Le 4 août 1789, les privilèges féodaux sont abolis, et par conséquent les droits seigneuriaux et la dîme. Une subvention doit pourvoir aux dépenses du culte divin et à l’entretien des églises et des presbytères.
Dans les premiers temps de la Révolution, les églises sont épargnées. Ce sera de courte durée. La proposition de Talleyrand d’attribuer à la Nation les biens du clergé triomphe le 2 novembre 1789.
Un décret datant de ce jour les confisque. Le 9 novembre, un autre décret supprime les titres ecclésiastiques à l’exception de celui des curés. Le 13 novembre, l’Assemblée demande que les églises fassent connaître l’état de leur domaine à la Nation dans un délai de deux mois.
Les inventaires[1] sont dressés en janvier 1790. Les biens de la cure pour le culte sont mis en vente ou réquisitionnés, les livrant à la convoitise de quelques- uns :
- onze chasubles d’étoffes diverses (damas[2],velours, panne[3]) et de couleurs différentes (rouge, verte, noire, blanche, violette[4]), ornées de motifs floraux. Il y a autant de manipules[5], d’étoles[6] et de voiles ;
- trois jaquettes d’enfants de chœur rouges ou bleues ;
- des surplis[7] d’enfants de chœur ;
- quatre grands surplis de grosse mousseline ;
- cinq surplis de toilette[8] ;
- deux chapes[9] de calmande[10] dont une rose ;
- une chape de damas rouge ;
- une couverture d’autel en toile d’Orange[11] ;
- trois petites couvertures de toile ;
- trois devants d’autel et un petit rideau en toile d’Orange ;
- neuf serviettes ;
- trois nappes d’autel en batiste[12] et toile ;
- quatre nappes de toile ;
- soixante linges tant corporaux[13] que lavabo[14] ;
- un voile de mousseline rembrunie ;
- un drap de mort et un bidet[15] ;
- deux bonnets carrés noirs et un blanc ;
- deux bannières avec leurs bâtons ;
- un dais en toile d’Orange entourée de franges présumées en fil d’or[16] ;
- un petit coffre en bois ;
- une armoire en menuiserie de bois de chêne ;
- un coffre fermant à deux battants en menuiserie de bois de chêne ;
- une petite armoire pendante fermant à clé ;
- un portemanteau ;
- un porte-cierge, une boîte[17] et un pupitre ;
- un serpent[18] en fer blanc et un fauteuil ;
- un missel, deux antiphoniers[19], un graduel[20], deux processionnaux[21], deux livres pour l’office des morts et un manuel ;
- les boiseries du grand autel et des deux petits ;
- un tabernacle[22] avec les marchepieds ;
- trois livres de cire blanche et deux de jaune ;
- la boiserie du chœur peinte en bleu et un banc attenant ;
- six chandeliers et une croix en bois ;
- la chaire à prêcher ;
- le confessionnal ;
- deux échelles ;
- Un aigle en bois servant de pupitre ;
- deux « scabelles[23] » et leurs marchepieds ;
- trente bancs avec leurs marchepieds ;
- un plat, deux burettes, un porte-missel, et une petite clochette ;
- une cloche estimée à 1400 livres.
[1] Archives départementales des Ardennes, Q 541 [série Q = domaines, enregistrement, hypothèques depuis 1790, articles Q 469-766 = administration du séquestre des biens nationaux, cotes Q 540-542 = cures et chapelles], documents concernant Librecy-Wé (1790-an VI).
[2] Soie monochrome, avec une armure satin, dont le fond contraste par sa brillance avec le dessin formé par le tissage.
[3] Étoffe en laine, soie ou coton, travaillée comme du velours.
[4] Correspondant aux différents temps liturgiques.
[5] Bande d’étoffe portée sur l’avant-bras gauche par les ministres du culte à l’autel.
[6] Bande de tissu, longue et étroite, que le prêtre et l’évêque portent par devant, suspendue au cou et que le diacre porte en écharpe sur l’épaule gauche.
[7] Vêtement liturgique blanc porté par les ecclésiastiques, les chantres, et les enfants de chœur, par-dessus les habits ou la soutane.
[8] Petite toile.
[9] Long manteau de cérémonie agrafé par devant.
[10] Tissu en laine, en poil de chèvre, ou en soie et laine, lustré sur l’endroit, uni ou rayé.
[11] Terme générique pour désigner les toiles peintes.
[12] Toile fine et blanche de lin ou de chanvre.
[13] Linge consacré, généralement de lin blanc, représentant le suaire du Christ, destiné à recueillir les fragments de l’hostie.
[14] Prière que dit le prêtre en se lavant les doigts durant la messe. Par métonymie, linge avec lequel il s’essuie les doigts qu’il s’est lavés après l’offertoire.
[15] Petit cheval de selle ou de trait.
[16] Et peut-être en fil métal doré. Dans le doute, l’objet n’a pas été estimé.
[17] Dans les Ardennes, le mot s’écrivait boëtte et se prononçait \bwɛt\.
[18] Instrument à vent utilisé jusqu’au XIXe siècle dans la musique d’Eglise.
[19] Un antiphonaire (ou antiphonier) est un recueil où sont inscrits des antiennes et autres parties de l’office, avec leur notation en plain-chant.
[20] Le graduel est le livre de chant grégorien utilisé à la messe.
[21] Le processionnal est un recueil des prières chantées aux processions.
[22] Ouvrage en forme d’armoire fermant à clef, et où sont conservées les hosties consacrées.
[23] La forme académique est escabelle, siège bas, sans bras, avec ou sans dossier. Le mot a la même signification qu’escabeau. La variante scabelle, aujourd’hui disparue, est attestée à Reims en 1328.
Les terrains qui appartiennent à l’église de La Romagne (non à la cure ou à la fabrique sont également mis à l’encan. Les surfaces concernent :
- trente-sept verges et demie au lieu-dit le Vertillon ;
- cent douze verges et demie (terre + pré + jardin) au lieu-dit la Pierre ;
- cinquante verges au lieu-dit le Presbytère ;
- soixante verges au lieu-dit le Jardin de Monsieur le Curé ;
- soixante-quinze verges au lieu-dit les Rouages ;
- dix-huit verges au lieu-dit le Pré Mortagne ;
- dix-huit verges au lieu-dit la Hué ;
- trente-sept verges et demie au lieu-dit le Pluteau ;
- trente-sept verges et demie au lieu-dit le Pregnaux.
D’autres surfaces dépendent de la cure de la Romagne et sont exploitées à ce titre directement par le curé [1]. Gérard Mallet, domestique habitant le village, reçoit pour la somme de 2225 livres l’adjudication définitive de cent douze verges de terre, cent dix verges de jardinet et cent trente-six verges de prés.
[1] Archives départementales des Ardennes, Q 274 n° 406, ventes du 25 juin 1791 au 18 prairial an III [série Q = domaines, enregistrement, hypothèques depuis 1790, articles Q 90-468 = ventes de biens nationaux, cotes Q 272-282 = vente de biens nationaux, district de Rethel, 1790-an IV].
Parallèlement à la vente du patrimoine ecclésiastique se déroule celle des biens des émigrés, comme c’est le cas pour François Courtin, dont les terres se trouvent en divers lieux de La Romagne[1].
[1] Archives départementales des Ardennes, Q 278 n° 332 à 338, ventes du 29 fructidor an II au 18 nivôse an III [série Q = domaines, enregistrement, hypothèques depuis 1790, articles Q 90-468 = ventes de biens nationaux, cotes Q 272-282 = vente de biens nationaux, district de Rethel, 1790-an IV].
Dès le 12 juillet 1790, le concordat de Bologne signé avec François Ier est dénoncé, ce qui permet la nationalisation des biens de l’Eglise. L’Assemblée constituante supprime les titres, offices, dignités, canonicats[1], prébendes[2].
[1] Bénéfices de chanoines dans une église, une cathédrale ou une collégiale.
[2] Revenus ecclésiastiques.
La Constitution civile du clergé, sanctionnée[1] et promulguée par le roi Louis XVI le 24 août 1790, réorganise l’Eglise et la sécularise[2]. Le 27 novembre 1790, chaque prêtre doit jurer d’être fidèle à la Nation, à la loi, au roi et de maintenir de tout son pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale constituante et acceptée par le souverain.
[1] Adoptée.
[2] L’État considère qu’il lui revient de prendre en charge l’organisation de la religion. Ce qui ne saurait être confondu avec le principe de séparation des Eglises et de l’Etat, qui implique qu’il ne s’en occupe plus.
De la passation ou non de ce serment découlent les termes de prêtres assermentés[1] ou insermentés[2]. Le pape Pie VI condamne formellement ce texte le 10 mars 1791 et somme les prêtres qui ont prêté serment à la Constitution de se rétracter sous peine de suspense[3].
Ce qui occasionne cette année-là une scission entre l’Eglise et l’Etat, et une division à l’intérieur même du clergé : cela peut être constaté pour le diocèse de Reims[4].
[1] Constitutionnels ou jureurs.
[2] Réfractaires ou non-jureurs.
[3] En droit canonique, la suspense (substantif féminin) est une mesure par laquelle l’autorité ecclésiastique suspend un prêtre de ses fonctions ou le prive de l’usage de son bénéfice.
[4] Bibliothèque nationale de France, document numérique, NUMP-3639, Jadart, Henri, « Etat du clergé du diocèse de Reims, insermenté ou assermenté en 1791, d’après les notes de l’abbé Baronnet, curé de Cernay-en-Dormois (à suivre) », in Revue d’Ardenne & d’Argonne : scientifique, historique, littéraire et artistique [publiée par la Société d’études ardennaises « La Bruyère » puis, à partir de mars/avril 1895 par la Société d’études ardennaises], 1re année, n° 1 (novembre/décembre 1893) -22e année, n° unique (1915/1923), Sedan : imprimerie Laroche, 1893-1923, 19e année, n° 2, janvier-février 1912, pages 33-40, vue 3/48, article consultable en ligne sur Gallica [Nota bene : la collectivité éditrice du périodique, née en 1888 et morte dans les années 20, ne saurait être confondue avec la Société d’études ardennaises fondée le 26 janvier 1955 et devenue la Société d’histoire des Ardennes le 2 mars 2013].
Pour ce qui est de La Romagne, il est de notoriété publique que le curé Bourdon a prêté le serment et qu’il l’a confirmé le 28 janvier 1791, « quoique cela ne figure sur aucun registre »[1].
[1] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 7J 142 [série J = archives privées, documents entrés par voie extraordinaire, sous-série 7J = fonds de l’archevêché de Reims (1637-1963)].
La séparation des Eglises et de l’Etat est marquée par le décret du 3 ventôse an III[1], qui affirme que la République ne salarie aucun culte et ne fournit aucun local, ni pour son exercice, ni pour le logement des ministres.
[1] Soit le 21 février 1795.
La loi du 22 germinal an IV[1] précise qu’à ce titre le son des cloches est puni d’un emprisonnement par voie de police correctionnelle. Les cloches des églises du canton sont en général acheminées à Metz, où leur métal est fondu pour produire des bouches à feu[2].
[1] Soit le 11 avril 1796.
[2] Pièces d’artillerie.
Les églises sont dépouillées de leur richesse mobilière. On s’abstient donc pendant de longues années d’effectuer des travaux de réparation et d’entretien. Les objets en métal précieux rejoignent la Monnaie.
Le 25 fructidor an IV[1], Langlet (maire), Boudié et Letellier, les trois signataires du document, répondent à un questionnaire qui permet d’apprendre que :
- l’inventaire de l’argenterie de l’église a été fait par le « citoyen Macquart » ;
- celui-ci demeure à Saint-Jean-aux-Bois ;
- ce dernier est nommé commissaire ;
- les objets ont été conduits au commissaire des monnaies du district de Rethel ;
- qu’ainsi il n’y a plus rien en argent dans l’église.
[1] Soit le 11 septembre 1796.
Durant toute cette période, des courriers confidentiels sont expédiés à l’administration centrale, de manière à rendre compte de l’état d’esprit de la population. Des idées radicales y sont exprimées par rapport aux nouvelles fêtes instaurées.
C’est ainsi que l’auteur d’une missive datée de l’an VII note que, selon ses observations, la religion catholique tient encore à La Romagne une place trop importante par rapport aux nouvelles fêtes. Il se fonde sur les points suivants :
- les anciens jours de repos (en particulier les dimanches) sont plus respectés que les nouveaux ;
- cela se manifeste par une population « vêtue de ses plus beaux atours » ;
- la présence aux cérémonies du culte est manifeste ;
- les habitants de La Romagne ne souhaitent pas garder les décades ;
- les prêtres assermentés ne se montrent obéissants que de l’extérieur.
Pour contrer cela, il suggère de n’ouvrir les églises que les jours des décadis[1], afin que les cérémonies religieuses et décadaires se passent au même moment. Le but est de rendre le peuple docile, et les assemblées civiles plus brillantes.
Ces propos montrent bien que l’objectif des fêtes prévues par la Nation, qui est de rapprocher les êtres et de combattre l’intolérance, est loin d’être atteint[2].
[1] Le décadi est le dixième et dernier jour de la décade républicaine, chômé et correspondant en quelque sorte au dimanche.
[2] Archives départementales des Ardennes, L 1213 n° 493 [série L = administration et tribunaux de la période révolutionnaire (1790-1800), articles L 1168-1230 = affaires militaires, ponts et chaussées].
La période révolutionnaire marque une évolution des sociétés vers la laïcité, à travers la reconnaissance de la liberté de conscience[1], et la nationalisation des biens de l’Eglise. Bonaparte prépare un retour de la paix religieuse en accordant le 7 nivôse an VIII[2] la liberté de culte. Cette décision conforte la hiérarchie catholique dans son action de restauration de la foi.
[1] Reconnue dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
[2] Soit le 28 décembre 1799.
Le Concordat signé le 15 juillet 1801 entre Bonaparte et le Pape Pie VII rétablit le culte et marque le retour du dimanche comme jour de repos légal. Les églises peuvent être de nouveau ouvertes n’importe quel jour, et l’on revient au calendrier grégorien.
La religion catholique n’est plus religion d’Etat, mais celle de la majorité des Français. Les prêtres ont désormais pour fonction d’assurer la paix, la cohésion sociale, et le respect des lois. Ils sont rémunérés par l’Etat.
C’est aussi la fin de l’exil pour les prêtres réfractaires, émigrés ou réfugiés à l’étranger. Ils peuvent regagner leur pays, moyennant la signature des actes de soumission, et l’acceptation de la nouvelle organisation de l’Eglise.
Les nominations des curés des ans IX et X se font par entente entre le pouvoir civil et religieux. De plus, comme les ressources font défaut, on essaye de rapprocher le desservant de sa famille et de son pays natal[1].
[1] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 7J 139 [série J = archives privées, documents entrés par voie extraordinaire, sous-série 7J = fonds de l’archevêché de Reims (1637-1963)].
Il faut une nouvelle fois se procurer à grands frais un mobilier nouveau, puisque l’ancien a disparu durant la Révolution. Il est d’autre part nécessaire de consolider et de conserver les bâtiments. Ce n’est que progressivement que les églises retrouvent la richesse artistique du passé.
A La Romagne, la fabrique de l’église n’a que de très maigres revenus (issus des pains bénits et les quêtes). Les réparations du bâtiment sont donc difficilement envisageables. En 1803[1], l’église est encore dans un complet état de dénuement…
[1] Des visites canoniques enquêtent sur l’état des paroisses de 1803 à 1886 dans le diocèse de Metz, dont dépend à l’époque l’église de La Romagne.