les limites des propriétés (Il faudra les remettre en place une fois la guerre terminée).


[1] Ensemencer en blé.

[2] Archives départementales des Ardennes, 1 W 35 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Cette prise de terres concerne quelque deux cent un hectares, rien que pour La Romagne (dont cinquante de cultures et cent cinquante et un de pâtures). Pour lui donner un aspect de légalité, les Allemands la notifient au préfet, qui doit à son tour en informer le propriétaire et le maire du village.


Ensuite, ce sont les bâtiments pour abriter les récoltes qui sont réquisitionnés (la grange de La Romagne n’est rendue à son usage premier que le samedi 31 mars 1945). Des maisons sont saisies pour servir de logement à des ouvriers travaillant pour le compte de la WOL de Draize (c’est le cas de bâtiments appartenant à Joseph Marquigny[1]).


[1] Archives départementales des Ardennes, 11R 409 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 11R = services temporaires de la période de guerre 1939-1945].


Au moment de l’invasion allemande, la Romagne compte trente-deux exploitations, dont vingt ont moins de vingt hectares. Parmi les douze restantes, seules deux ont une superficie comprise entre cinquante et cent ha[1].


[1] Archives départementales des Ardennes, 56 W 37 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


La reprise est difficile pour la campagne 1940/1941, car peu de sols peuvent être ensemencés (environ vingt-deux ha), et ce n’est qu’en 1942 que les terres sont à nouveau cultivées. Les exploitants se heurtent alors à de nouvelles obligations, puisqu’ils sont contraints de déclarer leurs récoltes et de les livrer à des organismes stockeurs. S’ils n’ont pas le matériel nécessaire, ils doivent faire appel obligatoirement à l’entrepreneur de battage désigné par l’occupant.


Aussitôt les habitants partis, des vols de bétail se produisent, des troupeaux d’armée sont formés. Le bétail errant devient propriété de la WOL, qui le confie à certains agriculteurs du village. Ce n’est qu’après bien des palabres, des démarches et des menaces que deux cultivateurs (Messieurs Cugnart et Lesein) parviennent à récupérer chacun… une bête[1].


[1] Archives départementales des Ardennes, 1050 W 57 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Cette situation contraste fortement avec ce qui se passe du côté allemand, selon un Romanais qui a connu cette période :

« Une quarantaine de vaches confisquées par la WOL se trouvaient à la ferme de la Bouloi et étaient traites par des femmes d’origine polonaise. »

Témoignage oral de monsieur Louis Devie (Logny-lès-Chaumont), dont les parents étaient les propriétaires de cette ferme.

Lorsque la vie agricole reprend à La Romagne en 1941, il ne reste plus que cent un bovins. Les quelques attributions de bétail qui sont accordées sont fort modestes : à plusieurs reprises, une commission cantonale ne concède qu’une ou deux bêtes. Malgré toutes les difficultés endurées, il y en aura deux cent douze à la fin de l’année 1943.

À la suite de la disparition de la WOL, les attributions de bétail sont alors plus importantes. Il ne faut cependant pas croire que le cultivateur dispose comme il l’entend de sa production laitière. Il doit se conformer en cela (et comme pour le reste) aux décisions allemandes.


La Romagne doit fournir trente kilos de beurre par semaine, et la commune de Givron est contrainte d’en procurer cinq. Le responsable de la Kommandantur de la Romagne exige du maire de Montmeillant que tout le beurre fabriqué dans sa commune lui soit livré, sinon il sera arrêté une nouvelle fois.

La production ne peut aller qu’aux Allemands, qui achètent ce beurre 28 francs le kilo. Ces quantités de beurre représentent mille quatre cents à mille cinq cents litres[1] de lait. Pour se rendre compte de l’exigence, il faut savoir qu’une vache laitière en produit environ mille quatre cent soixante litres par an.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1 W 35 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Comme les troupeaux n’ont plus rien à voir avec ceux d’avant-guerre, les laiteries ne peuvent pas s’approvisionner normalement. Ces contraintes provoquent en particulier les doléances des établissements Hutin Frères[1], qui font le ramassage dans tout le secteur depuis longtemps, et qui sont désormais obligés de « faire un long trajet sans obtenir un seul litre de lait, en raison des contraintes de la Kommandantur ».


[1] Laiterie de La Neuville-lès-Wasigny (Ardennes).


D’autre part, les habitants font face à des difficultés de ravitaillement, tant alimentaire que vestimentaire. Les tickets de rationnement font leur apparition et parfois la chasse nocturne aux grenouilles menée par des jeunes gens du village améliore l’ordinaire des quelques habitants qui en bénéficient[1]. Les occupants manifestant un profond dégoût pour ces animaux, ils ne risquent pas de les confisquer à leur profit !


[1] Témoignage écrit de monsieur Pierre Malherbe †.


Adaptation au gazogène du camion de la cidrerie Malherbe à La Romagne (Ardennes), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l'aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †).
Adaptation au gazogène du camion de la cidrerie Malherbe à La Romagne (Ardennes), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †).

Pour ce qui est des vêtements, le canton de Chaumont dispose pour l’ensemble des communes qui en font partie d’un certain nombre de points, qui doivent être répartis en fonction du nombre d’habitants de chaque village. Un cahier des attributions est tenu.

C’est ainsi que l’on sait qu’il faut douze points pour acquérir un blouson, et vingt-cinq pour un pantalon de travail. Quant au carburant, il est parcimonieusement attribué, obligeant chacun à modérer son utilisation des moyens de transport.


Rares sont les habitants (pour ne pas dire aucun), qui retrouvent leur maison intacte. La cidrerie, installée dans le village depuis les années vingt, est pillée : l’armée de l’occupant se serait livrée à diverses rapines, dont celui de vins et spiritueux[1].

Ce ne sont certainement pas les seuls responsables : entre le 11 mai (jour du départ des habitants) et la prise du village par les Allemands le 14 mai, des troupes françaises et des réfugiés belges ont traversé la commune et y ont aussi probablement participé.


[1] Archives départementales des Ardennes, 13R 1661 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 13R = dommages de guerre 1939-1945].


Périodiquement, le maire reçoit de la part des autorités allemandes des demandes de cantonnement. Il essaie d’y répondre le plus possible par la négative, arguant de l’état du village, avec ses maisons inhabitables et le pillage déjà subi[1].


[1] Archives départementales des Ardennes, 1 W 35 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Les habitants entendent passer régulièrement des bombardiers allemands qui se dirigent vers l’Angleterre.

« Parfois, les avions ennemis perdent en cours de route des réservoirs, ce qui est attesté par ceux retrouvés aux Houis ou dans le bois d’Angeniville. D’autre part, les Allemands ont installé des radars à Doumely, mais aussi entre Marlemont et Signy-l’Abbaye, et un mirador sur la route des Fondys. »

Témoignage oral de monsieur René Lelong †.

Fernand Mennessier récupérant des débris d'avion du côté de Fraillicourt (Ardennes), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Michel Mauroy).
Fernand Mennessier récupérant des débris d’avion du côté de Fraillicourt (Ardennes), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Michel Mauroy).

Puis c’est le tour de bombardiers anglais, partant ou revenant de leur mission sur le territoire allemand. Comme ceux-ci, pourchassés par l’aviation ennemie, s’écrasent parfois dans des communes voisines (comme à Novion-Porcien, Fraillicourt ou Rocquigny), ce spectacle ajoute à l’horreur vécue par les populations.


La présence allemande est encore plus pesante lorsque la loi sur le STO[1] est promulguée. Elle concerne des jeunes gens de la commune ou y ayant des attaches, nés entre 1919 et 1923. Une vingtaine d’hommes sont concernés pour ces quatre années, dont Raymond Mauroy, Pierre Malherbe et Robert Laroche.


[1] Service du travail obligatoire.


Couverture de la brochure, non paginée, sans mention d'édition, Travailler en Allemagne, c'est gagner sa vie dans de bonnes conditions, Archives départementales des Ardennes, 1 W 151-3 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Couverture de la brochure, non paginée, sans mention d’édition, Travailler en Allemagne, c’est gagner sa vie dans de bonnes conditions, Archives départementales des Ardennes, 1 W 151-3 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

A partir de 1942, l’Allemagne a besoin de travailleurs, car nombre de ses ouvriers ont été mobilisés sur le front russe. Le recrutement d’ouvriers français volontaires est fondé sur la relève, instaurée dès le mois de juin. Un prisonnier est libéré contre trois ouvriers s’engageant à travailler en Allemagne.

Très rapidement, la donne change et c’est une libération accordée pour sept travailleurs qui s’engagent. Une importante propagande vantant les conditions de travail, de salaire, etc. accompagne la politique de collaboration du régime de Vichy.

Au-delà des avantages sociaux, l'Allemagne nazie vante aux travailleurs français les loisirs mis en place dans ses usines.
Au-delà des avantages sociaux, l’Allemagne nazie vante aux travailleurs français les loisirs mis en place dans ses usines.

En réalité, peu d’hommes se laissent ainsi séduire. C’est pourquoi l’Etat français fait parvenir des notes d’orientation hebdomadaire aux préfets pour rappeler que l’effort de propagande pour la relève ne doit pas se ralentir. L’argument est qu’en partant les ouvriers serviraient la cause de la France[1], ou que les prisonniers seraient d’autant plus nombreux à rentrer que le rythme de départ d’ouvriers serait plus important[2].


[1] Archives départementales des Ardennes, 1 W 150, note d’orientation hebdomadaire n° 12 en date du 16 octobre 1942 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

[2] Archives départementales des Ardennes, 1 W 150, note d’orientation hebdomadaire n° 15 en date du 6 novembre 1942 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


La pression des autorités sous l’Occupation se fait sentir de plus en plus : en 1942, elle exige l’envoi de trois cent cinquante manœuvres non spécialisés. En 1943, il y a environ deux mille départs pour tout le département, qui compte deux cent vingt-six mille habitants[1].


[1] Archives départementales des Ardennes, 1 W 150 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Chaque travailleur se rendant en Allemagne doit être en possession d’un passeport valable. Cette demande est souscrite avec la plus grande sincérité et exactitude dès son arrivée.

Dans une lettre de la préfecture de police de Paris au préfet des Ardennes à Mézières en date du 2 février 1943, on apprend que Raymond Mauroy se trouve en Allemagne depuis le 30 novembre 1942 et qu’il a fait une demande de passeport le 17 janvier 1943 lors de son arrivée[1] à Solingen (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Il sera de même pour Pierre Malherbe et Robert Laroche.


[1] Archives départementales des Ardennes, 112 W 11 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


En vertu d’un arrêté ministériel du 25 novembre 1942 et d’un arrêté préfectoral du 10 décembre 1942, chaque commune est obligée d’effectuer un recensement général des travailleurs disponibles : ce dernier concerne tous les hommes de dix-huit à cinquante ans. Ils sont ensuite répartis en différentes catégories (âge, situation familiale, etc.).

Il apparaît qu’un certain nombre de villages ardennais ne sont pas pressés de répondre à cette demande : c’est le cas de La Romagne, Givron, Rocquigny, Sery, Le Fréty, etc. Ils sont rappelés à l’ordre.


A partir de cette époque, ce recrutement a un caractère quasi obligatoire, et les réfractaires sont poursuivis beaucoup plus activement. Cette recherche, opérée par la gendarmerie, n’est pas sans créer des tensions entre la maréchaussée et la population. Elle entraîne aussi des scrupules chez les gendarmes, si bien que quelques-uns d’entre eux ne manifestent pas pour ce genre de mission une ardeur à toute épreuve.

Ils laissent parfois échapper une information sur la date et le but de leur tournée : les concernés peuvent ainsi trouver refuge dans l’environnement forestier du village. Pour se soustraire à ce recrutement, André Barré rejoint le maquis de Signy-l’Abbaye et le groupe de Draize, sous la direction de Fernand Miser.

Cet insigne des troupes de forteresse (secteur fortifié des Ardennes) est un symbole de résistance.
Cet insigne des troupes de forteresse (secteur fortifié des Ardennes) est un symbole de résistance.

Carte de travail et certificat de libération[ArbeitskarteBefreiungsschein], travail auxiliaire [Hilfsarbeit] dans l’usine de Volkswagen [Volkswagenwerk], ville de la Coccinelle [Stadt des KdF.-Wagens], arrondissement de Gifhorn [Krs. Gifhorn], collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †.

Dans des rapports en provenance de la brigade de Chaumont-Porcien datant de mars et juin 1943, le brigadier évoque que le regard de la population change à leur égard, dans la mesure où la gendarmerie est intervenue non seulement lors de réquisitions pour l’Allemagne, mais aussi en raison du STO.

Dans son compte rendu de septembre, il insiste sur la répugnance éprouvée par les militaires par rapport aux ordres concernant le STO, soulignant qu’ils n’agissent que par contrainte et discipline, ce qui les met en porte-à faux vis-à-vis de la population.

Dans un autre document, il souligne que, de mars 1943 à mai 1944, quatre-vingt-huit recherches de réfractaires au STO sont restées infructueuses dans le canton. Par là, il laisse flotter l’idée que, sans rien dire, les gendarmes n’auraient pas apporté tout le zèle requis, afin d’être en accord avec leur conscience[1] .


[1] Service historique de la Défense, département de la Gendarmerie, site de Vincennes, 8E 226, registre de correspondance confidentielle au départ (R/4) du 16 septembre 1942 au 14 décembre 1946 [série E = compagnies puis groupements de gendarmerie départementale, sous-série 8E = compagnie de gendarmerie départementale des Ardennes (1917-1946), article 8E 226 = brigade territoriale de Chaumont-Porcien, 1942-1946].


Vadon, Jacques, Secteurs et maquis de la Résistance ardennaise, Archives départementales des Ardennes, 1 Fi 132 [série Fi = documents figurés, cartes, plans, gravures, cartes postales, photographies, dessins, sous-série 1Fi = documents de dimensions 24 * 30 cm et au-dessus].
Vadon, Jacques, Secteurs et maquis de la Résistance ardennaise, Archives départementales des Ardennes, 1 Fi 132 [série Fi = documents figurés, cartes, plans, gravures, cartes postales, photographies, dessins, sous-série 1Fi = documents de dimensions 24 * 30 cm et au-dessus].

Le maquis de Signy-l’Abbaye se livre à des actions ciblées vers les moyens de communications pour déstabiliser l’ennemi. En réaction, ce dernier fait surveiller les chemins de fer, en particulier ceux de la ligne Hirson – Charleville, mais en vain : les partisans continuent leurs opérations. De ce fait, des restrictions de la liberté de circuler pour les habitants du secteur sont appliquées. Le couvre-feu est ramené à 20 heures au lieu de 22 heures.


La Résistance fournit également son aide lors de parachutages (un terrain est créé à Chaumont-Porcien) ou assiste des clandestins qui souhaitent rejoindre les maquisards[1]. De juin à août 1944, son action s’intensifie, tandis que des destructions de matériel ont lieu contre des biens utilisés au profit des Allemands, comme à Saint-Jean-aux-Bois ou à Wasigny[2]. Les voies ferrées sont sabotées afin de retarder l’armée allemande dans son action.


[1] Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, FOL-D1 MON-36, Giuliano, Gérard ; Lambert, Jacques, Les Ardennais dans la tourmente : l’Occupation et la Libération, Charleville-Mézières : Terres ardennaises, 1994, 453 p., page 159 [Contient un choix de documents et de témoignages.]

[2] Archives départementales des Ardennes, 1050 W 116 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Pont du chemin de fer de La Romagne, repérage topographique des lieux-dits de La Romagne (Ardennes) effectué avec monsieur Christian Beltrami le jeudi 24 mars 2022. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
Pont du chemin de fer de La Romagne, repérage topographique des lieux-dits de La Romagne (Ardennes) effectué avec monsieur Christian Beltrami le jeudi 24 mars 2022. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

Dès le début de l’année, après avoir étudié le plan vert[1], André Point dit « commandant Fournier » [2] propose des déraillements sur certaines lignes, ce qui en rendrait l’exécution beaucoup plus facile.

Les coupures prévues sur la ligne de Liart – Amagne auraient lieu entre Montmeillant et Draize – La Romagne puis entre Novion-Porcien et Amagne[3]. Ces suggestions sont acceptées malgré l’arrestation d’un responsable de la SNCF et d’une équipe plan vert[4].

Elles permettent de répondre aux instructions données par la Résistance de se préparer à une insurrection nationale, en perturbant les transports et en lançant des actions contre les troupes de l’Occupation.


[1] Qui a pour but de neutraliser les voies ferrées.

[2] Chef de la Résistance ardennaise, membre de l’OCM (Organisation civile et militaire).

[3] Archives départementales des Ardennes, 1393 W 9 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

[4] Archives départementales des Ardennes, 1293 W 17 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Croquis de l'engin explosif trouvé près de la gare de Draize – La Romagne (Ardennes), Archives départementales des Ardennes, 1050 W 144 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Croquis de l’engin explosif trouvé près de la gare de Draize – La Romagne (Ardennes), Archives départementales des Ardennes, 1050 W 144 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

Le 10 juin vers 18 heures, une explosion se produit à deux kilomètres de la gare de Draize – La Romagne, à un endroit où la voie longe la forêt de Signy-l’Abbaye, alors que le train circule au ralenti. Le rail intérieur est déchiqueté et arraché sur une longueur de trois mètres environ, en même temps qu’une traverse. Aussitôt, une patrouille allemande de la Feldgendarmerie[1] fouille les alentours sans rien découvrir, sauf un débris dans le ballast qui semble provenir d’un petit engin explosif.


[1] Police militaire allemande.


Après une immobilisation de quelques heures, le convoi repart vers 21 heures[1]. Le lendemain, c’est une locomotive et cinq wagons qui sont détruits, nécessitant une vingtaine d’heures pour le déblai et les réparations. Le même jour, une autre locomotive et quatre wagons d’un train de matériel déraillent.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Pont du chemin de fer à Montmeillant, repérage topographique des lieux-dits de La Romagne (Ardennes) effectué avec monsieur Christian Beltrami le jeudi 24 mars 2022. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.
Pont du chemin de fer à Montmeillant, repérage topographique des lieux-dits de La Romagne (Ardennes) effectué avec monsieur Christian Beltrami le jeudi 24 mars 2022. Crédits photographiques : © 2020 laromagne.info par Marie-Noëlle ESTIEZ BONHOMME.

Le 19 juin vers 23 heures, un train de troupes déraille, obstruant les voies pour une dizaine d’heures. Quelques jours plus tard, c’est un nouveau train de marchandises qui déraille près de Montmeillant. Après le départ des soldats ennemis, un avion allemand aurait mitraillé la gare de Draize – La Romagne[1].


[1] Témoignage oral de monsieur René Lelong †.


Dans la nuit du 21 au 22 juillet, le réseau télégraphique et téléphonique permettant les communications entre les gares de Wasigny et Draize – La Romagne est mis hors service : cinq poteaux ont été abattus[1].

Trois jours après, à la nuit tombée, une explosion en gare de Draize – La Romagne détruit la station d’alimentation en eau, la machine fixe est hors d’usage.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


Télégramme du 28 août 1944 par le chef de gare de Wasigny, Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Télégramme du 28 août 1944 par le chef de gare de Wasigny, Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

Le 28 août vers 20h30 (selon le rapport de la gendarmerie) trois explosions ont lieu à proximité, endommageant un appareil d’aiguillage, provoquant ainsi une interruption de trafic de 24 heures qui fait suite à une action permettant de couper la voie 1 en gare de Draize – La Romagne.

Télégramme du 29 août 1944 par le chef de gare de Wasigny, Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Télégramme du 29 août 1944 par le chef de gare de Wasigny, Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

André Barré (jeune homme portant des lunettes) et ses compagnons de la Résistance, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Angélique Barré).
André Barré (jeune homme portant des lunettes) et ses compagnons de la Résistance, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Angélique Barré).

Ces diverses actions sont menées par le réseau de résistance de Liart – Signy-l’Abbaye et la section de Draize, mouvements ralliés à différents moments par des jeunes gens de la Romagne[1] : André Barré (homologué FFC[2] et FFI[3])[4], Robert Carbonneaux (homologué FFI)[5], Raymond Ravignon et Raymond Didier en août 1944.


[1] Archives départementales des Ardennes, 1293 W 58 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

[2] Forces françaises combattantes.

[3] Forces françaises de l’intérieur.

[4] Service historique de la Défense, site de Vincennes, GR 16P 34597 [série GR = guerre et armée de Terre, sous-série GR P = Deuxième Guerre mondiale (1940-1946), inventaires GR 16 P = dossiers individuels de résistants].

[5] Service historique de la Défense, site de Vincennes, GR 16P 105945 [série GR = guerre et armée de Terre, sous-série GR P = Deuxième Guerre mondiale (1940-1946), inventaires GR 16 P = dossiers individuels de résistants].


Colonne de chars américains le 31 août 1944 sur le chemin de Renneville, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Gilbert Lebrun).
Colonne de chars américains le 31 août 1944 sur le chemin de Renneville, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Gilbert Lebrun).

Fin août, les Américains sont à Liart. Au cours des diverses opérations qui ont lieu lors de la libération du territoire, des soldats allemands sont pris et faits prisonniers à leur tour. C’est un retournement de situation, puisque des habitants du village ont eux-mêmes été capturés lors de la débâcle et libérés, selon leur statut, entre mars 1941 et mai 1945[1].


[1] Cette dernière date s’applique en général aux militaires de carrière.


Quelques–uns de ces prisonniers vivent à La Romagne, soit chez des cultivateurs, soit à la cidrerie où travaillent un ancien pilote de la Luftwaffe et Karl Kleiser (n° de prisonnier 452157).

Fiche de Karl Kleiser, prisonnier à La Romagne, Archives départementales des Ardennes, 44 W 13 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Fiche de Karl Kleiser, prisonnier à La Romagne, Archives départementales des Ardennes, 44 W 13 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].

Ce dernier, né le 12 novembre 1926 à Vohrenbach (Land du Bade-Wurtemberg), reçoit son certificat de libération le 5 août 1947 et devient un travailleur libre[1].

Il reste ensuite quelque temps à La Romagne, avant de regagner son pays. Il garde contact avec les personnes chez lesquelles il a été placé, préfigurant la réconciliation franco-allemande qui voit le jour dans les années soixante.


[1] Archives départementales des Ardennes, 44 W 13 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].


La Romagne n’en a pas fini avec la guerre et, même si celle-ci n’est plus sur son territoire, elle est présente avec le départ pour l’Indochine ou l’Algérie de quelques Romanais[1].


[1] Cette partie de l’histoire du village ne peut pas être abordée dans l’état actuel des recherches, en raison de la loi du 15 juillet 2008 sur la publication des archives.