La guerre[1] est déclarée le 19 juillet 1870 par Napoléon III au royaume de Prusse, dont Otto von Bismarck est le ministre-président de 1862 à 1890 (il est également chancelier de la confédération de l’Allemagne du Nord de 1867 à 1871). Aux Prussiens se sont associés d’autres Etats comme le grand-duché de Bade, les royaumes de Bavière et de Wurtemberg. Les premiers affrontements ont lieu sur le front de l’Est.
[1] Ce conflit est généralement désigné par le terme « guerre franco-allemande (1870-1871) ». Il peut être également nommé « guerre de 1870-1871 » ou « guerre franco-prussienne (1870-1871) ». Il arrive qu’il soit appelé « guerre de Septante » par certains historiens.
La Romagne et les villages des environs assistent parfois aux passages des troupes, mais ne sont pas directement situés dans la zone des combats, marquée par une cinglante défaite à la suite de la bataille de Sedan (Ardennes).
Les habitants ont cependant ressenti la proximité de la guerre : avant de faire face à l’occupation allemande (le département des Ardennes n’a été libéré de celle-ci qu’en 1873), ils ont été confrontés aux réquisitions de chevaux et de nourriture par les soldats français, aux opérations du 13e corps d’armée, lors de la retraite de celui-ci.
Créée par le décret du 12 août 1870, cette unité militaire défensive[1] débute sa formation le 16 août 1870 à Paris, sous les ordres du général Vinoy[2]. Elle est composée de trois divisions, confiées respectivement aux généraux Exéa[3], Maud’huy[4] et Blanchard[5].
[1] L’armée française gardera cette position, face à des ennemis qui privilégient une stratégie offensive.
[2] Joseph Vinoy (10 août 1800-29 avril 1880), général de division.
[3] Antoine-Achille d’Exéa-Doumerc (24 février 1807-9 février 1902), général de division.
[4] Louis Ernest de Maud’huy (21 janvier 1809-20 octobre 1883), général de division. A ne pas confondre avec son neveu, le général Louis Ernest de Maud’huy (17 février 1857-16 juillet 1921), héros de la guerre de 1914-1918.
[5] Georges Eugène Blanchard (12 octobre 1805-13 février 1876), général de division.
En tout, ces dernières comprennent plus de 30 000 hommes pour l’infanterie (dont certaines recrues, selon le capitaine Vaimbois[1], n’ont jamais ou très peu manié le fusil Chassepot[2]), une réserve d’artillerie plutôt bien préparée, et une division de cavalerie.
[2] Le fusil modèle 1866 tire son nom de son inventeur.
Cette formation quitte Paris le 24 août 1870 par différentes lignes de chemin de fer. Il est prévu qu’elle doit en partie se porter sur la rive droite de l’Aisne à hauteur de Berry-au-Bac[1], mais les directives changent. Seize jours plus tard, le 13e corps est de retour à Paris[2], après avoir vécu de nombreux aléas et péripéties durant sa retraite.
La première division est dirigée sur Reims (Marne). Quant aux deux autres, elles ont pour mission, non de combattre, mais d’inquiéter l’armée du prince Frédéric Charles de Prusse[1] dans sa marche. Or, très vite, elles reçoivent d’autres ordres et doivent se diriger sur Mézières (Ardennes), où elles arrivent le 30 août pour assurer les communications.
[1] Friedrich Karl von Preußen en allemand (20 mars 1828-15 juin 1885).
La situation est déjà compromise : le 18 août a eu lieu la bataille de Gravelotte (Moselle)[1], puis le repli de Bazaine[2] à Metz (Moselle) et son enfermement.
[2] François Achille Bazaine (13 février 1811-23 septembre 1888), général de division et maréchal de France.
Bibliothèque nationale de France, document numérique, IFN-8439219, Établissement géographique Erhard frères (auteur), Monrocq imprimeur (auteur), Direction de la marche de l’Armée de Châlons vers Metz (indiquée par le ministre de la Guerre dans le conseil des Ministres), échelle au 1 : 160 000, Paris : Monrocq imprimeur, 1870, 1 feuille en couleurs ; 580 x 440, vue 1/1, consultable en ligne sur Gallica, image reproduite d’après l’original de la Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, GE D-303. Note : Carte de l’Argonne et d’une partie de la Champagne, de Châlons à Verdun. – 1870].
Pour sa part, l’armée de Châlons[1], sous le commandement de Mac-Mahon[2], est arrêtée dans sa marche. En outre, dans la nuit du 30 au 31 août, Failly[3] échoue devant Beaumont[4], alors que ses troupes, qui ont reculé, essaient de résister et de défendre Mouzon (Ardennes), dont les Prussiens ne s’empareront que tard dans la soirée. Les Français reçoivent alors l’ordre de se porter sur Sedan (Ardennes).
[1] Actuellement Châlons-en-Champagne, anciennement Châlons-sur-Marne, chef-lieu du département de la Marne, en région Grand Est.
[2] Patrice de Mac Mahon (13 juin 1808- 17 octobre 1893), général de division, maréchal de France.
[3] Pierre Louis Charles Achille de Failly (21 janvier 1810-15 novembre 1892), général de division.
Les civils fuient sur la route de Sedan (Ardennes) à Mézières (Ardennes). Le 1er septembre, on entend les canons Krupp[1] tonner sur Bazeilles (Ardennes), où se trouve, en particulier, le Ier corps d’armée bavarois[2]. Les combats sont acharnés et sanglants.
[1] L’entreprise de sidérurgie a été fondée par Friedrich Krupp (17 juillet 1787-8 octobre 1826). Le « roi du canon » (« Kanonenkönig ») Alfred Krupp (26 avril 1812-14 juillet 1887) en fait une industrie d’armement de premier rang.
[2]Königlich Bayerisches 1. Infanterie-Regiment « König ». Par convention typographique, les numéros des unités françaises ou alliées se composent en chiffres arabes. Le romain grande capitale est alors réservé aux armées ennemies, pour éviter des confusions.
Après avoir été informé de ce qui se passait à Sedan (Ardennes), le général Vinoy, qui a conscience de l’étendue du désastre, fait savoir au ministre qu’il compte battre en retraite, afin de ramener vers Paris le 13e corps d’armée pour protéger la capitale. Il veut se mettre en route de très bonne heure le 2 septembre, pour prendre de l’avance sur les ennemis qui pourraient le poursuivre.
Une longue colonne s’étire sur plusieurs kilomètres à la sortie de Mézières (Ardennes) pour se diriger sur Charleville (Ardennes) et s’avancer sur la route de Rethel (Ardennes) en passant par Poix[1], Launois[2], Faissault[3], Saulces-aux-Bois[4] et Saulces-Monclin[5].
Les hommes ont très peu de munitions et ne peuvent en obtenir d’autres. Il est décidé qu’en cas d’attaque, cette troupe doit combattre sans arrêter la marche, d’autant que la partie la plus dangereuse se trouve entre Charleville (Ardennes) et Launois (Ardennes).
Aux environs de 6 heures du matin, des échauffourées se produisent entre la colonne française du 13e corps d’armée[1] et les Allemands du VIe cuirassiers[2] et du XVe uhlans[3]. Ces derniers vont se fixer sur la Vence[4].
Or, un évènement peu banal survient : à la suite d’une confusion d’uniformes, des soldats du XVeuhlans[5] et des hussards français se mélangent. Les uhlans se rendent très vite compte de leur erreur, la lutte s’engage et quelques Allemands sont faits prisonniers. La colonne repart de Launois (Ardennes) vers 8 h 30.
[1]Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, 8-LH4-2304, Poirier, Jules (auteur), Le 13e corps d’armée pendant la guerre de 1870, 2e édition, Paris : G. Kleiner, 1901, in-8°, 104 p., cartes.
[2]Kürassier-Regiment Kaiser Nikolaus I. von Rußland (Brandenburgisches) Nummer 6.
Attaqué une nouvelle fois à Saulces-Monclin (Ardennes), Vinoy fait déployer l’artillerie. De son côté, le général Bredow[1], voyant que sa tentative échoue, se replie. Une seconde attaque est menée par une brigade de cavalerie, alors que l’ennemi se contente de les observer.
[1] Friedrich Wilhelm Adalbert von Bredow (25 mai 1814-3 mars 1890).
Comme l’artillerie prussienne occupe le terrain de Bertoncourt (Ardennes), la colonne se détourne de l’itinéraire initial pour prendre le chemin qui conduit à Novion-Porcien (Ardennes). Elle ne subit plus que des escarmouches destinées à lui faire perdre du temps.
Lorsque le village de Novion (Ardennes) est atteint vers 15 heures, le général Vinoy met les troupes au bivouac, pour qu’elles se reposent et que l’on puisse s’occuper de la quarantaine de blessés.
Très rapidement, c’est l’affolement, la population craignant l’arrivée des uhlans. Ils occupent le village, dès le départ des Français.
Finalement, le général Vinoy décide de repartir dans la nuit du 3 septembre dans l’espoir de mettre davantage de distance avec l’ennemi. Le départ est fixé à 2 heures du matin et, pour ne pas alerter les éclaireurs de l’autre camp, des traces de vie sont laissées avec le maintien des feux allumés.
La colonne se prépare à gagner Chaumont-Porcien (Ardennes), lorsqu’une forte pluie se met à tomber. Les hommes sont trempés, la boue qui atténue cependant le bruit des roues ne facilite pas les déplacements. Successivement, la troupe traverse Mesmont[1], Bégny[2], Givron (Ardennes).
[1] Actuellement, département des Ardennes, en région Grand Est. A ne pas confondre avec Mesmont (Côte-d’Or), en région Bourgogne-Franche-Comté.
Or, entre Bégny et Givron, une route descend sur Ecly[1] et Château-Porcien[2], où se trouve l’ennemi. C’est là que le guide qui les conduit (et qui pourtant connait le secteur) se trompe et les engage dans la mauvaise direction[3]. Le général Vinoy s’en aperçoit, et fait rebrousser chemin à ses troupes, dans un grand désordre. Bégny (Ardennes) sera lui aussi occupé par des troupes prussiennes.
La colonne arrive enfin à Chaumont-Porcien (Ardennes) vers 8 heures du matin. Les soldats reçoivent un accueil chaleureux de la population. Il leur sera difficile de repartir à l’heure prévue.
Chaumont (Ardennes), vers midi, voit arriver les dragons allemands. Ils prennent position sur les crêtes à l’est du village, et y installent des batteries. Un bataillon se déploie sur la route entre Adon (Ardennes)[1] et Chaumont (Ardennes), avant que deux autres n’occupent le village, qui n’en sort pas indemne.
[1] Actuellement, commune rattaché à Chaumont-Porcien, dans le département des Ardennes, en région Grand Est. A ne pas confondre avec Adon (Loiret), en région Centre-Val de Loire.
Une nouvelle fois, le général Vinoy décide de changer de route, et de se diriger sur Seraincourt[1], Fraillicourt[2], Montcornet[3].
Ignorant qu’elle n’était pas poursuivie par la XIIe division d’infanterie[1], la colonne française fait halte à Fraillicourt (Ardennes) et, dans un dernier effort, se remet en marche jusqu’à Montcornet (Aisne), où elle parvient à 18 heures. Le lendemain elle gagne Marle[2], puis Laon[3], pour rejoindre Paris le 9 septembre.
[1]12. Division [Alte Armee], union des contingents du royaume de Prusse.
Bibliothèque nationale de France, document numérique, IFN-10505633, Hadol, Paul (dessinateur), La Ménagerie impériale : composée des ruminants, amphibies, carnivores, et autres budgétivores qui ont dévoré la France pendant 20 ans, Chez Rossignol, 11 rue Taitbout ; Au bureau de l’Éclipse, 16 rue du Croissant, Paris, 30 pl., page de titre : lithographie coloriée ; 17 x 27 cm, page non paginée, vue 11/49, consultable en ligne sur Gallica, image reproduite d’après l’original de la Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand, TF-387-4.
La capitulation de l’empereur Napoléon III ne met pas fin aux combats. Des groupes de francs-tireurs se forment, et n’hésitent pas à attaquer l’ennemi, qui réplique par des représailles comme à Vaux-Villaine (Ardennes), où trois habitants[1] sont fusillés le 27 octobre 1870 au matin.
[1] Jean-Baptiste Depreuve, Louis Georges et Charles Georges.
Après la défaite, le département des Ardennes se voit imposer, dès le 8 septembre 1870, une contribution d’un million de francs pour compenser les pertes allemandes dans divers domaines, et en particulier celles infligées aux navires allemands par les vaisseaux de guerre français[1].
Dans les registres de Mainbressy (Ardennes)[2], à la date du 20 octobre 1870, le conseil municipal se soumet au paiement d’une somme de 1 800 francs pour éviter, par un refus, des mesures de rétorsion, ce qui montre la crainte ambiante.
[1] En 1870, l’Allemagne ne comptait pas du tout au rang des puissances maritimes. Notre Marine lui était alors largement supérieure.
[2]Archives départementales des Ardennes, EDEPOT/MAINBRESSY/D 1 [série EDEPOT = archives communales déposées, sous-série MAINBRESSY/D 1 = administration communale, registre des délibérations du conseil municipal de Mainbressy (Ardennes), 1838-1880].
Peu de temps après, Von Katte[1], qui se présente comme préfet de Rethel (Ardennes), réclame à la commune de Rocquigny (Ardennes)[2] :
Le 12 novembre 1870, la fourniture de 1 500 kg de paille et autant de foin, 30 quintaux métriques (soit 100 kg) d’avoine, et 1 200 kg de viande.
Le 6 décembre 1870, ce sont des réquisitions de literie pour le casernement de troupes prussiennes qui sont mises en œuvre. Quelques jours plus tard, ce sont 75 paires de chaussettes et des couvertures qui sont exigées, sans oublier les sommes sollicitées pour l’éclairage ou des suppléments de gages donnés aux employés des armées prussiennes.
Le 26 janvier 1871, divers ajouts de grains et de blé sont demandés.
[2]Archives départementales des Ardennes, EDEPOT/ROCQUIGNY/D 1 [série EDEPOT = archives communales déposées, sous-série ROCQUIGNY/D 1 = administration communale, registre des délibérations du conseil municipal de Rocquigny (Ardennes), 2 octobre 1865-2 juin 1884].
Dans le même temps, Fraillicourt (Ardennes)[1], occupé pendant 172 jours (du 8 septembre 1870 au 26 février 1871), est exposé à des requêtes considérables, après avoir pourvu à la nourriture et au logement de troupes (un régiment de dragons et le XXVIIe régiment d’infanterie[2]).
A la fourniture de grains, de fourrages, de vin, de cidre, d’eau de vie et de liqueurs s’ajoutent des moyens de transport (voitures de maître, charrettes, chariots), des vêtements confectionnés et de la vaisselle.
En 1871, tout est paralysé dans le département, puisqu’une gouvernance allemande a été mise en place, et que la poste ne fonctionne plus. A tout cela, s’ajoute la rigueur de l’hiver. La misère et la peur règnent une fois de plus sur la contrée.
Cette gestion par les Allemands disparaît après la signature des préliminaires de paix (mars 1871). L’administration française reprend alors sa place. La loi du 14 avril 1871 prescrit à cet effet un renouvellement intégral des membres des conseils municipaux.
La commune de La Romagne est imposée d’une contribution aux frais des besoins de l’armée allemande. Celle-ci s’élève à 50 francs par tête d’habitant, ce qui fait un total de 21 200 francs.
Ces derniers ne peuvent être délivrés qu’au moyen d’un appel aux contribuables les plus aisés de la commune, et d’un emprunt remboursable en 5 ans une fois la guerre terminée.
A partir de 1872, la conséquence de ces contributions est une imposition exceptionnelle. L’autorité allemande ne se contente pas de ces sommes. Elle réclame en sus environ 3000 francs, correspondant à la contribution foncière afférente à l’Etat.
De plus, la commune (tout comme d’autres villages ardennais cités plus haut) est mise en demeure de fournir, en plus de divers produits (dont on ne connaît pas la liste), une voiture de houille attelée de quatre chevaux. Celle-ci pose un certain nombre de problèmes à la municipalité, car le voiturier doit aller chercher en Belgique son chargement avant de le rapporter à Rethel (Ardennes).
Ce qui n’est pas sans risque, puisque l’on craint une confiscation à la frontière, soit par les douaniers, soit par les francs-tireurs. Une solution est arrêtée[1] : monsieur Merlin fournit la voiture et l’attelage, tandis que le village réquisitionné se porte garant du matériel prêté pour cette opération. Apparemment, cette dernière s’est bien déroulée.
[1]Archives départementales des Ardennes, EDEPOT/ROMAGNE[LA]/D 1 [série EDEPOT = archives communales déposées, sous-série ROMAGNE[LA]/D 1 = registre des délibérations du conseil municipal de La Romagne (Ardennes), 24 juin 1849-6 août 1893], décisions des 22 janvier 1871 et 15 octobre 1871.
L’armistice général intervient le 15 février 1871 et, si le traité préliminaire de paix est signé le 26 février 1871 à Versailles[1], ce dernier proclame aussi l’unité allemande.
[1] Actuellement, département des Yvelines, en région Île-de-France.
En réalité, c’est le traité de Francfort-sur-le-Main du 10 mai 1871 qui met fin à cette guerre franco-allemande de 1870-1871. Cette dernière a profondément marqué les Ardennes (qui auront subi l’occupation après la défaite de Sedan, mais aussi en 1914-1918 et en 1939-1945).
Quant à la France, elle offre un nouveau visage, avec le rattachement de l’Alsace et de la Lorraine à l’Empire allemand sous le nom d’Elsaß-Lothringen.
Les villages reçoivent des compensations financières au titre des dommages de guerre. C’est ce qu’indique par exemple la séance extraordinaire du conseil municipal de Montmeillant (Ardennes)[1] du 20 avril 1872, qui précise que la commune se voit accorder une somme de 1 285,40 francs, versée par cinquième.
[1]Archives départementales des Ardennes, EDEPOT/MONTMEILLANT/D 3 [série EDEPOT = archives communales déposées, sous-série MONTMEILLANT/D 3 = administration communale, registre des délibérations du conseil municipal de Montmeillant, 1840-1888].
Pour bon nombre de communes, les archives constituées des registres de délibération des séances des conseils municipaux restent la plupart du temps muettes sur la période allant de fin juillet 1870 à l’année 1872.
Les documents subsistants apprennent cependant que quelques Romanais ont été exemptés de la guerre, soit parce qu’ils étaient instituteurs (Alexis Stévenot), ou pour raisons de santé (Théophile Adonis Larchet).
Ils attestent également que Pierre Aristide Devie a exercé sa profession de maréchal-ferrant au sein du 5e régiment de hussards de 1872 à 1877.
Ils témoignent enfin que La Romagne a été touchée par la mort au combat ou l’emprisonnement par l’ennemi de jeunes gens nés dans le village.
Les natifs de La Romagne soldats de la guerre franco-allemande 1870-1871 (A-Z)
Pierre Chailloux[1], fils de François-Xavier Chailloux et d’Adèle Millet, est né le 7 octobre 1847 à La Romagne. Il est incorporé en juillet 1868, puis appelé à l’active dès juillet 1870. Il est soldat de 2e classe à la 2e compagnie du 2e bataillon de la garde mobile des Ardennes, et décède le 1er novembre 1870[2] à Rocroi (Ardennes) à l’hôpital militaire.
[1]Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 1R 1007 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 1R = préparation militaire et recrutement de l’armée, articles 1R 1001-1647 = registres des états signalétiques et des services (1864-1940)]. [2]Archives départementales des Ardennes, 2E 369 5 [sous-série 2E = archives communales déposées, articles 2E 369 1-10 = registres paroissiaux et d’état civil de La Romagne, baptêmes, mariages, sépultures, cote 2E 369 5 = années 1863-1872], transcription de l’acte de décès, vue 156/177, consultable en ligne.
Alfred Léon Chéry[1], fils de Pierre Chéry et de Marie-Joséphine Ismérie Noël, est né le 10 novembre 1849 à La Romagne. Appelé en août 1870, il est fait prisonnier le 19 janvier 1871 et ne rentre en France que le 24 avril 1871. Il est définitivement licencié par la paix le 31 décembre 1872.
[1] Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 1R 1014 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 1R = préparation militaire et recrutement de l’armée, articles 1R 1001-1647 = registres des états signalétiques et des services (1864-1940)].
Michel Célestin Dupont[1], fils de Jean Nicolas Dupont et d’Elisabeth Bonhomme, est né le 30 avril 1850 à La Romagne. Devenu volontaire le 16 août 1870, il est incorporé au 1er régiment de chasseurs à pied de Belval (Ardennes), où il est nommé trompette le 31 mai 1871.
[1]Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 1R 1017 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 1R = préparation militaire et recrutement de l’armée, articles 1R 1001-1647 = registres des états signalétiques et des services (1864-1940)].
Pierre Millet[1], fils de Pierre Millet et de Félicité Grimplet, est né le 12 juin 1850 à La Romagne. Il est incorporé en août 1870 comme appelé des Ardennes.
[1]Archives départementales de la Marne, centre de Reims, 1R 1017 [série R = affaires militaires, organismes de temps de guerre, sous-série 1R = préparation militaire et recrutement de l’armée, articles 1R 1001-1647 = registres des états signalétiques et des services (1864-1940)].
Nota bene : cette liste limitative cite uniquement les Romanais par naissance, c’est-à-dire les personnes qui sont nées à La Romagne, et non celles qui pourraient y avoir habité par la suite.
Après le désarroi provoqué par la défaite de Sedan (Ardennes) et son retentissement national, la déchéance officielle de Napoléon III le 1er mars 1871, et la chute du Second Empire, la Troisième République (régime en vigueur du 4 septembre 1870 au 10 juillet 1940) mène une politique d’expansion des colonies qui aura un certain retentissement sur la vie de La Romagne.
Les natifs de La Romagne et le second empire colonial français (A-Z)
Clovis Dupont, né le 18 juillet 1855 à La Romagne, part pour l’Algérie, où du reste il meurt le 12 octobre 1879 à l’hôpital militaire de M’Sila[1].
[1] Chef-lieu de la wilaya (collectivité territoriale) de M’Sila.
Fernand Gustave Devie, né le 14 décembre 1880 à La Romagne, engagé volontaire, intègre plusieurs bataillons d’infanterie coloniale, et fait les campagnes du Sénégal entre 1901 et 1904.
Nota bene : cette liste limitative cite uniquement les Romanais par naissance, c’est-à-dire les personnes qui sont nées à La Romagne, et non celles qui pourraient y avoir habité par la suite.
C’est ainsi que quelques jeunes hommes natifs du village, lors de leur service militaire ou au cours de leur carrière, participent à la promotion du second empire colonial français[1], principalement en Afrique.
[1] Le premier empire colonial français correspond aux conquêtes de l’Ancien Régime.
C’est le passé, on oublie ? Le camp de Lichterfelde et les prisonniers de guerre français – exposition temporaire à Berlin du vendredi 28 octobre 2022 au mercredi 31 mai 2023
[1]Vergessen und vorbei ? Das Lager Lichterfelde und die französischen Kriegsgefangenen = Past and forgotten ? The Lichterfelde Camp and the French Prisoners of War.
Cette initiative a suscité une mission historique et mémorielle à Berlin et ses environs du dimanche 26 mars au dimanche 2 avril 2023 sur les traces de Pierre Bonhomme, natif de La Romagne, prisonnier de guerre n° 53026 dans les Stalagsallemands III A Luckenwalde, , III B Fürstenberg, et III D Berlin. Affecté à l’AKdo 407 (Arbeitskommando[1] n° 407), il a dû travailler sous la contrainte pendant ses cinq ans de captivité.
Partant d’un destin individuel spécifique, la démarche a consisté à développer une méthodologie archivistique et historienne globale pour trouver un prisonnier de guerre français en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale.
Ce déplacement a donc compris plusieurs rencontres avec des historiens, archivistes, bibliothécaires, documentalistes, une quête des vestiges de 1939-1945 et des lieux de mémoire, une exploration urbaine[1] de sites abandonnés et en cours de destruction, dont :
un entretien personnalisé de deux heures avec Roland Borchers[2] au Centre de documentation du travail forcé nazi de la fondation Topographie de la terreur (Dokumentationszentrum NS-Zwangsarbeit der Stiftung Topographie des Terrors) à Berlin-Schöneweide[3], suivi d’une visite privée de la baraque 13[4] et de son abri antiaérien. Une autorisation exceptionnelle de rester sur place après la fermeture du lieu, en présence du seul agent de sécurité, a permis d’effectuer des photographies au milieu des baraquements et des cartels de l’exposition Vergessen und vorbei ? Das Lager Lichterfelde und die französischen Kriegsgefangenen = Past and forgotten ? The Lichterfelde Camp and the French Prisoners of War = C’est le passé, on oublie ?, à l’exclusion de toute autre personne. Enfin, trois catalogues ont été offerts sur place et un quatrième[5], l’édition bilingue allemand–français de l’exposition, a été envoyé par la poste dès sa parution début mai 2023.
un rendez-vous de deux heures au domicile de monsieur Reinhard Pohlke[7] et sa femme madame Annette Pohlke[8], vice-présidente et webmestre de l’association mémorielle Initiative KZ-Außenlager Lichterfelde e.V. (un contact préalable par mail avait été établi avec monsieur Thomas Schleissing-Niggemann, président du conseil d’administration).
une rencontre personnalisée de deux heures avec monsieur Christian Kurzweg, archiviste référent, en quelque sorte responsable de l’ORB[9], et une stagiaire en sciences de l’information au service des utilisateurs (Benutzerzentrum) des archives fédérales (Bundesarchiv) de Berlin-Lichterfelde, département du centre de ressources documentaires (Abteilung BE = Bereitstellung)[10].
Un déplacement aux archives fédérales (Bundesarchiv) de Berlin-Tegel[11], département des renseignements personnels sur les soldats de la Première et Deuxième Guerre mondiale (Abteilung PA = Personenbezogene Auskünfte zum Ersten und Zweiten Weltkrieg). L’accès direct aux salles de lecture n’ayant pas été possible, le remplissage d’un formulaire administratif en allemand a débouché sur une réponse. Madame Claudia Müller, archiviste référente, fournit la précision suivante : « Les dossiers du Bureau allemand des états de service[12] – WASt[13] concernant les anciens prisonniers de guerre français détenus par l’Allemagne ont été saisis en avril 1945 et pris en charge par une commission d’officiers alliés. » Elle renvoie donc au secrétariat d’Etat aux anciens combattants[14] et aux archives des pays d’origine respectifs des prisonniers de guerre. Cet échange de documents sur les prisonniers de guerre est conforme à la convention de Genève.
Une action de conservation curative légère[15] sur la plaque commémorative (Gedenktafel) du siège du commandement (Kommandantur) régissant le Stalag III D Berlin aujourd’hui disparu.
Une reconnaissance sur le terrain dans le sud-est de Berlin de pistes sur l’Arbeitskommando n°407 (dépendant du Stalag III D Berlin, dans lequel Pierre Bonhomme a été contraint de travailler). La classe 400 le rattachant possiblement à l’arrondissement de Neukölln, les quartiers traversés en priorité ont été Berlin-Britz, Berlin-Buckow, Berlin-Gropiusstadt, Berlin-Neukölln et Berlin-Rudow.
La quête d’anciens abris antiaériens dans le sud-est de Berlin[16], dans la mesure où Pierre Bonhomme aurait pu (sous réserves) réaliser des coffrages en bois pour des casemates[17].
Un reportage photographique « de guerre » sur les terrains vagues du camp de Berlin-Lichterfelde, patrimoine industriel en péril.
« Les dossiers du Bureau allemand des états de service – WASt concernant les anciens prisonniers de guerre français détenus par l’Allemagne ont été saisis en avril 1945 et pris en charge par une commission d’officiers alliés. »
Madame Claudia Müller, archiviste référente aux archives fédérales de Berlin-Tegel, département des renseignements personnels sur les soldats de la Première et Deuxième Guerre mondiale
[2] Chercheur à l’Institut d’Europe de l’Est de l’Université libre de Berlin (chaire d’histoire de l’Europe centrale et orientale), coordinateur du projet Mémoire et identité en Cachoubie, auteur d’une thèse de doctorat Mémoires du travail forcé : l’exemple de la Pologne.
[3] Schöneweide est le nom simplifié des deux quartiers Berlin-Niederschöneweide et Berlin-Oberschöneweide dans l’arrondissement Treptow-Köpenick de Berlin (Allemagne).
[4] Où des internés militaires italiens et des travailleurs civils ont été hébergés entre 1944 et 1945.
[6] D’où la locution proverbiale « Luckenwalde, Luckenkien, 50 Kilometer vor Berlin ».
[7] Né en 1966, il enseigne dans un établissement secondaire berlinois le latin, le grec, le fait religieux, les technologies de l’information.
[8] Née en 1967, elle a étudié l’histoire, le latin et la théologie protestante à l’Université libre de Berlin. Elle est aujourd’hui enseignante et auteure indépendante.
[13]Wehrmachtauskunftstelle für Kriegerverluste und Kriegsgefangene = Service de renseignements de la Wehrmacht sur les pertes de guerre et les prisonniers de guerre.
[15] Décollage, dans le cadre d’une préservation du patrimoine urbain, des restes d’un autocollant apposé de façon intempestive, et constituant un acte de vandalisme susceptible d’abîmer la surface à terme.
[16]Bunker transformé en Musikbunker, Steinträgerweg 5, 12351 Berlin (Allemagne). Un autre situé Selgenauer Weg, 12355 Berlin (Allemagne) a été intégré dans un projet immobilier.
[17] Ces réduits d’un fort, généralement souterrains, sont à l’épreuve des bombes et des obus.
Le Bureau allemand des états de service – WASt, dont les documents étaient conservés initialement aux archives fédérales de Berlin-Reinickendorf[1], a vu le 1er janvier 2019 ses missions intégrées aux archives fédérales de Berlin-Tegel en tant que département des renseignements personnels sur les soldats de la Première et Deuxième Guerre mondiale[2]. Le délai de traitement peut atteindre plusieurs mois avant que la demande n’aboutisse.
Les dossiers médicaux des prisonniers de guerre se trouvaient autrefois à l’Office régional de la santé et des affaires sociales[3] à Berlin. Dans la mesure où cela ne relevait pas vraiment de ses missions, ils ont été transférés le 1e juillet 2007 au Bureau allemand des états de service – WASt, puis à Berlin-Tegel, au titre de son habitude de la gestion des données individuelles.
Le centre de ressources documentaires est pour sa part à Berlin-Lichterfelde, tandis que certains documents concernant l’armée sont aux archives fédérales de Fribourg (Allemagne), département des affaires militaires[4]. Monsieur Daniel Schneider, archiviste référent de cette institution, indique : « Seuls sont conservés les dossiers matériels des institutions allemandes à propos du système des prisonniers de guerre, mais pas les dossiers personnels des prisonniers de guerre. »
« Seuls sont conservés les dossiers matériels des institutions allemandes à propos du système des prisonniers de guerre, mais pas les dossiers personnels des prisonniers de guerre. »
Il est important d’autre part de ne pas confondre les archives fédérales (Bundesarchiv) et les archives régionales[1] (Landesarchiv) de Berlin. Après la fin de la guerre, les documents que le Bureau allemand des états de service – WASt avait conservés sur les prisonnier de guerre détenus par l’Allemagne ont été confisqués et remis aux pays d’origine des prisonniers de guerre.
Il est possible de repérer les noms des victimes de guerre sur le portail des Arolsen Archives[1] –International Center on Nazi Persecution (archives Arolsen – centre international sur les persécutions nazies). Toutefois, il ne s’agit pas d’une requête complète. De nombreux documents conservés ne sont pas encore accessibles en ligne. Il faut donc contacter les archivistes. 50 millions de fiches présentent des informations sur 17,5 millions de personnes. Madame Martina Paul, membre du service international de recherche[2], a ainsi retrouvé et envoyé une fiche de la mission de liaison à Berlin (Français de toutes les zones) concernant Pierre Bonhomme.
Toute demande de renseignements auprès du CICR[3] sur une personne détenue pendant la Seconde Guerre mondiale relève d’un quota trimestriel. Le service reprendra le lundi 22 mai 2023, puis le lundi 25 septembre 2023 à 8 h 00 heure de Genève (Suisse).
A Luckenwalde, il ne subsiste plus aucun vestige matériel du camp, si ce n’est le cimetière des sépultures de guerre (Friedhof Kriegsgräberstätte) du Stalag III A Luckenwalde[1], divisé en plusieurs carrés selon la nationalité des prisonniers enterrés. Nombreux sont ceux qui ont été inhumés dans des fosses communes (en particulier des Russes[2]). Une croix est élevée, et marque à tout jamais l’emplacement de la partie française du cimetière. Chaque année se déroule une cérémonie du souvenir.
[2] A cette époque, tous les Russes sont des Soviétiques, mais tous les Soviétiques ne sont pas des Russes. L’appellation retenue ici est celle qu’employaient les prisonniers de guerre.
Un poste de travail permet de consulter des dossiers d’archives. Sur un écran interactif, il est possible de feuilleter plus de 9 000 documents concernant 3 900 détenus russes du camp.
Le Stalag III A se situait à 2,5 km de Luckenwalde, ville de 27 000 habitants à quelque 50 km du sud de Berlin dans la 3e région militaire allemande[1], dans la région de la Fläming, au cœur du Land[2] de Brandebourg. C’est une région montueuse, argileuse et caillouteuse, recouverte de bois et d’étangs. La pauvreté du sol ne permet comme cultures essentielles que le seigle ou la pomme de terre[3]. L’horizon en est borné par une végétation assez haute de résineux et de bouleaux, qui dégagent une grande tristesse. La toponymie est d’ailleurs explicite : « Luch[4] im Walde[5] » signifie « bois marécageux ». Le paysage actuel n’a pas vraiment changé, et dégage une impression sinistre.
[1]Wehrkreis III (WK III). Sous le IIIeReich, cette division administrative comprenait pour la Wehrmacht une partie de la Nouvelle-Marche et le Brandebourg.
La plupart du temps, les soldats prisonniers des Stalags sont placés dans un Arbeitskommando[1], ce qui n’est pas le cas pour les officiers des Oflags[2]. En raison de la convention de Genève, ils ne peuvent être officiellement employés que dans l’agriculture ou dans des tâches sans aucun lien avec l’effort de guerre. C’est souvent loin d’être le cas. Au commando de Topschin, faisant partie du Stalag III A, les prisonniers sont ainsi employés dans une usine de munitions, d’obus, de bombes, de torpilles et de tanks[3]. Ils sont donc bel et bien contraints de participer à l’industrie d’armement allemande.
La construction du camp a été planifiée avant l’invasion de la Pologne en septembre 1939. Il était prévu pour accueillir au départ 10 000 hommes. Sa structure a servi de modèle[4] pour les autres camps.
[4] Le mot Musterlager désigne un stock d’échantillons dans le civil, et un camp modèle dans le langage militaire. Le régime nazi avait son propre vocabulaire.
A partir de l’été 1940, des prisonniers hollandais[1] et français sont arrivés dans ce camp. Les premiers sont libérés quelques semaines plus tard, tandis que les seconds, qui forment le groupe le plus important, y sont affectés.
Le séjour dans ce camp précède souvent l’intégration dans des commandos de travail à Berlin ou dans ses environs. Les conditions de vie y sont très difficiles.
Les prisonniers de guerre qui ont travaillé dans la région du Brandebourg ou à Berlin ont atteint le chiffre de 22 000. Une partie de ces derniers était des prisonniers transformés[2].
Alors que dans ce camp, les instituteurs et professeurs étaient dispensés au départ de travail (car ils animaient une vie culturelle), les autres prisonniers essayaient de se rapprocher par origine régionale. Ils étaient astreints à des journées de 12 à 14 heures. Les commandos percevaient des vivres (toujours en quantité insuffisante) de la Croix-Rouge. Mais cela ne compensait que difficilement la pénibilité du travail : le commando n° 206, où étaient employés 300 prisonniers, extrayait de la tourbe, le n° 211 (qui en comprenait 20) exploitait du minerai, tandis que les n° 282 et 283 étaient des commandos agricoles.
Par la suite, ce camp a hébergé des prisonniers serbes et russes, dont le nombre n’a cessé d’augmenter. Durant l’hiver 1941-1942, 2 500 de ces derniers y sont décédés. Temporairement, il y a eu également des Italiens, vers la fin, des Roumains et des Anglais[1].
Le Stalag était aussi organisé du point de vue religieux, tant catholique que protestant. Les prêtres dans ce camp étaient au nombre de quarante-quatre pour tout le Stalag dont trois pour le camp, deux pour l’hôpital. Tous les autres étaient affectés aux commandos. Selon les secteurs religieux (au nombre de 42), ceux-ci comptaient de dix à soixante commandos. Le camp comprenait aussi des séminaristes que les aumôniers pouvaient emmener avec eux. L’approvisionnement liturgique était assuré par l’Aumônerie générale de Paris en vin de messe, hosties et livres.
Le culte était autorisé en dehors des heures de travail. Les prêtres munis d’un Ausweis[1] avaient le droit de circuler librement dans leur secteur. Bien souvent, ils disaient au moins trois messes au cours de la journée, tandis que les commandos étaient massés sur un point central (où se trouvait un local convenable pour dire la messe).
Les prêtres n’avaient pas le droit de prêcher et, en cas d’impossibilité de confesser, ils prononçaient une absolution générale. Ils assuraient, outre les messes du dimanche, les communions des détenus en cellule et les enterrements au cimetière du camp.
Pour les besoins religieux et spirituels, les confrères étaient autorisés à se rencontrer.
Lorsque le camp a été libéré le 27 avril 1945, les prisonniers ont été rendus à la vie civile, envoyés en permission pendant quinze jours, avant de vaquer à leurs occupations.
Le Stalag III B Fürstenberg est, lui aussi, un camp de prisonniers de guerre. Il avait le statut de Dulag[1]. Il se situe également dans la 3e région militaire allemande. La campagne y est sablonneuse avec des bois de pins. Il se trouvait à Fürstenberg-sur-Oder.
Il semblerait que ce camp n’avait que très peu de liens avec l’administration de la ville. Les archives municipales disposent aujourd’hui des dossiers de Fürstenberg-sur-Oder, devenu un quartier d’Eisenhüttenstadt.
Le musée d’histoire locale[3] évoque l’ancien camp de prisonniers de guerre, grâce à l’initiative de monsieur Axel Drieschner. Avec sa femme, madame Barbara Schulz, il a publié un livre sur le Stalag III B Fürstenberg[4].
Devant le site de l’ancien camp, il y a une pierre commémorative qui doit rappeler tous les prisonniers et leur souffrance.
[1]Durchgangslager, c’est-à-dire un camp de transit.
A l’époque, il comprend une cinquantaine de baraques, dont seules huit sont occupées par des Français. Réparties de part et d’autre d’une route cimentée, celles-ci hébergent chacune de trois cents à trois cent soixante prisonniers. Les travaux qui leur sont confiés sont épuisants. Nombre d’entre eux manient la pelle et la pioche comme ceux du commando n° 406 pour les mines de charbon, du n° 648 pour les mines de lignite, du n° 728 pour les mines de tourbe. Sinon, ils étaient employés dans des usines de guerre.
Au moment du repli du Stalag III B Fürstenberg, les prisonniers de guerre furent occupés jusqu’à la fin avril à effectuer des travaux de terrassements des tranchées, et à transporter des bombes d’avions. Il est même arrivé que des commandos aient effectué des travaux sous la première ligne de feu de l’artillerie russe. Malgré des réclamations, le colonel commandant le Stalag III B Fürstenberg reste sourd aux réclamations de la Croix-Rouge genevoise (Suisse).
Quant à l’homme de confiance, ce dernier signale que la durée du travail journalier était dans de nombreux cas excessive, en particulier dans les mines et les usines (12 heures). Elle pouvait monter jusqu’à quinze heures dans la culture pendant la période d’été.
Alors qu’il devait y avoir un repos de vingt quatre heures toutes les trois semaines, le repos hebdomadaire n’était pas souvent observé. En outre, l’homme de confiance principal du Stalag a signalé que des coups étaient portés sur des prisonniers français. Il y a une mauvaise foi évidente dans l’application de la convention de Genève dans ce camp.
Fin 1944, les Allemands ont décidé de déplacer ce camp à Buchenwald[1], à côté de Weimar[2]. Au début de février 1945, l’Armée rouge a pris pied sur la rive occidentale de l’Oder à Fürstenberg[3].
La campagne a retrouvé son aspect d’antan et nombre de citoyens allemands actuels en ignorent de manière feinte ou réelle l’existence.
[1] D’après Buche (hêtre) et Wald (forêt), Buchenwald signifie hêtraie (bois de hêtres).
[1]Kommandanturen au pluriel. Ou « kommandanturs », en romain et avec une minuscule (ou une majuscule), selon un usage français variable. En général, « Les mots, expressions, citations donnés dans une langue étrangère et non francisés se composent en italique dans un texte français en romain » selon le Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale. Mais « de très nombreux termes étrangers, adoptés par l’usage, se composent cependant en romain comme ces exemples appartenant au langage courant : condottiere, conquistador, leitmotiv, match, sketch, week-end ». Pour éviter d’établir une distinction artificielle entre les mots germaniques recensés dans les dictionnaires français (stalags) et ceux, plus spécialisés, qui n’y sont pas (Dulags), il a été décidé par convention de considérer tous les mots employés par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale comme étrangers, et donc de les écrire avec une majuscule et en italique.
Le Stalag III D se situait à Berlin, et dépendait de la 3e région militaire allemande comme les deux précédents. De très nombreux prisonniers français ayant été enfermés au camp de Berlin-Lichterfelde, il se confond un peu pour les historiens francophones avec le Stalag III D Berlin.
C’est là une perspective remise en cause par les chercheurs allemands. Le Stalag III D Berlin est en réalité une entité administrative qui repose sur des camps satellites disséminés sur tout Berlin : 3000 camps couvraient la ville. Certes, une majorité de Français s’est retrouvée à Berlin-Lichterfelde ou à Falkensee[1]. L’approche de la réalité historique est cependant plus complexe.
Un siège du commandement (Kommandantur) gère le travail des prisonniers du Stalag III D Berlin dans des commandos de travail (Arbeitskommandos) répartis en fonction de leur classe dans tous les points cardinaux à Berlin ou alentour :
L’édifice[9], qui se trouvait rue de la Belle-Alliance [10], a totalement disparu, rasé et remplacé par un parking, à proximité de la Bibliothèque commémorative américaine (Amerika-Gedenkbibliothek)[11]. Il ne reste plus à son emplacement qu’une plaque commémorative (Gedenktafel)[12] en plastique tellement discrète qu’il a été plutôt difficile de la localiser (les bibliothécaires du lieu avoisinant ont eux-mêmes rencontré des difficultés pour la trouver).
Un bureau de censure postale (Postzensur[1]) contrôlait la correspondance et les colis échangés entre les prisonniers de guerre et leurs proches. Les photographies et livres autorisés de Pierre Bonhomme étaient frappés du tampon « Stalag III D 75 geprüft » ou « Stalag III D 96 geprüft »[2], « Freigegeben Stalag III D[3] » ou « Freigegegeben zur Heimsendung M.-Stammlager III D[4] ».
Des ajouts manuscrits par les Allemands ont permis d’identifier que Pierre Bonhomme avait été affecté à l’Arbeitskommando n° 407 lors de son internement au Stalag III D Berlin.
[1] Tempelhofer Ufer (codes postaux 10961 et 10963), dans l’arrondissement berlinois de Friedrichshain-Kreuzberg, s’étend de la Schöneberger Straße au Landwehrkanal.
[2]Geprüpft = validé, contrôlé. Ce tampon correspond à la censure postale.
[3] Validé [par l’administration du] Stalag III D.
[4] Libéré pour rapatriement du Stalag III D. La lettre M. est une abréviation pour Mannschaft [troupe]. Stammlager désigne un centre de détention. Le Kriegsgefangenen-Mannschafts-Stammlager est donc un camp de concentration pour les prisonniers de guerre, destiné aux hommes du rang ou aux sous-officiers. C’est ce que les Français connaissent sous son abréviation Stalag = Stammlager.
Il a été impossible de trouver des renseignements sur ce commando de travail, ce qui arrive souvent selon les historiens allemands. Il est simplement identifié sans aucune mention supplémentaire sur une liste militaire française[1] des « principaux Kommandos » :
On ne peut donc qu’émettre des conjectures sur le n° 407 par rapport aux positions du commando n° 406 (Neukölln) et du n° 408 (Berlin-Lichtenrade). Ce dernier avait sous sa garde 39 prisonniers de guerre, d’après une liste allemandeCommandos de travail sans les Italiens (Arbeitskommandos ohne Italiener)[1] établie par Thomas Irmer, historien, politologue, spécialiste de l’histoire du travail forcé sous le régime nazi.
D’après son hypothèse d’une « répartition géographique possible » (« mögliche geographische Gliederung »), les camps de la classe 400 se situeraient dans le sud-est (Südosten) de Berlin. Les données restent fragmentaires :
[5]Berlin-Britz, quartier dans l’arrondissement de Neukölln.
[6] Usine de véhicules Gaubschat. La société Gaubschat Fahrzeugwerke GmbH a été fondée par Fritz Gaubschat en 1904 à Rixdorf, ville intégrée dans Berlin (Allemagne) en 1912 et renommée Berlin-Neukölln. Elle a fait faillite en 1975. Elle était impliquée au départ dans la construction de véhicules utilitaires.
[7] Quartier (Ortsteil) de Berlin-Neukölln ou arrondissement (Bezirk) de Neukölln.
Pierre Bonhomme aurait d’après un récit personnel travaillé du « bois de mine ». Ce qui serait logique : avant d’être militaire comme pontonnier, il était charpentier. De fait, il aurait pu être éventuellement boiseur, chargé du soutènement et de la réparation dans des galeries. Monsieur Ronny Maylahn, du comité de direction (Führungskoordination) de la société de recherche et de documentation sur les constructions souterraines Berliner Unterwelten e.V.[1] n’a pas pu nous renseigner sur le sujet.
[1] Brunnenstraße 105, 13355 Berlin (Allemagne). Berliner Unterwelten peut se traduire selon les cas « les souterrains de Berlin », « les sous-sols de Berlin », voire « les bas-fonds de Berlin » et même dans certains contextes « les enfers de Berlin ».
L’hôpital militaire principal de Berlin-Neukölln et l’Arbeitskommando n° 430
Plusieurs hôpitaux militaires[1] peuvent soigner les prisonniers de guerre. Le plus important était établi à Berlin-Neukölln dans un établissement scolaire[2]. Il était lié à l’Arbeitskommando n° 430. Il a repris ses fonctions premières. Un centre d’épouillage se trouvait à Berlin-Lichterfelde, ce qui a permis de limiter les risques de typhus.
L’ensemble des baraquements de Berlin-Lichterfelde a été retrouvé au moment où devait se dérouler dans ce lieu une opération immobilière. Il avait été ouvert dès 1938, avant donc le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale le 1ᵉʳ septembre 1939.
A l’origine, la Reichsbahn[1] y a installé un camp pour 1 400 travailleurs allemands de la région des Sudètes (Tchéquie) à l’angle d’Osdorfer straße et du Lanweg. En 1939, la Wehrmacht a loué une partie de ce site pour accueillir des prisonniers tout d’abord polonais.
A partir du mois d’août 1940, ce camp est affecté aux prisonniers français : en janvier 1941, plus de 18 000 prisonniers qui y vivaient étaient français. Les baraques construites grossièrement avec des parpaings ont remplacé parfois les premières, en bois, qui ont brûlé lors d’attaques aériennes en 1942/1943. Chacune mesurait 38 m de long sur 16 de large, et devait être occupées par 96 hommes environ. Le grand nombre de prisonniers a fait que leur occupation a été plus importante dans les faits.
La mise au jour de ce camp tient à un projet de construction d’appartements. L’association Initiative KZ-Außenlager Lichterfelde e.V.(un collectif citoyen)[1] et l’Office d’État des monuments historiques de Berlin (Landesdenkmalamt Berlin)[2] tentent de sauver des baraques situées dans le quartier[3] et identifiées formellement en 2017 comme ayant fait partie du camp de Berlin-Lichterfelde. Une est classée monument historique, les autres sont plus ou moins délabrées et à l’abandon, en cours de destruction, après avoir connu après la Seconde Guerre mondiale divers usages.
[1] Président du conseil d’administration : Thomas Schleissing-Niggemann. Vice-présidente : Annette Pohlke.
Le gardien chargé du terrain en friche refuse d’orienter le promeneur (les bâtiments se trouvent pourtant à moins de cent mètres de sa guérite). Les passants qui s’arrêtent font mine de ne rien comprendre aux explications données dans un allemand très clair. Les habitants du quartier ignorent ce qui se passe à quelques dizaines de mètres de leur maison. Une exploration urbaine[1] « sauvage » du site permet de mesurer la désolation du lieu, squatté occasionnellement et bombé à la peinture. Une captation d’images permettra à terme d’étudier les lieux à travers le prisme de la culture visuelle.
A peu près quatre-vingts ans après la capitulation du Troisième Reich, l’historien affronte moins un négationnisme agressif qu’une parfaite indifférence et un total désintérêt.
Les dix grands baraquements qui restent sont du même modèle que ceux du camp du quartier de Berlin-Schöneweide[1]. Ce lieu se révèle être un camp de travailleurs forcés, où étaient internés notamment des Italiens, tant militaires que civils, mais aussi des hommes et des femmes originaires d’Europe de l’Ouest et l’Est.
[1] Le lieu a été identifié comme un camp en 1994 alors qu’il se trouvait au milieu d’immeubles et qu’il servait depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à diverses activités comme la chaudronnerie.
Les prisonniers sont répartis dans différents commandos de travail. Il existe un homme de confiance qui a le droit d’aller les visiter. Les tâches confiées à ces prisonniers sont simples, mais physiquement très pénibles. Pour ce travail, le prisonnier reçoit un faible salaire, alors que les entreprises remportent de gros bénéfices grâce à cette main-d’œuvre bon marché.
Au camp de Berlin-Schöneweide, les conditions de vie y auraient été semble-t-il relativement meilleures que dans d’autres. Cette donnée reste cependant à relativiser en fonction des nationalités : les Russes emprisonnés ont par exemple subi des traitements pires que celui des Italiens.
Les baraquements de pierre ont été construits en 1943 sous la direction d’Albert Speer, premier architecte du IIIeReich inspecteur général des travaux pour la capitale du Reich (Generalbauinspektor für die Reichshauptstadt)[1].
Une exposition permanente inaugurée en 2013, Quotidien du travail forcé 1938–1945, montre à quel point le nazisme s’appuyait sur la main-d’œuvre sous contrainte.
Les travailleurs invités[1], en provenance de pays amis de l’Allemagne n’y étaient pas soumis. L’historiographie allemande englobe sous le concept général de travailleurs forcés :
D’un point de vue davantage français, les anciens combattants ne goûtent guère d’être confondus avec les membres du STO[5]. En France, ces derniers ont le droit au titre de « victimes du travail forcé en Allemagne nazie[6] ». Mais les dernières décisions de justice leur interdisent celui de « déportés du travail[7] ». La « transformation » de certains en travailleurs « libres » étant en lien avec la Relève, dispositif mis en place en 1942 par le régime de Vichy, il s’agit là encore d’une question sensible.
Le baraquement se compose d’un couloir central et de douze dortoirs de part et d’autre (destinés chacun à seize prisonniers), d’une seule pièce d’eau avec une fontaine, des latrines[1] et des urinoirs publics.
Chaque prisonnier a un châlit avec un sac de paille, une couverture, une gamelle, un gobelet et des couverts. La distribution de la nourriture varie selon les nationalités. Toujours manquante et de mauvaise qualité, elle l’est encore plus pour les prisonniers russes, qui sont davantage affamés, épuisés, et soumis aux mauvais traitements.
[1] A peine plus confortables que les feuillées de la vie militaire.
Le plus souvent, une cave se trouve sous le baraquement. Elle est aménagée en abri antiaérien avec de petites cellules. Les prisonniers s’y réfugient lors des nombreux bombardements.
En conclusion de cette mission historique et mémorielle à Berlin
Cette mission historique et mémorielle à Berlin met en lumière l’évolution des lieux depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Certains bâtiments ont connu une reconversion, d’autre une conservation comme patrimoine industriel[1], les derniers enfin une destruction. Des historiens allemands s’évertuent à témoigner du sort de millions d’hommes asservis sous le nazisme, tandis qu’une nouvelle génération semble se faire à l’idée d’une lente et inexorable disparition, que le déni parfois précipite…