Il est possible à ce jour de mieux connaître les actions des résistants natifs de La Romagne grâce à l’autorisation de communication par dérogation délivrée par monsieur Léo Davy, directeur des archives départementales des Ardennes, avec l’accord du service départemental de l’ONACVG[1], duquel émanent les documents traités[2].
[2] Cette suite favorable accordée à la demande respecte un engagement signé de ne « publier ou de communiquer aucune information susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par la loi, notamment la vie privée des personnes ».
Barré[1], André Eugène Aristide, né le 22 janvier 1925 à La Romagne, fils de Fernand Edmond Barré et de Marie Célina Renée Carbonneaux. Il est enrôlé quelque temps après son retour d’évacuation dans les réseaux de la Résistance par Charles Henri Champenois [2] (de Draize), chef de groupe du maquis de Signy-l’Abbaye, sous les ordres d’Henri Lallement (de Rumigny), et auquel appartiennent en particulier Miser[3], Marchand et Yvette Barré.
[1]Archives départementales des Ardennes, 1797 W 17 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
[2] Il appartient aux formations clandestines de l’OCM (Organisation civile et militaire), dans la région C (qui couvre alors les Ardennes et sept autres départements de l’est de la France : Bas-Rhin, Haut-Rhin, Marne, Meurthe-et-Moselle, Meuse, Moselle, Vosges). Cette zone concerne donc l’Alsace, la Lorraine, et la Champagne-Ardenne. Pour cette dernière, il est à noter que l’Aube fait exception, puisqu’elle est rattachée à la sous-région P3 de la région P.
[3] Le dossier consulté ne permet pas de déterminer s’il s’agit de Fernand ou de Jean.
Au départ, le groupe qu’il rejoint doit trouver des armes, des munitions et des renseignements. Puis il est affecté au groupe de sabotage dirigé par Charles Tinois (de Signy-l’Abbaye) et opère avec lui en avril et mai 1944. Il est impliqué dans le sabotage de la ligne téléphonique du radar de Bégny, de la ligne ferroviaire d’Amagne – Lucquy, de fours à bois et de scieries fabriquant du bois de gazogène pour l’ennemi, dont celle de Wasigny.
Il participe, avec son groupe, aux combats de la libération à Lépron-les-Vallées, puis poursuit l’ennemi jusqu’à Charleville. André Barré est homologué FFC[1] et FFI[2] selon son dossier individuel de résistant[3]. Il reçoit la carte de combattant volontaire n° 98081 en date du 4 mai 1956.
[3]Service historique de la Défense, site de Vincennes, GR 16P 34597 [série GR = guerre et armée de Terre, sous-série GR P = Deuxième Guerre mondiale (1940-1946), inventaires GR 16 P = dossiers individuels de résistants].
Carbonneaux, Robert, né le 22 février 1920 à La Romagne, fils de Marceaux Carbonneaux et d’Angèle Ferrasse. Versé dans les chantiers de jeunesse comme requis civil à la 26e compagnie de jeunesse à Lacourt (Ariège).
Il rejoint les FFI à partir du 1er juin 1943 jusqu’au 6 septembre 1944, date à laquelle il s’engage pour la durée de la guerre à l’intendance militaire de Mézières au titre du train des équipages[1]. Robert Carbonneaux est homologué FFI[2].
[1] Archives départementales des Ardennes, 1R 468 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 1R = préparation militaire et recrutement de l’armée, mobilisation, recensement des classes]
[2]Service historique de la Défense, site de Vincennes, GR 16P 105945 [série GR = guerre et armée de Terre, sous-série GR P = Deuxième Guerre mondiale (1940-1946), inventaires GR 16 P = dossiers individuels de résistants].
Didier[1], Raymond Adolphe, né le 8 août 1925 à La Romagne, fils d’André Paul Didier et de Pauline Leroy. Appelé au STO en janvier 1943, il entre en contact avec Charles Henri Champenois et rejoint le groupement de résistance de Signy-l’Abbaye. Il participe aux diverses opérations de celui-ci (sabotages, parachutage de Lépron-les-Vallées et combats pour la libération du chef-lieu du département). Il reçoit la carte de combattant volontaire de la Résistance n° 116533.
[1]Archives départementales des Ardennes, 1797 W 17 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Ravignon[1], Raymond, né le 13 septembre 1925, fils d’Aurèle Adrien Ravignon et de Marie Philomène Quentin. Il obtient la carte de de combattant volontaire n° 195133 le 7 avril 1986 sur la base des témoignages délivrés le 30 juin 1985 par Charles Tinois et Charles Henri Champenois.
[1]Archives départementales des Ardennes, 1797 W 17 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Il entre dans la Résistance par l’intermédiaire de Fernand Miser en avril 1942, et intègre le groupe de sabotage de Wasigny. Il participe à la récupération d’armes, à la distribution de tracts antiallemands, au sabotage de la scierie allemande de Wasigny, à la destruction de la fosse à eau de Draize, aux sabotages ferroviaires. Il s’empare de la moto de deux soldats allemands.
Il apporte de l’aide aux requis au STO et aux réfractaires. Il est impliqué dans des attaques de convois ennemis entre Signy-l’Abbaye et Lépron-les-Vallées et participe à la libération de Charleville puis du plateau de Berthaucourt, où se sont retirés les Allemands. Raymond Ravignon a un certificat d’appartenance aux FFI du 1er janvier 1944 au 6 septembre 1944.
Dès les premiers jours suivant la mobilisation et la déclaration de guerre le 3 septembre 1939, diverses troupes françaises se trouvent cantonnées, soit à La Romagne, soit dans les villages environnants, comme au hameau Les Duizettes[1].
Les soldats sont chargés de surveiller l’arrivée de parachutistes et de bloquer l’accès des Hauts Sarts et de la Verrerie aux blindés. Fin octobre, les spahis de la 3e brigade[1] (formée à partir des 2e RSA[2] et RSM[3]) rejoignent Novion-Porcien et stationnent pour une partie d’entre eux à La Romagne.
[1] Moné, Thierry (colonel en retraite), Les Spahis de La Horgne : la 3e brigade de Spahis dans les combats de mai et juin, Valence : la Gandoura & CRCL [Calot rouge et croix de Lorraine], amicale des spahis du 1er Marocains, 2010, 205 p., pages 9 et 16 [exemplaire personnel n° 290 sur 400].
Un Romanais qui a vécu cette époque s’en souvient :
Une anecdote l’a marqué particulièrement lorsqu’il était un tout jeune homme :
Ces spahis quittent le village pour être d’abord cantonnés dans les forêts avoisinantes, avant d’être dirigés sur Monthermé, puis de prendre part le 15 mai 1940 aux combats de La Horgne.
Le village voit passer encore bien d’autres troupes, en particulier le 31e d’artillerie venant de Saint-Brieuc (Bretagne) [1]. Se succèdent encore le 9e génie, le 10e d’artillerie et enfin le 18e (qui s’y repose et peut soigner ses chevaux blessés)[2].
[1] Deux cents hommes stationnent à la ferme de la Bouloi avant de monter sur la Belgique.
[2] Témoignage oral de monsieur Louis Devie (Logny-lès-Chaumont).
Certaines de ces troupes construisent des baraquements en bordure de la gare de Draize – La Romagne, où l’un de ceux-ci sert de buvette et a pour enseigne « Au pou qui tète »[1], tandis qu’à proximité s’entasse de la ferraille de récupération. D’autres creusent une tranchée-abri sur la place.
[1] Témoignage écrit de monsieur Pierre Malherbe †.
Bien avant le début du conflit, en raison des nombreuses occupations subies par les Ardennes au cours des siècles précédents, la préfecture, forte d’exemples encore dans toutes les mémoires, prend des dispositions dès les années 1930 pour organiser le départ des populations du nord du département.
Des trajets sont tracés, pour que le déplacement éventuel puisse se passer dans les meilleures conditions possibles, en passant par le sud des Ardennes. Les villages de Draize et de La Romagne sont prévus pour accueillir provisoirement une partie de la population de Charleville, qui pourrait ensuite être acheminée vers des zones de repli.
En mai 1940, lors de l’offensive sur l’Aisne, le village, où se trouvent ce jour-là des évacués de la Meuse, est bombardé : une torpille aérienne (projectile de gros calibre) et des bombes causent certes de sérieux dégâts matériels, en particulier sur l’église. Elles concernent surtout des pertes humaines, civiles et militaires : Aimé Vuillemet (le garde champêtre qui annonce l’ordre d’évacuation) et Marthe Mauroy sont tués sur le coup. C’est aussi le cas d’un soldat français du nom de Laurent Stéphane Marie Marchand[1]. Deux autres périssent quant à eux aux abords de la Draize, où ils sont enterrés sur place avant de l’être dans le cimetière paroissial.
[1]Service historique de la Défense, site de Caen, AC 21 P 81257, [série AC = victimes des conflits contemporains, sous-série AC 21 P = MPDR (ministère des Prisonniers, déportés et réfugiés) puis MACVG (ministère des Anciens combattants et victimes de guerre), dossiers individuels].
Le sort s’acharne, ce jour-là, sur la famille d’Aimé Vuillemet : son fils Paul est atteint par un éclat de bombe. Pour l’accueil des blessés, deux infirmeries sont établies dans le village, dont l’une au bord du chemin qui mène à la Cour Avril, et l’autre dans la maison de Marceau Carbonneaux[1].
Recto de la fiche de monsieur Gilbert Lebrun, né à Rethel (Ardennes), enfant pendant l’exode de mai 1940 (collection privée, avec l’aimable autorisation de son propriétaire).Verso de la fiche de monsieur Gilbert Lebrun, né à Rethel (Ardennes), enfant pendant l’exode de mai 1940 (collection privée, avec l’aimable autorisation de son propriétaire).Cette fiche d’identité destinée aux enfants a été utilisée pendant l’exode de mai 1940 (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Gilbert Lebrun).
Le 10 mai 1940, l’ordre d’évacuer les Ardennes est donné. Le lendemain, tous les habitants de La Romagne quittent le village le cœur gros, la mort dans l’âme de devoir abandonner leurs bêtes. Par exception, quelques-uns restent : monsieur et madame Ledouble, leur fils Jules et madame Pagnié, qui est assez âgée[1].
Alors que, de longue date, un plan d’enlèvement du bétail a été prévu par les autorités et pour chaque canton[2], il ne peut être appliqué en raison de la rapidité de l’avance des troupes allemandes. Les cultivateurs, bouleversés, doivent laisser leurs bêtes dans les prés.
[1] Témoignage écrit de monsieur Pierre Malherbe †.
[2]Archives départementales des Ardennes, 1M 119 [série M = administration générale et économie depuis 1800, sous-série 1M = administration générale (fonds du cabinet du préfet)].
Après avoir bien inutilement fermé leurs maisons, les habitants partent en exode, les uns en automobile, les autres dans des charrettes tirées par les chevaux qui n’ont pas été réquisitionnés par l’armée. Dès le 2 septembre 1939, les principaux cultivateurs voient partir la plupart de ces animaux de trait. En 1941, il n’en reste plus que vingt-sept sur la petite soixantaine que comptait La Romagne juste avant les réquisitions. Les derniers Romanais partent à vélo ou à pied.
Château de Châtenay à La Chataigneraie (Vendée), photographie en couleurs, collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Gréau, président du CHEL (Cercle d’histoire et d’études locales).
L’ordre d’évacuation totale des Ardennes jette sur les routes tous les Ardennais ou presque dans un désordre indescriptible : aucun des plans arrêtés ne peut être mis à exécution, en raison de l’urgence. LesRomanais se replient vers les départements des Deux-Sèvres et de la Vendée. C’est ainsi que la famille Cugnart se retrouve au château de Châtenay à La Chataigneraie (Vendée)[1].
[1]Archives départementales des Ardennes, 1M 127 [série M = administration générale et économie depuis 1800, sous-série 1M = administration générale (fonds du cabinet du préfet)].
André Druart (personnage le plus à gauche) à Borcq-sur-Airvault (Deux-Sèvres), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †).
Eugène François Lesein rejoint Rosnay (Indre) en passant par Mareuil-sur-Lay-Dissais (Vendée). Numa Edmond Lesein atteint Saint-Sulpice-en-Pareds (Vendée), tandis que la famille Druart est à Borcq-sur-Airvault (Deux-Sèvres). Dans cette commune, après des moments difficiles à vivre, une rencontre se concrétisera par un mariage.
Quelques habitants de La Romagne (Ardennes) réfugiés dans une école privée à Gourdon (Lot) en juillet 1940, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †). Sous toutes réserves, les personnes identifiées de gauche à droite et de bas en haut seraient les suivantes : au premier rang, Rosa Malherbe née Bompart (n°2), Euphrasie Bompart née Marandel (n°3), Marcel Malherbe (n°4), Lucie Malherbe (n°5), René Malherbe (n°6), Maurice Malherbe (n°7) ; au deuxième rang : André Legros (n°2), Lucie Legros née Malherbe (n°4), Madeleine Legros (n°6), Alfred Marandel (n°7), Pierre Malherbe (n°9), Pierre Marandel (n°10), René Didier(n°11), Lucie Laroche (n°12), Madame Didier (n°13).
D’autres habitants trouvent refuge dans des lieux divers, non envisagés au départ. Certains font une étape à Coulanges-sur-Yonne (Bourgogne), avant d’atteindre Gourdon (Lot), où ils retrouvent les familles Malherbe, Legros, Didier, Marandel, etc. Les familles Devie et Bonhomme sont logées près d’Issoudun (Indre), au moulin de la Bonde.
Le préfet des Ardennes, qui se trouve à Sainte-Hermine (Vendée), constate dans un de ses courriers que les conditions dans lesquelles s’est produite l’évacuation n’ont pas toujours permis de diriger la population repliée dans les communes initialement assignées[1]. La Romagne en est l’illustration parfaite.
[1]Archives départementales des Ardennes, 1M 123 [série M = administration générale et économie depuis 1800, sous-série 1M = administration générale (fonds du cabinet du préfet)].
Portrait de Joseph Dominique Albertini en uniforme militaire, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Marie-Hélène Beltrami).
Quoique l’armistice soit signé le 17 juin 1940, de nombreux Romanais faits prisonniers ne rentrent qu’au bout de plusieurs années : c’est le cas par exemple d’Achille Cotte[1] ou de Dominique Albertini. Pour la plupart, ces soldats ne sont libérés qu’en 1945.
[1]Archives départementales des Ardennes, 1145 W 10 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Recto de la carte de combattant de Dominique Albertini, domicillié à la Romagne (Ardennes).Verso de la carte de combattant de Dominique Albertini, domicillié à la Romagne (Ardennes).Carte du combattant de Dominique Joseph Albertini, domicilié à La Romagne (Ardennes), collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Marie-Hélène Beltrami.
Le retour se fait très difficilement, et de manière échelonnée : dès le 1er juillet 1940, une zone interdite située au nord de l’Aisne est établie dans le département, et englobe le village. Pour rentrer, des laissez-passer sont nécessaires. Ils sont accordés selon le bon vouloir des autorités allemandes, qui multiplient les tracasseries administratives.
Les agriculteurs se demandent ce que sont devenues leurs cultures et leurs bêtes en leur absence. Seuls quelques-uns d’entre eux (comme André Didier ou Adolphe Macquin) peuvent rentrer à cette date.
L’absence de la majorité des exploitants permet aux Allemands de s’emparer aussitôt de terres : Alcide Cugnart, Alexis Boudaud et Alfred Devie (mais ce ne sont pas les seuls[1]) se voient confisquer respectivement vingt-quatre, trente-cinq et quarante-deux hectares. En outre, l’occupant leur prend leur matériel (faucheuse, moissonneuse, brabants, tombereaux, herses et râteaux), sous le prétexte fallacieux d’abandon.
[1]Archives départementales des Ardennes, 11R 89 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 11R = services temporaires de la période de guerre 1939-1945].
Le retour définitif du plus grand nombre s’étale sur presque toute l’année 1941, avec un pic en mai. Et ce n’est qu’en novembre que s’effectue le retour du dernier, Aristide Carbonneaux-Fétrot.
Cotte, Achille (de retour d’un camp de prisonniers de guerre)
1er mai 1941
Bocquet-Huet, Ernest
1er juillet 1941
Marquigny, Joseph
3 juillet 1941
Devie, Paul (de retour d’un camp de prisonniers de guerre)
1er août 1941
Devie, Alfred
11 août 1941
Boudaud, Jean-Baptiste
24 septembre 1941
Chrétien, Gustave Henry
Non précisée
Marandel, Ernest
Non précisée
Cugnart, Alcide
1er novembre 1941
Legros, Auguste
9 novembre 1941
Carbonneaux-Fétrot, Aristide
Quelques exemples du retour des cultivateurs à La Romagne (Ardennes) après l’exode de mai 1940.
Le colonel Rudolf Reichert, commandant du régiment d’infanterie n° 67, se reconnaît à son monocle.Parmi les noms cités, le lieutenant-colonel [Oberstlieutenant]Jungblut (avec les lunettes de soleil sur la photographie), est mort à Chaumont-Porcien (Ardennes) le 18 juin 1940.Le corps d’officiers allemands du régiment d’infanterie n° 67 [Infanterie-Regiment n° 67], affecté à Chaumont-Porcien (Ardennes), a été fondé le 15 octobre 1935. Il est dirigé par le colonel [Oberst] Rudolf Reichert, commandant du régiment [Regimentskommandeur] du 1erfévrier 1940 au 1er février 1942, Musée Guerre et paix en Ardennes (Novion-Porcien, Ardennes), collection [Sammlung] Alfred et Roland Umhey, photographie ancienne en noir et blanc sans numéro d’inventaire.
Les Romanais dont le retour a lieu le plus tôt, c’est-à-dire en juillet 1940, retrouvent d’emblée La Romagne occupée par des troupes allemandes, dont une partie s’est installée dans l’école[1], et qui ne quitteront le village qu’en juin 1941.
[1]Archives départementales des Ardennes, 1 W 5 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
En revanche, ceux qui reviennent après janvier 1941 ont la fâcheuse surprise de découvrir qu’ils ne peuvent réintégrer leur exploitation qu’à condition de travailler comme salariés agricoles de l’Ostland[1].
Cette situation entraîne des frictions et des plaintes auprès du procureur de La République, notamment lorsque certains des derniers rentrés découvrent chez leurs voisins du matériel ou du bétail qui leur appartenait autrefois, et qui aurait été « confié » par les Allemands.
[1]Ostdeutsche Landbewirtschaftung-gesellschaft ou Société agricole d’Allemagne orientale, créée par le ministre de l’Alimentation et de l’agriculture du Reich allemand.
Emprise de la WOL (Wirtschaftsoberleitung) à La Romagne, Archives départementales des Ardennes, 12 R 144, [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 12R = archives des services allemands pendant la guerre de 1939-1945].
L’Ostland applique dans les Ardennes un programme de confiscation de terres, comme cela a été fait peu de temps auparavant en Pologne. Cette société est représentée par la WOL[1], à la tête de laquelle se trouve le directeur départemental, établi à Charleville. Un Kreislandwirt[2] est nommé par arrondissement. Un Bezirkslandwirt[3] contrôle chaque canton. Un Betriebsleiter[4] réside dans la commune qu’il supervise, ou vit à proximité immédiate.
[1]Wirtschaftsoberleitung (service de mise en culture).
Ce dernier est un civil allemand qui applique une nouvelle politique agricole : l’occupant trouve que la culture ardennaise comporte trop de prés et de bois. Les paysans, désormais sous la férule germanique, doivent travailler en commun toutes les terres pour les emblaver[1] le plus possible, sans tenir compte des possessions de chacun[2]. En témoigne l’enlèvement des bornes marquant les limites des propriétés (Il faudra les remettre en place une fois la guerre terminée).
[2]Archives départementales des Ardennes, 1 W 35 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Cette prise de terres concerne quelque deux cent un hectares, rien que pour La Romagne (dont cinquante de cultures et cent cinquante et un de pâtures). Pour lui donner un aspect de légalité, les Allemands la notifient au préfet, qui doit à son tour en informer le propriétaire et le maire du village.
Ensuite, ce sont les bâtiments pour abriter les récoltes qui sont réquisitionnés (la grange de La Romagne n’est rendue à son usage premier que le samedi 31 mars 1945). Des maisons sont saisies pour servir de logement à des ouvriers travaillant pour le compte de la WOL de Draize (c’est le cas de bâtiments appartenant à Joseph Marquigny[1]).
[1]Archives départementales des Ardennes, 11R 409 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 11R = services temporaires de la période de guerre 1939-1945].
Au moment de l’invasion allemande, la Romagne compte trente-deux exploitations, dont vingt ont moins de vingt hectares. Parmi les douze restantes, seules deux ont une superficie comprise entre cinquante et cent ha[1].
[1]Archives départementales des Ardennes, 56 W 37 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
La reprise est difficile pour la campagne 1940/1941, car peu de sols peuvent être ensemencés (environ vingt-deux ha), et ce n’est qu’en 1942 que les terres sont à nouveau cultivées. Les exploitants se heurtent alors à de nouvelles obligations, puisqu’ils sont contraints de déclarer leurs récoltes et de les livrer à des organismes stockeurs. S’ils n’ont pas le matériel nécessaire, ils doivent faire appel obligatoirement à l’entrepreneur de battage désigné par l’occupant.
Aussitôt les habitants partis, des vols de bétail se produisent, des troupeaux d’armée sont formés. Le bétail errant devient propriété de la WOL, qui le confie à certains agriculteurs du village. Ce n’est qu’après bien des palabres, des démarches et des menaces que deux cultivateurs (Messieurs Cugnart et Lesein) parviennent à récupérer chacun… une bête[1].
[1]Archives départementales des Ardennes, 1050 W 57 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Cette situation contraste fortement avec ce qui se passe du côté allemand, selon un Romanais qui a connu cette période :
« Une quarantaine de vaches confisquées par la WOL se trouvaient à la ferme de la Bouloi et étaient traites par des femmes d’origine polonaise. »
Témoignage oral de monsieur Louis Devie (Logny-lès-Chaumont), dont les parents étaient les propriétaires de cette ferme.
Lorsque la vie agricole reprend à La Romagne en 1941, il ne reste plus que cent un bovins. Les quelques attributions de bétail qui sont accordées sont fort modestes : à plusieurs reprises, une commission cantonale ne concède qu’une ou deux bêtes. Malgré toutes les difficultés endurées, il y en aura deux cent douze à la fin de l’année 1943.
À la suite de la disparition de la WOL, les attributions de bétail sont alors plus importantes. Il ne faut cependant pas croire que le cultivateur dispose comme il l’entend de sa production laitière. Il doit se conformer en cela (et comme pour le reste) aux décisions allemandes.
La Romagne doit fournir trente kilos de beurre par semaine, et la commune de Givron est contrainte d’en procurer cinq. Le responsable de la Kommandantur de la Romagne exige du maire de Montmeillant que tout le beurre fabriqué dans sa commune lui soit livré, sinon il sera arrêté une nouvelle fois.
La production ne peut aller qu’aux Allemands, qui achètent ce beurre 28 francs le kilo. Ces quantités de beurre représentent mille quatre cents à mille cinq cents litres[1] de lait. Pour se rendre compte de l’exigence, il faut savoir qu’une vache laitière en produit environ mille quatre cent soixante litres par an.
[1]Archives départementales des Ardennes, 1 W 35 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Comme les troupeaux n’ont plus rien à voir avec ceux d’avant-guerre, les laiteries ne peuvent pas s’approvisionner normalement. Ces contraintes provoquent en particulier les doléances des établissements Hutin Frères[1], qui font le ramassage dans tout le secteur depuis longtemps, et qui sont désormais obligés de « faire un long trajet sans obtenir un seul litre de lait, en raison des contraintes de la Kommandantur ».
[1] Laiterie de La Neuville-lès-Wasigny (Ardennes).
D’autre part, les habitants font face à des difficultés de ravitaillement, tant alimentaire que vestimentaire. Les tickets de rationnement font leur apparition et parfois la chasse nocturne aux grenouilles menée par des jeunes gens du village améliore l’ordinaire des quelques habitants qui en bénéficient[1]. Les occupants manifestant un profond dégoût pour ces animaux, ils ne risquent pas de les confisquer à leur profit !
[1] Témoignage écrit de monsieur Pierre Malherbe †.
Adaptation au gazogène du camion de la cidrerie Malherbe à La Romagne (Ardennes), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †).
Pour ce qui est des vêtements, le canton de Chaumont dispose pour l’ensemble des communes qui en font partie d’un certain nombre de points, qui doivent être répartis en fonction du nombre d’habitants de chaque village. Un cahier des attributions est tenu.
C’est ainsi que l’on sait qu’il faut douze points pour acquérir un blouson, et vingt-cinq pour un pantalon de travail. Quant au carburant, il est parcimonieusement attribué, obligeant chacun à modérer son utilisation des moyens de transport.
Rares sont les habitants (pour ne pas dire aucun), qui retrouvent leur maison intacte. La cidrerie, installée dans le village depuis les années vingt, est pillée : l’armée de l’occupant se serait livrée à diverses rapines, dont celui de vins et spiritueux[1].
Ce ne sont certainement pas les seuls responsables : entre le 11 mai (jour du départ des habitants) et la prise du village par les Allemands le 14 mai, des troupes françaises et des réfugiés belges ont traversé la commune et y ont aussi probablement participé.
[1]Archives départementales des Ardennes, 13R 1661 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 13R = dommages de guerre 1939-1945].
Périodiquement, le maire reçoit de la part des autorités allemandes des demandes de cantonnement. Il essaie d’y répondre le plus possible par la négative, arguant de l’état du village, avec ses maisons inhabitables et le pillage déjà subi[1].
[1]Archives départementales des Ardennes, 1 W 35 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Les habitants entendent passer régulièrement des bombardiers allemands qui se dirigent vers l’Angleterre.
« Parfois, les avions ennemis perdent en cours de route des réservoirs, ce qui est attesté par ceux retrouvés aux Houis ou dans le bois d’Angeniville. D’autre part, les Allemands ont installé des radars à Doumely, mais aussi entre Marlemont et Signy-l’Abbaye, et un mirador sur la route des Fondys. »
Témoignage oral de monsieur René Lelong †.
Fernand Mennessier récupérant des débris d’avion du côté de Fraillicourt (Ardennes), photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Michel Mauroy).
Puis c’est le tour de bombardiers anglais, partant ou revenant de leur mission sur le territoire allemand. Comme ceux-ci, pourchassés par l’aviation ennemie, s’écrasent parfois dans des communes voisines (comme à Novion-Porcien, Fraillicourt ou Rocquigny), ce spectacle ajoute à l’horreur vécue par les populations.
Quartier résidentiel, avec une coccinelle (Volkswagen) garée dans la rue.Camp de travailleurs des usines Volkswagen.Les usines Volkswagen fournissaient aux travailleurs français des cartes postales pour leur permettre de correspondre avec leurs familles (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †).
La présence allemande est encore plus pesante lorsque la loi sur le STO[1] est promulguée. Elle concerne des jeunes gens de la commune ou y ayant des attaches, nés entre 1919 et 1923. Une vingtaine d’hommes sont concernés pour ces quatre années, dont Raymond Mauroy, Pierre Malherbe et Robert Laroche.
Couverture de la brochure, non paginée, sans mention d’édition, Travailler en Allemagne, c’est gagner sa vie dans de bonnes conditions, Archives départementales des Ardennes, 1 W 151-3 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
A partir de 1942, l’Allemagne a besoin de travailleurs, car nombre de ses ouvriers ont été mobilisés sur le front russe. Le recrutement d’ouvriers français volontaires est fondé sur la relève, instaurée dès le mois de juin. Un prisonnier est libéré contre trois ouvriers s’engageant à travailler en Allemagne.
Très rapidement, la donne change et c’est une libération accordée pour sept travailleurs qui s’engagent. Une importante propagande vantant les conditions de travail, de salaire, etc. accompagne la politique de collaboration du régime de Vichy.
Au-delà des avantages sociaux, l’Allemagne nazie vante aux travailleurs français les loisirs mis en place dans ses usines.
La relève, prévue par le gouvernement de Vichy en 1942 pour servir les besoins de l’armée, est remplacée en février 1943 par le Service du Travail obligatoire.L’ouvrier français est invité à s’adresser à une Kommandantur, structure de commandement de l’armée allemande.Les visuels et les slogans jouent sur l’apport supposé du savoir-faire français à l’Allemagne.Ces affiches de propagande françaises ciblent les ouvriers.
En réalité, peu d’hommes se laissent ainsi séduire. C’est pourquoi l’Etat français fait parvenir des notes d’orientation hebdomadaire aux préfets pour rappeler que l’effort de propagande pour la relève ne doit pas se ralentir. L’argument est qu’en partant les ouvriers serviraient la cause de la France[1], ou que les prisonniers seraient d’autant plus nombreux à rentrer que le rythme de départ d’ouvriers serait plus important[2].
[1]Archives départementales des Ardennes, 1 W 150, note d’orientation hebdomadaire n° 12 en date du 16 octobre 1942 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
[2]Archives départementales des Ardennes, 1 W 150, note d’orientation hebdomadaire n° 15 en date du 6 novembre 1942 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
La pression des autorités sous l’Occupation se fait sentir de plus en plus : en 1942, elle exige l’envoi de trois cent cinquante manœuvres non spécialisés. En 1943, il y a environ deux mille départs pour tout le département, qui compte deux cent vingt-six mille habitants[1].
[1]Archives départementales des Ardennes, 1 W 150 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Chaque travailleur se rendant en Allemagne doit être en possession d’un passeport valable. Cette demande est souscrite avec la plus grande sincérité et exactitude dès son arrivée.
Dans une lettre de la préfecture de police de Paris au préfet des Ardennes à Mézières en date du 2 février 1943, on apprend que Raymond Mauroy se trouve en Allemagne depuis le 30 novembre 1942 et qu’il a fait une demande de passeport le 17 janvier 1943 lors de son arrivée[1] à Solingen (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Il sera de même pour Pierre Malherbe et Robert Laroche.
[1]Archives départementales des Ardennes, 112 W 11 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
En vertu d’un arrêté ministériel du 25 novembre 1942 et d’un arrêté préfectoral du 10 décembre 1942, chaque commune est obligée d’effectuer un recensement général des travailleurs disponibles : ce dernier concerne tous les hommes de dix-huit à cinquante ans. Ils sont ensuite répartis en différentes catégories (âge, situation familiale, etc.).
Il apparaît qu’un certain nombre de villages ardennais ne sont pas pressés de répondre à cette demande : c’est le cas de La Romagne, Givron, Rocquigny, Sery, Le Fréty, etc. Ils sont rappelés à l’ordre.
A partir de cette époque, ce recrutement a un caractère quasi obligatoire, et les réfractaires sont poursuivis beaucoup plus activement. Cette recherche, opérée par la gendarmerie, n’est pas sans créer des tensions entre la maréchaussée et la population. Elle entraîne aussi des scrupules chez les gendarmes, si bien que quelques-uns d’entre eux ne manifestent pas pour ce genre de mission une ardeur à toute épreuve.
Ils laissent parfois échapper une information sur la date et le but de leur tournée : les concernés peuvent ainsi trouver refuge dans l’environnement forestier du village. Pour se soustraire à ce recrutement, André Barré rejoint le maquis de Signy-l’Abbaye et le groupe de Draize, sous la direction de Fernand Miser.
Cet insigne des troupes de forteresse (secteur fortifié des Ardennes) est un symbole de résistance.
Carte de travail et certificat de libération[Arbeitskarte – Befreiungsschein], travail auxiliaire [Hilfsarbeit] dans l’usine de Volkswagen [Volkswagenwerk], ville de la Coccinelle [Stadt des KdF.-Wagens], arrondissement de Gifhorn [Krs. Gifhorn], collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †.
Dans des rapports en provenance de la brigade de Chaumont-Porcien datant de mars et juin 1943, le brigadier évoque que le regard de la population change à leur égard, dans la mesure où la gendarmerie est intervenue non seulement lors de réquisitions pour l’Allemagne, mais aussi en raison du STO.
Dans son compte rendu de septembre, il insiste sur la répugnance éprouvée par les militaires par rapport aux ordres concernant le STO, soulignant qu’ils n’agissent que par contrainte et discipline, ce qui les met en porte-à faux vis-à-vis de la population.
Dans un autre document, il souligne que, de mars 1943 à mai 1944, quatre-vingt-huit recherches de réfractaires au STO sont restées infructueuses dans le canton. Par là, il laisse flotter l’idée que, sans rien dire, les gendarmes n’auraient pas apporté tout le zèle requis, afin d’être en accord avec leur conscience[1] .
[1]Service historique de la Défense, département de la Gendarmerie, site de Vincennes, 8E 226, registre de correspondance confidentielle au départ (R/4) du 16 septembre 1942 au 14 décembre 1946 [série E = compagnies puis groupements de gendarmerie départementale, sous-série 8E = compagnie de gendarmerie départementale des Ardennes (1917-1946), article 8E 226 = brigade territoriale de Chaumont-Porcien, 1942-1946].
Vadon, Jacques, Secteurs et maquis de la Résistance ardennaise, Archives départementales des Ardennes, 1 Fi 132 [série Fi = documents figurés, cartes, plans, gravures, cartes postales, photographies, dessins, sous-série 1Fi = documents de dimensions 24 * 30 cm et au-dessus].
Le maquis de Signy-l’Abbaye se livre à des actions ciblées vers les moyens de communications pour déstabiliser l’ennemi. En réaction, ce dernier fait surveiller les chemins de fer, en particulier ceux de la ligne Hirson – Charleville, mais en vain : les partisans continuent leurs opérations. De ce fait, des restrictions de la liberté de circuler pour les habitants du secteur sont appliquées. Le couvre-feu est ramené à 20 heures au lieu de 22 heures.
Médaille du cinquantenaire de la Libération 1944-1994 (avers).Médaille du cinquantenaire de la Libération 1944-1994 (revers).La devise rend hommage à la pugnacité et à la ténacité des résistants ardennais.
La Résistance fournit également son aide lors de parachutages (un terrain est créé à Chaumont-Porcien) ou assiste des clandestins qui souhaitent rejoindre les maquisards[1]. De juin à août 1944, son action s’intensifie, tandis que des destructions de matériel ont lieu contre des biens utilisés au profit des Allemands, comme à Saint-Jean-aux-Bois ou à Wasigny[2]. Les voies ferrées sont sabotées afin de retarder l’armée allemande dans son action.
[1]Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, FOL-D1 MON-36, Giuliano, Gérard ; Lambert, Jacques, Les Ardennais dans la tourmente : l’Occupation et la Libération, Charleville-Mézières : Terres ardennaises, 1994, 453 p., page 159 [Contient un choix de documents et de témoignages.]
[2]Archives départementales des Ardennes, 1050 W 116 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Dès le début de l’année, après avoir étudié le plan vert[1], André Point dit « commandant Fournier » [2] propose des déraillements sur certaines lignes, ce qui en rendrait l’exécution beaucoup plus facile.
Les coupures prévues sur la ligne de Liart – Amagne auraient lieu entre Montmeillant et Draize – La Romagne puis entre Novion-Porcien et Amagne[3]. Ces suggestions sont acceptées malgré l’arrestation d’un responsable de la SNCF et d’une équipe plan vert[4].
Elles permettent de répondre aux instructions données par la Résistance de se préparer à une insurrection nationale, en perturbant les transports et en lançant des actions contre les troupes de l’Occupation.
[1] Qui a pour but de neutraliser les voies ferrées.
[2] Chef de la Résistance ardennaise, membre de l’OCM (Organisation civile et militaire).
[3]Archives départementales des Ardennes, 1393 W 9 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
[4]Archives départementales des Ardennes, 1293 W 17 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Croquis de l’engin explosif trouvé près de la gare de Draize – La Romagne (Ardennes), Archives départementales des Ardennes, 1050 W 144 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Le 10 juin vers 18 heures, une explosion se produit à deux kilomètres de la gare de Draize – La Romagne, à un endroit où la voie longe la forêt de Signy-l’Abbaye, alors que le train circule au ralenti. Le rail intérieur est déchiqueté et arraché sur une longueur de trois mètres environ, en même temps qu’une traverse. Aussitôt, une patrouille allemande de la Feldgendarmerie[1] fouille les alentours sans rien découvrir, sauf un débris dans le ballast qui semble provenir d’un petit engin explosif.
Après une immobilisation de quelques heures, le convoi repart vers 21 heures[1]. Le lendemain, c’est une locomotive et cinq wagons qui sont détruits, nécessitant une vingtaine d’heures pour le déblai et les réparations. Le même jour, une autre locomotive et quatre wagons d’un train de matériel déraillent.
[1]Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Le 19 juin vers 23 heures, un train de troupes déraille, obstruant les voies pour une dizaine d’heures. Quelques jours plus tard, c’est un nouveau train de marchandises qui déraille près de Montmeillant. Après le départ des soldats ennemis, un avion allemand aurait mitraillé la gare de Draize – La Romagne[1].
Dans la nuit du 21 au 22 juillet, le réseau télégraphique et téléphonique permettant les communications entre les gares de Wasigny et Draize – La Romagne est mis hors service : cinq poteaux ont été abattus[1].
Trois jours après, à la nuit tombée, une explosion en gare de Draize – La Romagne détruit la station d’alimentation en eau, la machine fixe est hors d’usage.
[1]Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Télégramme du 28 août 1944 par le chef de gare de Wasigny, Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Le 28 août vers 20h30 (selon le rapport de la gendarmerie) trois explosions ont lieu à proximité, endommageant un appareil d’aiguillage, provoquant ainsi une interruption de trafic de 24 heures qui fait suite à une action permettant de couper la voie 1 en gare de Draize – La Romagne.
Télégramme du 29 août 1944 par le chef de gare de Wasigny, Archives départementales des Ardennes, 1050 W 114 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
André Barré (jeune homme portant des lunettes) et ses compagnons de la Résistance, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de madame Angélique Barré).
Ces diverses actions sont menées par le réseau de résistance de Liart – Signy-l’Abbaye et la section de Draize, mouvements ralliés à différents moments par des jeunes gens de la Romagne[1] : André Barré (homologué FFC[2] et FFI[3])[4], Robert Carbonneaux (homologué FFI)[5], Raymond Ravignon et Raymond Didier en août 1944.
[1]Archives départementales des Ardennes, 1293 W 58 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
[4]Service historique de la Défense, site de Vincennes, GR 16P 34597 [série GR = guerre et armée de Terre, sous-série GR P = Deuxième Guerre mondiale (1940-1946), inventaires GR 16 P = dossiers individuels de résistants].
[5]Service historique de la Défense, site de Vincennes, GR 16P 105945 [série GR = guerre et armée de Terre, sous-série GR P = Deuxième Guerre mondiale (1940-1946), inventaires GR 16 P = dossiers individuels de résistants].
Colonne de chars américains le 31 août 1944 sur le chemin de Renneville, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Gilbert Lebrun).
Fin août, les Américains sont à Liart. Au cours des diverses opérations qui ont lieu lors de la libération du territoire, des soldats allemands sont pris et faits prisonniers à leur tour. C’est un retournement de situation, puisque des habitants du village ont eux-mêmes été capturés lors de la débâcle et libérés, selon leur statut, entre mars 1941 et mai 1945[1].
[1] Cette dernière date s’applique en général aux militaires de carrière.
Portrait photographique en noir et blanc de Karl Kleiser, prisonnier allemand à La Romagne (Ardennes).Karl Kleiser, prisonnier allemand à La Romagne (Ardennes), évoque sa « captivité heureuse ».Karl Kleiser, prisonnier allemand ayant travaillé comme cidrier à La Romagne (Ardennes) pendant la Seconde Guerre mondiale, photographie ancienne en noir et blanc (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Pierre Malherbe †).
Quelques–uns de ces prisonniers vivent à La Romagne, soit chez des cultivateurs, soit à la cidrerie où travaillent un ancien pilote de la Luftwaffe et Karl Kleiser (n° de prisonnier 452157).
Fiche de Karl Kleiser, prisonnier à La Romagne, Archives départementales des Ardennes, 44 W 13 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
Ce dernier, né le 12 novembre 1926 à Vohrenbach (Land du Bade-Wurtemberg), reçoit son certificat de libération le 5 août 1947 et devient un travailleur libre[1].
Il reste ensuite quelque temps à La Romagne, avant de regagner son pays. Il garde contact avec les personnes chez lesquelles il a été placé, préfigurant la réconciliation franco-allemande qui voit le jour dans les années soixante.
[1]Archives départementales des Ardennes, 44 W 13 [série W = archives publiques entrées par voie ordinaire (hors état civil, officiers publics et ministériels). Nota bene : les fonds contemporains reçoivent, au moment de leur versement, un numéro d’ordre suivi de la lettre W].
La Romagne n’en a pas fini avec la guerre et, même si celle-ci n’est plus sur son territoire, elle est présente avec le départ pour l’Indochine ou l’Algérie de quelques Romanais[1].
[1] Cette partie de l’histoire du village ne peut pas être abordée dans l’état actuel des recherches, en raison de la loi du 15 juillet 2008 sur la publication des archives.
Le facteur rural de La Romagne, carte postale ancienne (collection privée, avec l'aimable autorisation de monsieur René Malherbe).
Le roi Louis XI est le créateur de la poste du roi par relais (journée du timbre 1945).
Le service de la poste est un service très ancien, dont la création remonte à 1477 sous le règne de Louis XI. Cet établissement a un double but : l’acheminement des dépêches et des voyageurs. Il perdure jusqu’après la Révolution. Le bureau de poste desservant alors La Romagne et les villages environnants est, soit celui de Wasigny (comme l’indique le curé dans l’enquête paroissiale de 1774), soit celui de Rethel. Ce dernier est l’un des sept existant pour le secteur ardennais depuis 1700. Ensuite, et selon l’importance de la paroisse, le courrier est distribué une ou deux fois par semaine
Le blason communal de Wasigny (Ardennes) se décrit comme écartelé aux un et quatre d’argent au loup courant de sable, aux deux et trois d’azur à la gerbe de blé d’or.
Un facteur rural en 1830, journée du timbre, émission premier jour du 18 mars 1968 à Charleville-Mézières.
A partir de la Révolution, la marque de l’origine du département figure sur la lettre et ce sera le chiffre 7 qui l’identifiera jusqu’en 1875, date à laquelle il est remplacé par le nom du département. D’autre part, le bureau d’où part le courrier est distingué par un autre numéro. A partir de 1835, le bureau de Chaumont-Porcien est créé et porte le n° 825. En 1866, celui de Rocquigny ouvre. Ce sont ces deux- là qui successivement ont desservi La Romagne.
Le développement de l’instruction primaire et la suppression de la taxe des lettres, établie d’après la distance au profit d’une taxe fixe et uniforme, vont petit à petit accroître le volume du courrier. Lors de leurs tournées, les facteurs ruraux se doivent d’avoir sur eux en permanence des timbres, afin que tous puissent s’en procurer facilement.
Ces agents postaux ou « piétons » existent depuis la Révolution : le citoyen Jean-Baptiste Canon assure ce service pour La Romagne. Jusqu’à l’installation des boîtes aux lettres, c’est à eux que l’on confie le courrier à expédier. Leur tâche est pénible, puisqu’il leur faut parcourir chaque jour de longs trajets, et ce quel que soit le temps. Il n’en est pour preuve que le fait divers suivant : le 25 mai 1846, vers 10 heures du matin, Gérard Peltier âgé de 37 ans fait sa tournée dans le village. Il se présente au domicile d’Hubert Laroche, où il décède brutalement. Est-il victime d’une très grande fatigue, de chaleur précoce ou d’un malaise ? Rien ne permet d’avancer une explication.
Le facteur rural dans la grand-rue de La Romagne (Ardennes), carte postale ancienne (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur René Malherbe).
Jusqu’en 1897, les facteurs ruraux sont rémunérés proportionnellement à l’étendue du parcours effectué, qui peut aller jusqu’à 32 km. Mais ce cas est assez peu répandu. Au cours de leur vie professionnelle, en fonction de leur avancée en âge, et en raison de leur impossibilité de faire d’aussi grands parcours, ils demandent de plus petites tournées, ce qui fait diminuer leurs salaires. C’est pourquoi une expérience menée au sein de cinq départements, dont celui des Ardennes, aboutit à donner aux facteurs un traitement fixe.
Depuis 1853 environ, il existe un système de voitures de nuit qui font la liaison Rethel Rocquigny pour y déposer le courrier. Un peu plus tard, elles font le tour par Chaumont-Porcien, Wasigny et Novion, avant de rejoindre Rethel. Par la suite, cet acheminement se fait par les trains de marchandises, bien que ceux-ci ne fonctionnent pas tous les jours. C’est pourquoi leur circulation journalière est demandée par les édiles du canton.
Bien que l’on connaisse peu de messagers effectuant la tournée du village, on sait cependant qu’en 1866, c’est Jean-François Devie puis, de 1867 à 1875, François-Pierre Mauroy qui s’en charge.
Ancienne boîte aux lettres de La Romagne, située sur le mur de la salle des fêtes, rue des Fondys, photographiée en mars 2017 (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Daniel Sené).
Les bureaux de poste vont se multiplier à partir de 1850 à travers le département. Lorsque les boîtes aux lettres sont installées, une à deux levées sont instaurées chaque jour. Les distributions sont journalières, et ce même le dimanche, comme le confirme une délibération du conseil municipal en juillet 1919.
Or, ces levées et distributions ne donnent pas toujours satisfaction quant à leurs horaires. Diverses propositions et demandes sont faites, sans qu’on ne trouve jamais le bon équilibre.
Boîte aux lettres de La Romagne actuelle, située sur le mur de la salle des fêtes (ancienne école), rue des Fondys, photographiée en avril 2021 (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Daniel Sené).
La boîte aux lettres de La Romagne a visiblement essuyé pendant de nombreuses années les intempéries typiques des Ardennes. Son état est un indice de la dureté du métier de facteur rural.
Dès 1890, des récriminations s’élèvent : en effet, les dépêches arrivent en gare de Draize – La Romagne vers 6 h 30 pour être acheminées au bureau de Chaumont dans la matinée, quoique la distance ne soit que de 6 km. Or, la route est accidentée, les pentes dangereuses pour des voitures à chevaux qui sont, pour la plupart du temps, obligées de circuler au pas.
Les habitants de Chaumont aimeraient bien bénéficier des passages des autres trains à Draize pour avoir un second service de voiture. Ce dernier pourrait également être utile à ceux qui souhaiteraient prendre le train. Ainsi, la voiture ne circulerait jamais à vide et les habitants bénéficieraient d’une possibilité d’une seconde distribution. Cette requête ne semble pas avoir abouti[1] .
Modèle officiel de boîte aux lettres fabriquée pour la poste par la maison Foulon, en service entre les années 1930 et 1950.
Une fois à Chaumont, le courrier pour Rocquigny et ses environs est trié puis acheminé quelque temps après, ce qui a pour conséquence de mal desservir les commerçants, les notaires, et d’occuper les facteurs ruraux au plus fort de la chaleur en été.
La mise en place d’une organisation stable et rationnelle semble difficile pour l’administration des postes, si l’on tient compte qu’en quelque six mois entre 1907 et 1908, le service a dû faire appel à une dizaine de transporteurs différents pour faire la liaison de la gare de Draize à Chaumont.
En 1931, à des fins d’amélioration, la Poste envisage dans la région de Chaumont-Porcien la création d’un circuit automobile rural qui pourrait satisfaire les communes.
[1]Archives départementales des Ardennes, DEP/ARDENNAIS 22, « Chronique locale et régionale », in Le Petit Ardennais : journal politique [« puis » journal républicain] quotidien. 1re année, n° 1 du 31 mars 1880-35e année, n° 11991 du 25 août 1914. Charleville : [s.n.], 1880-1944, onzième année, n° 3484, vendredi 5 septembre 1890, p. 2 [presse locale ancienne, vue 2/4, consultable en ligne].
Le service des postes & télégraphes vend des bulletins de communication à partir des cabines publiques.
En dehors du courrier, un autre moyen de relier les habitants de La Romagne est le téléphone. Le Préfet des Ardennes propose en 1899 un projet d’organisation de réseau départemental. Ceci nécessite la mise en place d’un très important emprunt de 600 000 francs remboursable sur 30 ans. La Romagne pourrait se rattacher à ce projet. Mais elle attendra 1906 pour que cela soit effectif et que ce service assure aussi l’échange des télégrammes.
Emission premier jour représentant le télégraphe Chappe à l’occasion du bicentenaire de cette invention.
Le premier gérant choisi pour ce service est monsieur Varlet en raison de ses qualités de boulanger, épicier, aubergiste. Le local est l’une des pièces de la maison dans laquelle il exerce déjà. Afin que le service fonctionne sans interruption et sans attente, sa femme est désignée comme suppléante.
Madame Mariette Lesein, gérante de la cabine téléphonique de La Romagne, et monsieur Edmond Lesein (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Eric Lesein).
La première guerre mondiale et l’occupation allemande de tous les villages environnants met fin à ce service. Ce n’est qu’en juin 1921 que le bureau de La Romagne, tout comme ceux de Draize et de Givron, est rouvert au public[1].
Parmi les gérants successifs de cette cabine téléphonique, on notera Léon Briard, Gaston Boudsocq, Mariette Lesein née Henri, Adrien Ravignon et madame Van der Beke.
[1]Bibliothèque Carnegie, PER CH Atlas 2, « P. T. T. service téléphonique » [rubrique Ardennes] in Le Courrier de la Champagne : journal de Reims, 20e année, n° 1 (23 janv. 1854)-34e année, n° 4123 (7 mai 1868) ; 34e année (8 mai 1868)-? ; 85e année, n° 1 (30 avr. 1919)-87e année (25 sept. 1921), Reims : [s.n.], 1854-1921, 87e année, dimanche 5 juin 1921, p. 3 [presse locale ancienne, vue 3/4, consultable en ligne].
Enveloppe premier jour du centenaire de l’invention du téléphone par Graham Bell en 1876.
Rares sont les particuliers qui possèdent personnellement une ligne téléphonique jusqu’à l’après-guerre, en dehors des Etablissements Malherbe qui ont été les premiers. En 1954, le téléphone rural automatique est installé à La Romagne. Le développement du fixe et du portable fera disparaître définitivement ces cabines du village.
Dernière cabine téléphonique publique de La Romagne photographiée en 2017 (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur Daniel Sené).
Plan de la gare de Draize – La Romagne (collection privée, avec l'aimable autorisation de monsieur François Gillet).
Route de la gare de Draize – La Romagne (Ardennes), carte postale ancienne.
L’arrivée du rail dans les Ardennes se fait à partir de 1860 pour les grandes lignes et dès 1865/1867 pour des lignes secondaires, ce qui permet à tous de se déplacer jusqu’au chef-lieu d’arrondissement ou du département pour vaquer à leurs affaires. Désormais, ceux qui n’ont pas comme certains particuliers une carriole, un cabriolet, ou même une voiture à quatre roues, vont pouvoir connaître d’autres horizons.
L’intérêt d’une voie locale traversant la Thiérache en partant du nord du département de l’Aisne pour aboutir soit à Amagne soit à Rethel est très vite compris et va donner des débouchés aux productions agricoles et industrielles (filatures, scieries, etc.). Si l’attrait économique est indéniable, l’intérêt militaire a aussi une grande importance et se fait sentir dès la guerre de 1870, même si celle-ci met pour quelque temps un frein à ce développement des communications.
Emprise de la gare de Draize – La Romagne (Ardennes).
Les premières difficultés qui surgissent sont celles du tracé et du lieu d’implantation des gares. Chaque commune défend ses intérêts avec véhémence et âpreté, essayant d’attirer la plus grande attention sur elle, en faisant parfois jouer les « relations parisiennes » de certains habitants (comme ce fut le cas pour Wasigny).
La solution définitive adoptée est le trajet Hirson – Amagne en passant par Liart, Draize, La Romagne, avec une desserte vers Amagne ou Rethel. Cette ligne, qui permet de relier le nord et l’est, compte un peu moins de 61 km ponctués d’un certain nombre d’arrêts aux gares suivantes :
dans le département de l’Aisne : Martigny et Aubenton ;
pour ce qui est des Ardennes : Rumigny, Liart, Montmeillant – Saint-Jean-aux-Bois (= Le Merbion), Draize – La Romagne (au kilomètre 41,253 m), Wasigny, Novion-Porcien, Novy et Amagne.
Plan de Draize – La Romagne (Ardennes) au kilomètre 41,253 m (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur François Gillet).Locomotive faisant le service des trains légers, transformée par la Compagnie des chemins de fer de l’Est.
La ligne est exploitée par la Compagnie des chemins de fer de l’Est et est déclarée d’utilité publique en 1879. A l’origine, lors des discussions de 1880, l’implantation de la gare était prévue à Draize sur la droite du village. Mais c’était sans compter sur la municipalité de La Romagne, qui entendait ne pas négliger ses propres intérêts.
Le conseil municipal s’élève en effet contre ce choix et demande que la gare soit construite « en deçà du village de Draize sur le plein de Croanne pour en faciliter l’accès et permettre un développement ultérieur[1] ». Cette situation facilite le stockage et l’expédition des bois de grume et de sciage. On peut citer l’exemple de la scierie à vapeur de Douai, installée au niveau du quai à bois, et qui acquiert les arbres vendus par les communes de La Romagne ou de Givron. D’autre part, cette implantation aidera l’expédition des produits de la cidrerie Malherbe dans l’entre-deux-guerres. Plus tard, le train assurera le transport du courrier et des colis postaux, remplaçant les voitures qui partaient de Rethel.
Plomb de scellé ouvert à la lecture et aux identifications (Compagnie des chemins de fer de l’Est).
Ce choix est un argument supplémentaire pour obtenir le classement du chemin n° 34 « en chemin de grande communication » puisqu’il permet les liaisons avec Hirson. La commune pourrait ainsi obtenir des subventions sur les fonds départementaux pour son entretien[1]. La Romagne obtient gain de cause et, en 1896, le chemin d’intérêt commun n° 34 est incorporé à la gare de Draize[2]. Cela permet de relier la gare au chemin de grande communication n° 2 de Tournes à Sevigny[3].
[2] « Les Moyens de transport » in Le Curieux vouzinois, Vouziers : mairie, 1982-, n°7, 1984, p. 45 et suivantes.
[3]Archives départementales des Ardennes, EDEPOT/MONTMEILLANT/O 5 [série EDEPOT = archives communales déposées, sous-série MONTMEILLANT/O 5 = chemins vicinaux de Montmeillant], Chemin vicinal de grande communication de Rocquigny à la gare de Draize-la-Romagne : extrait de la carte départementale, rapport, pièce, 1886, signalée en ligne.
Vers la gare de Draize – La Romagne, carte postale ancienne d’Augustin Wilmet, photographe-éditeur à Rethel.
La ligne de chemin de fer entre en service en 1885, après la réalisation d’importants travaux. Ces derniers nécessitent l’emploi d’une main d’œuvre nombreuse et souvent d’origine étrangère, en raison du manque de ressources locales. Ce sont surtout des Italiens que l’on retrouve dans la construction de la partie qui concerne le village. En effet, entre 1883 et 1886, on relève dans les registres d’état civil la confirmation de la présence de ces ouvriers. Les uns sont terrassiers, les autres sont poseurs de rails.
Si la plupart d’entre eux vivent avec leur famille (soit au village soit aux Houïs), d’autres, beaucoup plus jeunes, se sont mariés avec des jeunes filles du village. Leur présence n’est attestée dans les registres de la commune que sur une période de quatre à cinq ans. La plupart d’entre eux ont ensuite quitté le village.
Le tiré au bleu de la gare de Rocquigny montre un type de façade utilisé pour toutes les stations de la ligne Hirson – Amagne.
La construction de la gare de La Romagne est achevée dès 1884 et comprend :
un bâtiment voyageurs précédé d’une cour ;
un pavillon de lieu d’aisances de type A ;
une halle à marchandises de type n° 1 bis : ( = « ouverte avec une cour des marchandises bordée d’un quai découvert derrière lequel se trouve une grue hydraulique qui sert à peser les wagons »).
Cours des marchandises et des voyageurs de la gare de Draize – La Romagne (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur François Gillet).
La voie 1 permet la circulation des trains dans le sens Hirson – Amagne à raison de quatre trains par jour[1] et s’arrête à la gare de Draize – La Romagne.
Départ
Horaires d’été
Draize – La Romagne
Hirson
5 h 37 11 h 20 16 h 48 21 h 35
6 h 40 12 h 26 17 h 53 22 h 37
Amagne
7 h 10 9 h 43 14 h 50 18h 50
7 h 51 10 h 17 15 h 22 19 h 24
La circulation des trains à la gare de Draize – La Romagne.
Chaque convoi comporte trois employés : un chauffeur, un mécanicien et un chef de train. La voie 2 est réservée pour la circulation inverse. Elle est équipée :
d’une fosse « à piquer », c’est-à-dire d’une cavité permettant de recevoir les résidus des machines et de faire le nettoyage du bas de la locomotive ;
d’un abri voyageurs sur le quai.
Les deux voies sont à écartements normaux (soit 1,44 m). D’autres lignes secondaires ouvrent dans les alentours jusqu’à la veille de la guerre de 1914 : certains lieux ont un intérêt stratégique (comme Liart où l’on construit des quais militaires). Avant chaque construction de ligne, il est nécessaire de prendre l’avis de la hiérarchie militaire qui autorise soit des voies normales soit des voies plus étroites (1 m ou 0,75 m), comme c’est le cas pour le tronçon Renneville – Wasigny – Signy. Selon cette instance, ce sont des voies qui seraient plus difficilement transformables et qui ne supporteraient pas de matériel lourd. L’ennemi serait ainsi ralenti.
[1]Archives départementales des Ardennes, DEP/ARDENNAIS 26. « Chemins de fer de l’Est : service d’été 1892 », in Le Petit Ardennais : journal politique [« puis » journal républicain] quotidien. 1re année, n° 1 du 31 mars 1880-35e année, n° 11991 du 25 août 1914. Charleville : [s.n.], 1880-1944, n° 4128, 2 juillet 1892, p. 4 [presse locale ancienne, vue 4/4, consultable en ligne].
Château d’eau sur tour système Monnoyer à Draize – La Romagne (collection privée, avec l’aimable autorisation de monsieur François Gillet).
L’alimentation en eau des machines se fait à partir de la capture d’une source située sur le pré vacher juste à côté du Pas de la vache. Elle remplit tout au moins au début un réservoir de 100m3. Ce dernier se révèle assez rapidement insuffisant, surtout dans le cas où il faudrait acheminer des troupes. C’est pourquoi, à partir de 1905, un réservoir de 200m3 fonctionnant indépendamment est adjoint au premier. Ces réservoirs sont détruits durant la première guerre, si bien qu’à la fin de 1918 et de façon provisoire, deux réservoirs de 30m3 sont installés jusqu’à la reconstruction, à partir de 1920, de deux châteaux d’eau. Il faut aussi réparer les voies dont certaines parties ont été arrachées par les troupes allemandes.
Gare de Draize – La Romagne, carte postale ancienne.
L’après-guerre fait émerger des considérations nouvelles pour le développement et la fréquence des trains. Selon certains, c’est un argument pour faciliter le repeuplement des campagnes : le transport ferroviaire offre un moyen d’évasion aux habitants. Ces derniers peuvent aller en ville pour traiter leurs affaires ou, tout simplement, rompre avec leur quotidien le temps d’une journée.
Le café de la Gare de Draize – La Romagne, carte postale ancienne d’Augustin Wilmet, photographe-éditeur à Rethel.
Ces demandes ne sont pas vraiment entendues, car des transformations de ce réseau secondaire se mettent en place petit à petit. Le trafic des voyageurs sur la ligne Liart – Draize ferme le 10 octobre 1938 mais il est rétabli pour un temps dès la déclaration de guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939.
La ligne subit des dégâts durant la seconde guerre mondiale. Ceux-ci sont réparés mais, comme la gare voit son activité décliner, elle est fermée au trafic voyageurs en 1952. C’est un service de bus qui assure la liaison des villages avec les bourgades proches. Le trafic marchandises se poursuit jusqu’en 1953 pour Liart et Draize et 1979 entre Draize et Amagne[1] (en circulation en voie unique). Cette ligne est déclassée en octobre 1967 pour le tronçon Liart Draize – La Romagne et en novembre 1965 pour le tronçon allant jusque Novion-Porcien.
Le blason communal de Novion-Porcien est d’azur à la croix d’argent fleurdelysée d’or.
[1] Dumont, Pascal ; Geerinck, Olivier, Sur les rails d’Ardennes et de Gaume, Breil-sur-Roya : les Éditions du Cabri, 2004, 175 p., collection « Images ferroviaires ; 14 », p. 75-78.
Maquette du billet de 100 francs créé le 2 janvier 1908 par Luc-Olivier Merson (peintre), Romagnol (gravure), Frédéric Florian (filigrane).
Le samedi 1er août 1914, à 16 heures, la guerre est déclarée. Le lendemain, tous les hommes de La Romagne en âge de l’être sont mobilisés et doivent rejoindre leurs régiments. Pour beaucoup d’entre eux, c’est le 332e régiment d’infanterie de Reims. Certains de ces mobilisés (principalement ceux qui sont cheminots à la Compagnie des chemins de fer de l’Est) se voient confirmés dans leur activité de temps de paix puisqu’ils sont affectés à l’acheminement des troupes et à l’entretien des voies ferrées de la zone des combats. Quant aux mobilisés les plus âgés, ce sont des territoriaux ; ils gardent les ponts, les gares.
Médaille de la Compagnie des chemins de fer de l’Est par Jean Vernon, 41 mm, avers (femme aux seins nus assise sur une locomotive, jetant des grains de la main gauche et tenant une corne d’abondance de la main droite).
L’entrée en guerre se fait au moment des moissons, ce qui inquiète la population du village, essentiellement paysanne. Dans son manifeste, le gouvernement français demande « de faire la moisson et de se mettre à la culture » mais on peut imaginer les difficultés que cela représente avec le bouleversement des cultures, du fait de l’absence d’une grande partie de la main-d’œuvre masculine. Désormais, les travaux agricoles vont être confiés aux femmes ou aux hommes non mobilisables (donc âgés de plus de 48 ans).
Dès le lendemain (2 août), des trains de troupes et de matériel passent en gare de Liart en direction de la frontière. En même temps, les chevaux sont réquisitionnés pour l’armée française, mais lorsque les Allemands envahissent la région rethéloise, ces derniers procèdent à de nouveaux prélèvements parmi les chevaux qui restaient.
Le blason communal de Givet est coupé au premier de gueules au sautoir d’or, au fusil du même brochant en pal, la gâchette à dextre, au deuxième d’azur à trois tours d’or, maçonnées de sable, ajourées du champ, celle du milieu ouverte d’argent, celles des flancs ouvertes du champ, rangées et posées sur une terrasse de sinople.
Très rapidement la Belgique (quoique neutre) est envahie. Des combats sont livrés et c’est aux environs du fort de Charlemont (près de la frontière belge), à Givet ( dans les Ardennes), qu’Henri Alphonse Mauroy est fait prisonnier avant d’être envoyé en captivité à Königsbrück (Saxe) en Allemagne. Il ne sera rapatrié qu’en décembre 1918. Le récit des combats, fait par une population belge qui fuit les troupes allemandes, sème l’affolement parmi les habitants des villages ardennais qui avaient déjà subi l’invasion de 1870. C’est ainsi que le village de Fraillicourt voit arriver une masse de réfugiés dans le courant du mois d’août 1914.
Blason communal de Königsbrück.
L’étude de la cartographie en ce début de guerre renseigne sur la position des troupes françaises et allemandes. On peut noter que, du côté français, le 274e régiment d’infanterie se trouve, à la date du 13 août 1914, entre Novion-Porcien et Faissault, que le 239e est dans le secteur de Signy-l’Abbaye et Poix-Terron. Les troupes allemandes sont à Signy- l’Abbaye le 28 août et vont englober dans les jours suivants tout le secteur qui s’étend de Signy à Novion en passant par La Romagne, Ecly, etc.
Alors que la bataille entre Signy et Rethel est proche, le curé Aubenton de Fraillicourt voit arriver vers 8 heures du soir le doyen de Chaumont et le curé de La Romagne. Quelque temps après, ils décident (comme le calme est un peu rétabli) de rentrer dans leur village respectif. Ce ne sont pas les seuls à avoir été troublés en cette journée puisque, dans le même temps, « La Romagne » s’en va à Wadimont tandis que des personnes de la rue Gibourdelle (Rocquigny) vont coucher à la Hardoye. D’autres, très nombreuses, partent de Chaumont[1].
La population est terrorisée et ne sait quel parti prendre. Dès que cette première effervescence est passée, les uns et les autres regagnent leur village[2] où ils découvrent des réfugiés du Nord ou de l’Aisne. Un couple originaire d’Aguilcourt (Aisne) passe ainsi toute la durée de la guerre à La Romagne. Les registres de l’état civil témoignent de cette présence par l’inscription d’une naissance.
Durant toute la période de la guerre, le curé reste dans sa paroisse et peut apporter du réconfort à ses paroissiens. Il ne connait pas le sort peu enviable qui est celui du curé de Rocquigny[3]. Arrêté en 1915, puis retenu d’abord à Hirson il est envoyé dans un camp de prisonniers en Westphalie[4].
Blason régional de la Westphalie (Allemagne).
[1] Lefebvre, Marie, « Journal d’une jeune fille de Rocquigny pendant la première guerre mondiale », in Terres ardennaises, Charleville-Mézières : Fédération des œuvres laïques, 1982- , n° 64, octobre 1998, p. 6 et suivantes.
[2]Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 25J 6 [série J = documents entrés par voie extraordinaire, sous-série 25J = fonds du grand séminaire de Reims (an XII-1945)].
[3]Archives départementales des Ardennes, 1J 534, Miette-Mermoz, Roland, A travers 3 guerres ou les souvenirs d’un Ardennais [série J = archives d’origine privée (entrées par voie d’achat, don, legs ou dépôt), sous-série 1J = pièces isolées et petits fonds d’origine privée].
[4]Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 25J 6 [série J = documents entrés par voie extraordinaire, sous-série 25J = fonds du grand séminaire de Reims (an XII-1945)].
Le 27 août, les tunnels des environs sautent, tandis que la ville de Rethel est incendiée le 1er septembre 1914. Dès le 30 août 1914, le village est traversé par des troupes allemandes (une compagnie cycliste) qui ne s’arrêtent pas. Ce ne sera pas la seule fois. Le dernier jour du mois, le département tout entier est placé dans la « zone des armées » et, à ce titre, des laissez-passer sont désormais nécessaires pour les déplacements dans toutes les Ardennes. L’isolement va se poursuivre avec l’installation de troupes allemandes dans les villages et leur mainmise sur la vie des habitants.
La ville de Rethel, détruite par un incendie le 1er septembre 1914, est toujours en ruines en 1922.
La Romagne reçoit des ordres allemands de Liart, Signy-l’Abbaye et Rethel, puis est rattaché à la Kommandantur de Chaumont-Porcien (ou Kommandantur d’étapes, comme dans tous les chefs-lieux de canton) qui est installée à partir du 19 octobre1914 dans les locaux de la mairie, avant d’être transférée à Rocquigny[1] à partir de décembre 1915 (ou Kommandantur de rattachement, qui contrôle plusieurs villages).
Les réquisitions commencent et sont de plus en plus fortes. Tout est saisi : chevaux, vaches, moutons, porcs, blé, avoine, œufs, lait et même les groseilles qui doivent être ramassées et apportées[2]. Toutes les cultures doivent être obligatoirement déclarées ainsi que les surfaces cultivées et c’est une véritable occupation agraire qui se met en place avec une politique agricole dictée par l’occupant. Durant toute la guerre, le canton de Chaumont-Porcien est occupé intégralement.
Il faut rappeler que le département des Ardennes est le seul en France à être occupé en totalité par les Allemands. De ce fait, tout ce qui y est produit est razzié, réquisitionné en quantité fixée à l’avance et une administration allemande (Etappen-Inspektion) organise tout au long de ces quatre années la production au profit de l’occupant[3]. Ce dernier ira jusqu’à emmener toutes les vaches laitières restant dans les villages.
Ces réquisitions posent le problème de la nourriture des habitants et de leur ravitaillement car les produits de première nécessité manquent. Le conseil municipal décide de participer à « un syndicat intercommunal » formé entre les communes des Ardennes qui adhèrent aux statuts du « Syndicat ardennais de ravitaillement pour la région de Rethel » et fixe la première année la part contributive à 30 francs par habitant, part qui augmentera régulièrement tout au long des hostilités pour atteindre dans les derniers mois de la guerre le montant de 100 f.
Maquette du billet de 100 francs créé le 2 janvier 1908 par Luc-Olivier Merson (peintre), Romagnol (gravure), Frédéric Florian (filigrane).
[1]La Revue rémo-ardennaise : paraissant le 25 de chaque mois. Reims : [s.n.], 1915-1919, n° 1 (25 août 1915) – n° 40 (25 mars 1919), n° 19, 25 février 1917, p. 302, à propos de Rocquigny : « Le presbytère a été pillé à peu près complètement. Le tribunal et un ‘casino’ y sont établis ». Le périodique donne régulièrement des « nouvelles du clergé en pays envahi ».
[2]Archives de la Marne, centre de Reims, 25J 6 [série J = documents entrés par voie extraordinaire, sous-série 25J = fonds du grand séminaire de Reims (an XII-1945)].
Les Allemands s’installent dans la commune en mars 1915, sans escarmouches ni combats, et sans qu’il n’y ait tout au long de cette occupation des actes de barbarie ou de sauvagerie. Si les troupes ennemies font preuve de suffisance, on ne signale que deux comportements inadmissibles : l’un, d’un officier allemand (pris d’ébriété) qui rudoie et menace un vieillard romanais ; l’autre, consistant en une gifle donnée par un soldat à un gamin.
Néanmoins, les contraintes sont nombreuses pour la population : entre août et octobre 1915, les habitants des lieux isolés du village proprement dit (hameaux du « Bois Diot », de la « Cour Avril » et du « Mont de Vergogne ») sont obligés de quitter leurs maisons et doivent vivre obligatoirement à La Romagne.
Dès leur installation, les Allemands imposent une contribution des habitants aux frais de l’armée allemande. La toute première, de 2500 francs (or, argent et billets de banque), date de novembre 1914 et est exigée par le commandant allemand de Chaumont-Porcien. La municipalité est obligée d’emprunter cette somme pour satisfaire à cette demande.
Avers (ou droit) d’1 Mark Wilhelm II type grand aigle.
Les contributions suivantes (demandées chaque année) sont encore plus exorbitantes. Par exemple, les autorités allemandes réclament à toutes les communes composant le syndicat de Rethel la somme de 2 100 000 marks. La commune (comme toutes les autres qui sont dans le même cas) n’a pas le choix et accepte le projet d’émission de bons intercommunaux pour solder solidairement cette contribution. A la fin de la guerre la commune est exsangue.
1 Mark Wilhelm II type 2 grand aigle (revers).
Il est à noter que l’administration française (civile et militaire) ne fait pas preuve d’une grande perspicacité à l’égard des jeunes gens des classes 1915 et suivantes : étant dans l’impossibilité de répondre à la conscription en raison de l’occupation du village et de son classement en « pays envahi », ils sont déclarés insoumis. Or, ils sont en fait dans l’incapacité de répondre à tout appel. Sans être exhaustif, on peut citer Jules Henri Douce ou Axile Fernand Modeste pour avoir connu cette situation. On peut se demander quel en a été l’impact sur les familles et les intéressés, d’autant que le premier a vu son frère disparaître dans cette guerre. La mention qui figure sur leur fiche matricule est rectifiée pour ces deux-là, assez tardivement (en avril et août 1918), et transformée en « insoumis à tort » puisque « le recensement n’avait pu être fait en temps utile par suite d’un cas de force majeure ».
Les plus anciens mobilisés (comme Pierre Lange, né le 29 août 1867 ; Jules Alcide Lelong né le 16 octobre1869 ; Célestin Marandel, né le 28 octobre 1870) ont été libérés le 2 septembre 1914. Mais ils ont été pris dans les lignes allemandes et sont restés en pays envahi, comme l’attestent des avis de la gendarmerie de Chaumont-Porcien. Deux autres soldats natifs du village (Jean-Baptiste Alfred Devie et Antoine Elie Pagnié) se sont retrouvés prisonniers civils :
le premier à la fin août 1914, à l’issue d’un congé de convalescence ;
le second en octobre de la même année : après avoir tout d’abord été renvoyé dans ses foyers le 18 août, il ne peut répondre à son rappel par l’armée en novembre, en raison de la situation du village occupé.
Dans les Kommandanturen, on recense les hommes qui n’ont pas été mobilisés et on les convoque en groupe ou individuellement à se présenter à un endroit convenu pour que les autorités allemandes constatent leur présence. Ce genre de réunion se déroule au moins deux fois par mois si ce n’est plus. Les Allemands prennent des otages (sur une liste établie par les autorités occupantes) dans les villages du canton de Chaumont et les envoient à Liart où ils restent trois mois. Au bout de ce délai, ils regagnent leurs villages et sont remplacés par d’autres[1]. La docilité de la population est ainsi acquise. Ils réquisitionnent également dans le village des habitants et des habitantes pour former chaque jour la « colonne » ; ils sont contraints d’effectuer des journées de plus de 10 heures d’un dur labeur.
Tout d’abord, ce sont les élèves des écoles (tant en 1917 qu’en 1918) qui, à partir de 12 ans, sont contraints au travail : ramassage d’orties, destruction de chardons, fenaison, cueillette de mûres, etc. Ces jeunes manifestent leur aversion de plusieurs manières : en se tenant à l’écart des troupes de passage lorsque celles-ci veulent se montrer agréables aux enfants, en travaillant le moins et le plus mal possible, ou en jetant à l’eau tout ce qu’il trouvent appartenant aux soldats (armes ou cartouches, etc.). Ensuite, ce sont des habitants valides qui n’ont pas été mobilisés soit en raison de leur situation militaire comme Alfred Devie ou Théophile Bocquet (réformés), soit à cause de leur jeune âge, comme pour André Carbonneaux[2]. Décrit comme jeune et fort, il décède à la veille de ses 18 ans après avoir reçu quelques soins d’un infirmier allemand et avoir été contraint de travailler alors qu’il était malade. Les femmes ne sont pas épargnées non plus.
La population subit une très forte pression psychologique car elle est sans cesse menacée d’amendes ou d’emprisonnement. De plus, il lui est interdit de communiquer avec les villages voisins ou de correspondre avec les siens. Il semblerait qu’un léger adoucissement ait été apporté à partir de 1916 puisque l’Allemagne permet que « fussent envoyés de l’intérieur des télégrammes transmis par la Croix-Rouge ». Mais bon nombre de ces messages n’ont jamais atteint les destinataires[3].
Ce vitrail de l’ossuaire de Douaumont, réalisé par le peintre George Desvallières et le maître-verrier Jean Hébert-Stevens, représente une infirmière de la Croix-Rouge.
[1]Archives départementales des Ardennes, 1J 534, Miette-Mermoz, Roland, A travers 3 guerres ou les souvenirs d’un Ardennais [série J = archives d’origine privée (entrées par voie d’achat, don, legs ou dépôt, sous-série 1J = pièces isolées et petits fonds d’origine privée].
[2]Archives départementales des Ardennes, 3R 3-4 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 3R = anciens combattants et victimes de guerre].
[3]Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 25J 6 [série J = documents entrés par voie extraordinaire, sous-série 25J = fonds du grand séminaire de Reims (an XII-1945)].
L’infanterie allemande passe le mois de février 1916 à La Romagne, Montmeillant et ses environs. A partir du 6 juin 1916, arrivent à La Romagne des pontonniers et des fantassins allemands venant de Verdun. On fait aussitôt des logements pour les chevaux d’artillerie et les hommes en proportion[1]. La vie est particulièrement difficile avec les restrictions de toutes sortes mais, en 1917, s’ajoute à tout cela un hiver rigoureux.
Le blason communal de Verdun est d’azur à une cathédrale avec quatre flèches, derrière laquelle s’élève un beffroi, entouré de murailles, le tout d’or, maçonnée de sable.
En octobre 1918, deux ordres mettent en émoi le village : le premier est interprété comme « l’enlèvement de jeunes gens pour les conduire en Belgique » (et même peut-être plus loin) et le second comme « l’enlèvement de 26 jeunes femmes et jeunes filles ». En réalité les premiers sont de retour quelques jours après. Quant aux jeunes femmes, elles ont été conduites à Marlemont, où elles restent deux semaines pour faire le terrassement d’un champ d’aviation.
Des offensives sont lancées à partir de juillet 1918 pour arracher dans une lutte acharnée la ligne Hindenburg mais surtout les défenses de la Hundig Stellung qui bordait la rive occidentale de l’Oise, de Mont-d’Origny jusqu’au confluent de la Serre. Les 31e, 116e et 149e régiments d’infanterie qui, pour certains, comprennent des troupes coloniales sénégalaises, participent aux combats pour ouvrir un passage sur l’Aisne. Le 31e, après avoir livré bataille à Nizy-le-Comte, libère Saint-Quentin-le-Petit, Sevigny et atteint Maranwez le 7 novembre avant de cantonner dans le secteur de Saint-Jean-aux-Bois. Le 6 novembre 1918, Chaumont-Porcien et Rethel sont enlevés par le général Guillaumat, aidé du premier corps d’armée américain.
[1] Lefebvre, Marie, « Journal d’une jeune fille de Rocquigny pendant la première guerre mondiale » in Terres ardennaises, Charleville-Mézières : Fédération des œuvres laïques, 1982- , n° 64, octobre 1998, p. 5-68 ; n° 65, décembre 1998, p. 1-75.
Les Français arrivent à La Romagne très exactement le 7 octobre 1918 à 7 heures du matin et progressent successivement dans cette même journée à Wasigny et Novion-Porcien, avant de se diriger sur Renwez. En parallèle, il faut noter dans ce secteur les interventions de certaines compagnies (les 5/1, 5/3 du 21e régiment du génie), chargées d’ouvrir la voie en détruisant les réseaux puis de rétablir des communications entre Sevigny-Waleppe, Renneville, Wadimont et Rocquigny (des routes étaient coupées par des entonnoirs de mines)[1].
Le conflit prend fin le 11 novembre 1918 mais ses traces dans les esprits ne disparaîtront jamais. Des rumeurs de « fraternisation » circulent et atteignent principalement des femmes. Sept habitants mobilisés trouvent la mort durant ces combats. Ils figurent sur le monument aux morts (ainsi qu’une victime civile, René Dubois). Quant à ceux qui en sont revenus et qui ont été blessés parfois à plusieurs reprises, ils restent hantés par d’horribles visions, dont ils n’ont pas toujours pu parler leur vie durant.
La joie de l’armistice du 11 novembre 1918 fait oublier temporairement aux soldats les traumatismes subis.
Ensuite, il faut dresser un bilan des pertes matérielles tant pour le village que pour les particuliers. C’est l’architecte de l’arrondissement de Rethel qui est chargé de procéder à l’estimation des dommages de guerre aux immeubles communaux. Quant à l’enquête de la commission cantonale de Chaumont-Porcien, elle fait apparaître que la commune de La Romagne a subi la somme de 560 122 francs de dommages agricoles et que toutes les exploitations avaient été touchées par des dégâts dont la moyenne était d’environ de 25 à 40%[1].
Médaille de la Compagnie des chemins de fer de l’Est par Jean Vernon, 41 mm, revers (train roulant dans un paysage vallonné.
La ligne de chemin de fer est endommagée dès le début de la guerre. Des réparations[2] sont nécessaires en divers points du territoire de La Romagne : c’est le cas des deux ponts qui permettent le passage au-dessus de la ligne pour les communications de La Romagne et Givron avec Draize et Wasigny et la voie le long de la Bouloi, aux Minières et au ruisseau Commelet. A l’issue de ce conflit, des enquêtes diligentées par le juge d’instruction de Rethel demandent aux diverses gendarmeries et en particulier pour les villages du canton de dresser un bilan des comportements individuels et économiques des habitants. Il en ressort que « dans les 20 communes du canton » (parmi lesquelles La Romagne est incluse), aucune personne n’a été désignée comme « ayant fait commerce avec l’ennemi en échangeant de l’or, des billets de banque ou des valeurs contre des bons de monnaie moyennant une certaine prime[3] ».
[1]Archives départementales des Ardennes, 10R 81 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 10R = services temporaires de la période de guerre 1914-1918].
Bien que l’armistice soit effectif, la démobilisation ne va pas se faire immédiatement, même pour ceux qui habitent les régions envahies et qui n’ont pas pu durant ces quatre ans retrouver les leurs. Seuls les mobilisés des classes 1887 à 1889 peuvent rentrer chez eux dès la fin novembre 1918. Pour les autres, le retour a lieu entre le premier et le troisième trimestre de 1919. Cela a été très certainement une période compliquée à vivre pour ceux qui venaient de passer des mois et des années difficiles et éprouvants loin de leur foyer, d’autant qu’ils souhaitaient reprendre leur vie d’avant.
Blason régional de la province de Haute-Silésie (Allemagne).
Il reste que les hommes des classes 1916, 1917 et 1918 doivent accomplir néanmoins un service militaire de trois ans et c’est ainsi que des jeunes gens de ce village se trouvent impliqués dans les conséquences de ce conflit, ne serait-ce que par leur participation au cours de leur service à l’occupation de la Haute-Silésie et de la Rhénanie (Marcel Carbonneaux) ou dans la Sarre (Albert Victor et Paul Emile Devie).
Blason de la Rhénanie du Nord-Westphalie (Allemagne)
Cette occupation se veut dissuasive. Elle a pour but d’empêcher les Allemands de reprendre les armes. Mais elle met à jour bien d’autres sentiments (tant chez les occupés que chez les occupants qui, pour certains, rêvent de vengeance et de loi du talion) quand elle ne fait pas découvrir d’autres façons de vivre.
Blason régional de la Sarre (Allemagne).
Un autre problème surgit encore : c’est celui des prisonniers de guerre. Certes, leur rapatriement est imposé par l’article 10 des clauses de l’armistice, mais leurs souffrances sont masquées voire niées puisqu’ils sont assimilés à des non-combattants. Il leur faudra attendre une bonne dizaine d’années pour qu’ils soient enfin reconnus à l’égal des combattants et puissent percevoir, comme ces derniers, des primes compensatrices…
A l’occasion des cérémonies commémoratives de l’armistice du 11 novembre 1918, La Romagne pavoise ses édifices publics.