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Le discours du 14 Juillet 1945 à La Romagne


Quatre-vingts ans environ se sont écoulés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Quelques mois après la victoire, Alcide Cugnart, maire de La Romagne, écrit un discours pour le 14 Juillet[1] 1945.

Il y évoque l’histoire de la fête nationale et de sa capacité à unir le peuple français. C’est avec joie que la population romanaise retrouve la commémoration de cette journée républicaine.

Ce document d’époque a été transmis par Virginie Périn, son arrière-petite-fille, et est publié avec son aimable autorisation. Son édition diplomatique respecte les règles typographiques employées par l’auteur.


[1] « Les noms de fêtes s’écrivent avec une capitale initiale au nom caractéristique et à l’adjectif qui éventuellement le précède ». De même, « Lorsqu’une date est mentionnée pour évoquer un événement historique et que l’année n’est pas indiquée, le nom du mois prend une capitale initiale. ». En revanche, « Il s’écrira normalement si cette même date n’indique que le jour où s’est produit l’événement sans représenter son contenu historique », selon le Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale.


« Mes chers concitoyens,
 
Enfin, après de longues années d’angoisse, nous pouvons célébrer en toute liberté notre fête nationale !

Discours du 14 juillet 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart † (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Page 1 du discours du 14 juillet 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart † (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Page 1 du discours du 14 juillet 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart † (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Depuis les jours sombres de 1940, lorsqu’arrivait la date du 14 juillet, nos cœurs se serraient encore plus car, loin de pouvoir nous réjouir, nous avions la vue de l’ennemi détesté, maître de toute notre chère France, qui nous enlevait toutes nos libertés et voulait faire de nous un peuple d’esclaves.

Chassons de notre mémoire ces heures et ces pensées douloureuses et ne songeons qu’à la solennité qui doit émouvoir tous les cœurs républicains. Sa date, glorieuse entre toutes, nous rappelle un des événements les plus décisifs de notre Histoire.

Aujourd’hui, il n’y a plus de sujets ni de despotes, il n’y a que des citoyens instruits de leurs droits et de leurs devoirs, libres, et qui célèbrent avec gratitude l’anniversaire de leur émancipation.


Page 2 du discours du 14 juillet 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart † (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Page 2 du discours du 14 juillet 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart † (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Ce qu’était la Bastille[1] que le peuple renversa en 1789, je ne vous l’apprendrai pas. Forteresse, prison, tombeau où pourrissaient ensemble coupables et innocents, selon le caprice des grands, elle se dressait comme le symbole, le signe visible du despotisme[2] royal.


[1] La Bastille Saint-Antoine est une forteresse érigée au XIVe siècle sous Charles V. Elle protégeait la route de Vincennes à Paris. Elle devient ensuite une prison d’état. En 1789, il n’y avait plus que sept prisonniers. Elle est détruite au lendemain du mardi 14 juillet 1789 par Pierre-François Palloy (1755-1835) un entrepreneur de travaux publics et architecte.

[2] Le despotisme est « une forme de gouvernement où tous les pouvoirs sont réunis dans une seule main », selon le Dictionnaire de l’Académie française.


Musée national du Château de Versailles et de Trianon, numéro d’inventaire MV 5517, anonyme français (peintre), Prise de la Bastille et arrestation du gouverneur M. de Launay, le 14 juillet 1789, huile sur toile, 18e siècle, notice descriptive consultable en ligne sur le site de l’agence photographique GrandPalaisRmnPhoto, édité par la Réunion des musées nationaux (France).
Musée national du Château de Versailles et de Trianon, numéro d’inventaire MV 5517, anonyme français (peintre), Prise de la Bastille et arrestation du gouverneur M. de Launay, le 14 juillet 1789, huile sur toile, 18e siècle, notice descriptive consultable en ligne sur le site de l’agence photographique GrandPalaisRmnPhoto, édité par la Réunion des musées nationaux (France).

Son existence et sa fonction étaient la conséquence du régime du bon plaisir et des lettres de cachet[1]. Son nom seul épouvantait les plus braves. Sa masse puissante et sombre, son profil dur, ses murailles hautes et muettes cadraient bien avec ce pouvoir absolu dont elle était la signification et comme le rempart.


[1] Une lettre de cachet était une « lettre fermée du sceau royal et qui contenait un ordre d’emprisonnement ou d’exil », selon le Dictionnaire de l’Académie française.


Musée national du Château de Versailles et de Trianon, numéro d’inventaire MV 5517, anonyme français (peintre), Prise de la Bastille et arrestation du gouverneur M. de Launay, le 14 juillet 1789, huile sur toile, 18e siècle, notice descriptive consultable en ligne sur le site de l’agence photographique GrandPalaisRmnPhoto, édité par la Réunion des musées nationaux (France).
Musée national du Château de Versailles et de Trianon, numéro d’inventaire MV 5517, anonyme français (peintre), Prise de la Bastille et arrestation du gouverneur M. de Launay, le 14 juillet 1789 [détail], huile sur toile, 18e siècle, notice descriptive consultable en ligne sur le site de l’agence photographique GrandPalaisRmnPhoto, édité par la Réunion des musées nationaux (France).

Eh bien, en 1789, dans un élan de généreuse colère contre l’injustice et l’oppression des rois, le peuple de Paris s’empara par la force de cette forteresse qui était impénétrable et qu’on regardait comme imprenable. Et il rendit à la liberté les victimes d’une autocratie[1] qu’il était enfin las de subir.


[1] L’autocratie est une « forme de gouvernement où le souverain exerce un pouvoir absolu », selon le Dictionnaire de l’Académie française.


Page 3 du discours du 14 juillet 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart † (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Page 3 du discours du 14 juillet 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart † (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Brusquement, dans le flamboiement des châteaux, les privilégiés[1] virent apparaître ce prolétariat[2] auquel ils n’avaient point pensé. Une révolution sociale était faite. Le principe était proclamé de l’égalité de tous les Français et de la suppression de tous les privilèges.


[1] Les privilèges honorifiques, fiscaux ou judiciaires.

[2] Le prolétariat désignait chez les Romains « la classe la plus pauvre du peuple, qui ne payait pas d’impôts », selon le Dictionnaire de l’Académie française.


« La langue de la République est le français. L'emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge. L'hymne national est la Marseillaise. La devise de la République est Liberté, Egalité, Fraternité. Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. » (Constitution du 4 octobre 1958, article 2, version en vigueur depuis le 05 août 1995).
« La langue de la République est le français. L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge. L’hymne national est la Marseillaise. La devise de la République est Liberté, Egalité, Fraternité. Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. » (Constitution du 4 octobre 1958, article 2, version en vigueur depuis le 05 août 1995).

Ce principe s’inscrivait bientôt dans la déclaration des Droits de l’homme[1]. Et notre devise nationale resplendissait de 3 grands noms : Liberté ! Egalité ! Fraternité ! Fraternité !

Que notre vie se passe dans la Fraternité, dans cette belle, vivante, agissante Fraternité qui, après avoir uni la rude main calleuse de l’ouvrier et la main toute blanche de l’écrivain ou du fonctionnaire, met en contact les cœurs et les âmes.


[1] Cette déclaration est inspirée des principes des Lumières. Elle définit les droits naturels de l’homme, les droits politiques du citoyen, et reconnaît le principe de la séparation des pouvoirs.


Page 4 du discours du 14 juillet 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart † (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Page 4 du discours du 14 juillet 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart † (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Pourquoi restons-nous fidèles à cette pieuse cérémonie ? c’est que chacun de nous obéit à l’impulsion du plus noble des sentiments qui peuvent soulever l’âme humaine : le souvenir.

Un peuple ne doit pas en effet oublier ceux qui sont morts pour lui donner cette liberté qui lui a ouvert les voies du bonheur et du progrès.


Le pavoisement des édifices et bâtiments publics avec le drapeau tricolore bleu, blanc, rouge est obligatoire le 14 Juillet.
Le pavoisement des édifices et bâtiments publics avec le drapeau tricolore bleu, blanc, rouge est obligatoire le 14 Juillet.

Cette année, nous prendrons part à notre Fête nationale avec l’enthousiasme, la joie de notre liberté totale. Et nous communierons ensemble dans cette réconfortante pensée que la Fête de la Nation[1] est la fête de famille de l’ensemble des Français. »


[1] La fête de la Fédération est célébrée le mercredi 14 juillet 1790 pour commémorer le premier anniversaire de la prise de la Bastille. Le mardi 6 juillet 1880, le 14 Juillet devient fête nationale française. C’est un jour férié avec un défilé militaire et des festivités tels des feux d’artifice et des bals populaires.

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Fêtes Guerre mondiale (1939-1945) Maires Mairies Militaires Victimes de guerre

Le premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne


Portrait de monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire de La Romagne (Ardennes) de 1930 à 1965, photographie ancienne en noir et blanc, virage sépia (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Portrait de monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire de La Romagne (Ardennes) de 1930 à 1965, photographie ancienne en noir et blanc, virage sépia (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Monsieur Alcide Cugnart[1], maire de La Romagne de 1930 à 1965, prononce un discours qui célèbre la victoire du 8 mai 1945. Il y évoque l’histoire de la Nation et celle de son village. Ce témoignage historique a été remis par madame Virginie Périn, son arrière-petite-fille[2].


[1] Alcide Joseph Cugnart est né à La Romagne le 13 avril 1897. Il est mort dans ce même village le 5 juillet 1973 à l’âge de 76 ans.

[2] Et petite-fille de madame Colette Cugnart épouse Bertrand.


Il est publié avec son aimable autorisation. Il se présente sous la forme de quatre pages lignées en bleu clair avec une marge rouge, non paginées, dans un bon état de conservation relatif malgré un jaunissement du papier[1] et le pâlissement de l’encre.

Ses pleins et déliés élégants en rendent l’écriture lisible et facilitent le travail de transcription intégrale[2] sous forme d’édition diplomatique[3]. Il présente un intérêt historique et mémoriel indéniable : il est émouvant, quelque quatre-vingts ans après, de partager la première célébration de la libération de La Romagne.


[1] Dû à son acidification.

[2] Dans ce mode, les erreurs et fautes grammaticales sont conservées, contrairement à la transcription intégrale allégée et à la synthèse.

[3] Reproduction la plus fidèle possible.


Jehanne au sacre, statue polychrome en pied de Jeanne d'Arc (vers 1412-1431) par Prosper d'Épinay (1836-1914), marbre, bronze argenté, ivoire, lapis-lazuli, sculpture de 1901 installée en 1909 dans la chapelle Sainte-Jeanne d'Arc de la cathédrale Notre-Dame de Reims.
Jehanne au sacre, statue polychrome en pied de Jeanne d’Arc (vers 1412-1431) par Prosper d’Épinay (1836-1914), marbre, bronze argenté, ivoire, lapis-lazuli, sculpture de 1901 installée en 1909 dans la chapelle Sainte-Jeanne d’Arc de la cathédrale Notre-Dame de Reims.

Sa datation n’est pas explicite. Mais une critique historique externe du texte (dite de véracité) permet d’estimer que la cérémonie s’est déroulée le dimanche 13 mai 1945 : cette déduction se tire d’une remarque de l’édile républicain sur la fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme[1].


[1] Cette célébration civile n’est pas à confondre avec la Sainte-Jeanne d’Arc. Dans l’esprit de l’orateur, la libération d’Orléans le 8 mai 1429 par l’héroïne (sans laquelle la France serait devenue anglaise) rejoint la victoire des Alliés le 8 mai 1945 (qui ont permis que la France ne devienne pas allemande).


Page 1 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Page 1 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

« Mesdames, Messieurs,
 
C’est avec une profonde émotion que je prends la parole pour vous convier à célébrer officiellement la victoire[1].


[1] Le maire de La Romagne écrit le mot soit avec une minuscule, soit avec une majuscule. La typographie originale a été respectée.

Début du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

La 14e DI (division d’infanterie) a eu à partir de janvier 1940 Jean de Lattre de Tassigny (1889-1952) alias Dequesne pour commandant historique : il a réussi à contrer trois fois en mai-juin 1940 la Wehrmacht, qui cherchait à franchir l’Aisne du côté de Rethel (Ardennes). Il a été compagnon de la Libération par décret du 20 novembre 1944, élevé à la dignité d’Etat de maréchal de France à titre posthume. Sa notice biographique est consultable en ligne sur le site du musée de l’Ordre de la Libération (Paris).

La Victoire ! Quel beau nom et comme il résonne agréablement à nos oreilles !
 
C’est qu’il engendre pour tous les Français bien des joies et pour nous Ardennais, il fait disparaître bien des anxiétés !

Passage sur les Ardennes, issu du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Des joies car c’en est terminé de la guerre atroce, de la guerre totale[1] que nous avaient imposée nos ennemis. Le Cessez le feu[2] a sonné sur tous les fronts et le calme bienfaisant règne après le fracas de la bataille.


[1] Une guerre totale est un conflit qui mobilise à la fois les États, les économies et les sociétés.

[2] Lire cessez-le-feu, selon l’Académie française. L’Allemagne signe la reddition sans condition le 7 mai 1945 à Reims (Marne). La suspension des hostilités doit intervenir le lendemain. Une nouvelle signature a lieu à Berlin (Allemagne) le 8 mai. Une différence de fuseau horaire explique que les Russes, eux, célèbrent le jour de la Victoire le 9 mai à Moscou, alors en URSS (Union des républiques socialistes soviétiques) et aujourd’hui dans la fédération de Russie.


Vidéo La Garde républicaine – Rhin et Danube, musique militaire, marche officielle de la 1e armée française, version consultable en ligne sur Youtube pour la chaîne BnF collection sonore – chanson française.

Nous ne tremblerons plus pour nos fils partis dernièrement, enrôlés dans les rangs de la 1ère armée française[1] reconstituée. Ils vont monter la garde en Allemagne[2] et faire flotter nos trois couleurs victorieuses sur les bords du Rhin et du Danube[3].


[1] Premier et première s’abrègent plutôt en 1er et 1re, selon l’Académie française. La 1re armée française est le nom donné aux unités militaires placées sous les ordres du général Jean de Lattre de Tassigny (1889-1952).

[2] Cette armée, qui comprend alors l’ensemble des forces armées françaises engagées en Allemagne, est sous commandement français. La 2e DB reste, elle, sous autorité américaine.

[3] « Rhin et Danube » est le surnom donné à la 1re armée à la suite de ses victoires remportées le long de ces fleuves entre le 31 mars et le 26 avril 1945.


Nos prisonniers et déportés rentrent petit à petit. Je suis infiniment heureux de voir que la moitié d’entre eux ont[1] retrouvé leur foyer, leur famille et que malgré les privations, les souffrances morales de l’exil trop long, ils nous sont revenus en général en bonne santé.


[1] Lorsque le sujet est un nom de fraction suivi d’un complément, le verbe s’accorde soit avec le nom de fraction, soit avec son complément. « La moitié des utilisateurs est satisfaite ou sont satisfaits. »


Nous attendons impatiemment ceux qui ne sont pas là aujourd’hui[1] pour fêter avec nous la victoire et nous souhaitons qu’ils nous reviennent tous sans tarder, joyeux d’être enfin libérés et de retrouver la France et leur cher petit village[2].


[1] Marceau Lelong, Paul Macquin, Remi Macquin, Léon Marandel, Henri Marquigny, Gaston Mauroy, Marcel Mauroy, Gaston Quentin, Robert Quentin sont rapatriés entre le 23 et le 30 mai 1945.

[2] Le maire se souvient sans doute ici du poème Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage de Joachim du Bellay : « Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village / Fumer la cheminée, et en quelle saison, / Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, / Qui m’est une province, et beaucoup davantage ? »


Page 2 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Page 2 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Oui, nous ne sommes plus anxieux pour l’avenir immédiat ! Adieu cette pensée qui nous obsédait alors que la nostalgie de la petite patrie nous avait, au mépris des dangers et de l’incertitude du lendemain, fait rentrer dans notre chère commune[1] !


[1] Référence à la dispersion des Romanais lors de l’exode, et aux difficultés du retour liées aux complications administratives pour obtenir des autorisations des autorités allemandes.


Si l’Allemagne avait été victorieuse, nos Ardennes ne seraient pas restées françaises[1] et nous aurions dû encore nous exiler, quitter à tout jamais nos champs, dire adieu à nos horizons familiers et aimés.

[1] Le maire rappelle le traumatisme causé par trois guerres successives : Les Ardennes ont été occupées par l’armée prussienne à partir du mois de septembre 1870, par les Allemands du 29 août 1914 au 11 novembre 1918, et enfin par le Troisième Reich dès 1940.

Passage sur les Ardennes, issu du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Musée de l'Ordre de la Libération (Paris), numéro d'inventaire D1946.1.1, Collier de grand maître de l'Ordre de la Libération, œuvre réalisée par Gilbert Poillerat (1902-1988), orfèvre, décorateur et maître-ferronnier d’art français, remise le 31 août 1947 au général de Gaulle (1890-1970), fondateur et grand maître de l’Ordre de la Libération, image consultable en ligne.
Musée de l’Ordre de la Libération (Paris), numéro d’inventaire D1946.1.1, Collier de grand maître de l’Ordre de la Libération, œuvre réalisée par Gilbert Poillerat (1902-1988), orfèvre, décorateur et maître-ferronnier d’art français, remise le 31 août 1947 au général de Gaulle (1890-1970), fondateur et grand maître de l’Ordre de la Libération, image consultable en ligne.

Et si maintenant nous ne tremblons plus pour notre destinée, c’est grâce à nos vaillants alliés, c’est grâce à notre grand chef le Général de Gaule[1], comparable à notre Jeanne d’Arc nationale que nous honorons également aujourd’hui[2]. Tous deux ont toujours eu foi en la Victoire.


[1] Lire général de Gaulle. Le militaire, résistant, homme d’État et écrivain français (1890-1970) a été chef de la France libre, commandant des FFL (Forces françaises libres), président du gouvernement provisoire, fondateur et grand-maître de l’Ordre de la Libération.

[2] Cette mention permet de dater précisément le jour où le discours a été prononcé. D’un point de vue religieux, Jeanne d’Arc a été canonisée le 16 mai 1920, et sa fête religieuse fixée au 30 mai, jour du bûcher de Rouen, en 1431. Sa fête nationale est fixée au 8 mai, jour anniversaire de la délivrance d’Orléans en 1429. Par une loi du 10 juillet 1920, la République décide que le deuxième dimanche de mai sera choisi pour la fête patriotique et nationale. En 1945, il tombe le dimanche 13 mai.


Page 3 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Page 3 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

De Gaule[1] d’abord à la tête de quelques Français qui comme lui n’ont jamais désespéré de notre redressement, a vu, à son appel[2], grossir les rangs des braves qui sous les ordres de Leclerc[3] et de Tassigny[4], ont débarqué en Normandie[5]et[6], à Marseille[7] et en une marche victorieuse et triomphale libéré notre Alsace[8], franchi le Rhin[9], planté notre drapeau à Ulm[10] et à Bertchesgaden[11], le repaire de Hitler.


[1] Lire De Gaulle.

[2] Le 18 juin 1940. Il est une réponse au discours radiophonique du 17 juin 1940 par le maréchal Pétain.

[3] Philippe Leclerc de Hautecloque (1902-1947), alias Leclerc, compagnon de la Libération par décret du 6 mars 1941, membre de la Résistance AEF [Allied Expeditionary Force] et du Conseil de défense de l’Empire, élevé à la dignité d’Etat de maréchal de France le 23 août 1952 à titre posthume.

[4] Jean de Lattre de Tassigny (1889-1952) alias Dequesne, compagnon de la Libération par décret du 20 novembre 1944, élevé à la dignité d’Etat de maréchal de France à titre posthume.

[5] Un tapis de bombes tombe dans la nuit du 5 au 6 juin 1944 pour préparer le débarquement de Normandie (opération Neptune) le 6 juin 1944 (Jour J, ou D-Day en anglais), première journée de la bataille de Normandie (Operation Overlord).

[6] La conjonction de coordination a été biffée et remplacée par une virgule.

[7] La bataille de Marseille du 21 au 28 août 1944 a conduit à sa libération.

[8] La libération de Strasbourg s’est effectuée le 23 novembre 1944, celle de Colmar le 2 février 1945.

[9] Le 31 mars 1945, le franchissement du Rhin à Spire et Germersheim (Land de Rhénanie-Palatinat) par la 1re armée française lui permettent une entrée en Allemagne.

[10] Le 24 avril 1945.

[11] Lire Berchtesgaden, commune des Alpes bavaroises (Allemagne). Situé dans le quartier Obersalzberg, le Berghof était la résidence secondaire d’Adolf Hitler. Il a été détruit par un bombardement aérien le 25 avril 1945. Il n’a aucun rapport avec la Kehlsteinhaus, surnommé le « nid d’aigle ». Cette dernière n’est d’autre part pas une maison de thé, contrairement à une autre erreur : il s’agit d’une confusion avec le Teehaus am Mooslahnerkopf, qu’aimait fréquenter le Führer. La Wolfsschanze (« tanière du loup ») était quant à elle le quartier général d’Hitler à Gierłoż (Görlitz en Prusse-Orientale), dans le comté de Kętrzyn (Pologne).


La deuxième division blindée, surnommée 2e DB ou « division Leclerc », car commandée par le général Philippe Leclerc de Hautecloque (1902-1947), alias Leclerc, a débarqué en Normandie, à Utah Beach (Saint-Martin-de-Varreville), dans le département de la Manche, le 1er août 1944. Sa notice biographique est consultable en ligne sur le site du musée de l’Ordre de la Libération (Paris).

C’est aussi grâce à nos Résistants qui ont grandement contribué au succès du débarquement. A tous nous adressons, avec notre profonde admiration, nos remerciements émus.


Vidéo La Garde républicaine – Chant des partisans, musique militaire, version instrumentale consultable en ligne sur Youtube pour la chaîne BnF collection sonore – chanson française.

Mais, dans l’allégresse de la Victoire, n’oublions pas ceux qui sont morts pour la défense et la gloire de la Patrie[1], les uns, soldats, broyés glorieusement à leur poste de combat, les autres, civils, tués par la mitraille ou les bombes des sinistres oiseaux du ciel[2], d’autres encore s’éteignant obscurément sur un lit d’hôpital et ceux, héros martyrs[3] auxquels les tortures[4] n’ont pas pu faire desserrer les dents, qui n’ont pas voulu livrer à l’ennemi les noms des admirables patriotes qui ont lutté dans l’ombre[5] pour la délivrance de la France[6].


[1] Lire patrie. La mention honorifique « Mort pour la France » atteste qu’une personne s’est sacrifiée pour elle.

[2] Le maire de La Romagne fait ici allusion aux bombardiers allemands, dont le Stuka ou Sturzkampfflugzeug (avion de combat en piqué).

[3] Allusion aux combattants, héros et martyrs de la Résistance.

[4] Le 22 mars 1944, Pierre Brossolette s’est suicidé pour ne pas parler. Dans la nuit du 17 au 18 juin 1940, Jean Moulin a tenté de se trancher la gorge, jugeant qu’il risquait de céder.

[5] Le roman L’Armée des ombres de Joseph Kessel a paru en 1943 à Alger. Il raconte le quotidien de la Résistance française.

[6] Les « grands » de la Résistance ont autant droit aux honneurs que les « soutiers de la gloire », selon l’expression de Pierre Brossolette lors de son discours à la BBC, le 22 septembre 1942 : le maire de La Romagne pense ainsi aux jeunes résistants de la Romagne (André Barré, Robert Carbonneaux, Raymond Didier, Raymond Ravignon).


« Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes

Ni l’orgue ni la prière aux agonisants

Onze ans déjà que cela passe vite onze ans

Vous vous étiez servis simplement de vos armes

La mort n’éblouit pas les yeux des partisans »

Strophes pour se souvenir par Louis Aragon (1897-1982) dans Le Roman inachevé, Paris : éditions Gallimard, 1956.

Ils sont tous dignes d’une éternelle reconnaissance parce que tous ils ont offert sans compter tout ce qu’ils pouvaient offrir, leur jeunesse, leurs forces, leurs joies, leurs espérances, leur sang et leur vie.


Vidéo Il y a 80 ans : l’appel du 18 juin, extrait consultable en ligne sur Youtube pour la chaîne Élysée, la page officielle de la Présidence de la République française. [Nota bene : l’enregistrement original de l’appel du 18 juin 1940 ayant rapidement disparu, c’est en réalité le passage radiophonique du général de Gaulle (1890-1970) à la BBC le 22 juin 1940 qui est souvent diffusé. La version filmée date, elle, du 2 juillet 1940.]

Ils sont morts, mais leur âme survit en nous et nous dicte notre devoir : l’Union[1].


[1] Le 13 novembre 1945, l’Assemblée nationale élit le général de Gaulle président du gouvernement de la République française. Ce dernier constitue le 21 novembre un gouvernement d’union nationale.


Page 4 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).
Page 4 du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Pour que la volonté française de paix[1] puisse s’imposer au monde, il faut resserrer les liens qui unissent tous les fils de notre beau pays.


[1] La capitulation allemande a permis un cessez-le-feu et a constitué un armistice, mais non un traité de paix. De nombreuses conférences internationales sur la paix et la sécurité en Europe ont donc été organisées.


L’union totale, étroite, généreuse entre tous est la condition essentielle de notre redressement[1], de notre sécurité future[2] et du salut de la France[3].


[1] Le 5 juin 1947, à Harvard, le général George Catlett Marshall (1880-1959), secrétaire d’État du président Harry Truman, annonce un programme d’aide au développement, connu depuis comme « plan Marshall ». Les Européens mettent en place le 16 avril 1948 l’OECE (Organisation européenne de coopération économique).

[2] Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 créent la Sécurité sociale.

[3] Le discours étant prononcé le jour de la fête nationale de Jeanne d’Arc, ce « salut » peut être entendu à la fois dans un sens « patriotique » et selon une acception « théologique ». D’après la lettre apostolique du Pape Pie XI Beata Maria Virgo in cælum assumpta in gallicæ, énoncée le 2 mars 1922, « Notre-Dame de l’Assomption est proclamée patronne principale de la France, et sainte Jeanne d’Arc, patronne secondaire ».


Vidéo Charles de Gaulle – extrait du discours du 25 août 1944 à Paris, consultable en ligne sur Youtube pour la chaîne BnF collection sonore – livre audio.

Je termine en vous invitant tous à venir lever votre verre à la prospérité de notre France éternelle[1].


[1] Cette idée est chère au général de Gaulle, qui l’a pour cette raison mise en avant dans son discours du 25 août 1944 : « Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré ! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. »

Réflexion sur la grandeur de la France, issue du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).

Vidéo La Garde républicaine ; François-Julien Brun – La Marseillaise, musique militaire, hymne national de la République française, version consultable en ligne sur Youtube pour la chaîne BnF collection sonore – World Music.

Mais avant je désirerais que, sous les plis de nos trois couleurs, nous chantions en chœur une fervente Marseillaise[1].
 
Vive la France ! »


[1] La Marseillaise a été décrétée chant national le 14 juillet 1795 (26 messidor an III) par la Convention. Sous le régime de Vichy (1940-1944), elle a été remplacée par le chant Maréchal, nous voilà ! Les constitutions de 1946 et de 1958 réaffirment La Marseillaise comme hymne national.

Fin du premier discours de la victoire du 8 mai 1945 à La Romagne (Ardennes) par monsieur Alcide Cugnart (1897-1973), maire du village de 1930 à 1965 (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Virginie Périn).